
Au cœur de la belle ville de Troyes, derrière les murs de l’ancien Hôtel-Dieu-le-Comte, vient d’ouvrir un lieu unique en France : la Cité du Vitrail. Dédié à la connaissance et à la valorisation de cet art de lumière, le parcours aussi didactique qu’éblouissant offre au visiteur un accès inédit à cet art monumental, souvent placé loin du regard. Du XIIe siècle à aujourd’hui, L’Objet d’Art vous propose de découvrir un florilège d’œuvres en images.
Revenons d’abord sur la genèse de ce lieu exceptionnel. La France est le pays au monde qui conserve le plus de vitraux antérieurs à la Révolution, particulièrement concentrés dans l’Aube. Les 1100 verrières recensées au sein de 200 édifices du département font en effet du territoire champenois le plus riche en la matière, avec la Seine-Maritime, sans compter l’important corpus légué par les ateliers des XIXe-XXe siècles, et les nombreux chantiers de restauration et de création du XXIe siècle.
Peintres verriers, historiens et élus
Ce patrimoine artistique d’exception a suscité, dès les années 1970, le désir de créer un centre d’exposition et de recherche dédié au vitrail. Engagé en 2011, le projet a été porté par plusieurs élus locaux et maîtres verriers de l’Aube, parmi lesquels Alain Vinum, consultant auprès de la Cité du Vitrail et auteur du lustre monumental en manchons de verre installé dans le grand escalier. De 2013 à 2018, un espace de préfiguration a attiré de nombreux visiteurs dans les anciens communs de l’Hôtel-Dieu restaurés pour l’occasion.

L’Hôtel-Dieu-le-Comte, un écrin d’exception
Aujourd’hui, la Cité se développe sur 3000 m2 et quatre niveaux. « Il ne s’agit pas d’un musée car nous n’avons pas de collection permanente, confie sa conservatrice Anne-Claire Garbe. La Cité est un lieu d’exposition de vitraux ne pouvant plus être vus dans leur contexte d’origine pour cause de restauration ou de destruction ». À travers un parcours de visite abordant tant la création du vitrail que sa chronologie historique et ses techniques spécifiques, sont présentés plus de 60 vitraux anciens et contemporains, accompagnés de dispositifs interactifs adaptés à tous les publics (outils, films, infographies, facsimilés, etc.).

Rayonner au-delà de la Cité
Lieu de délectation, la Cité du Vitrail se veut également une porte d’entrée permettant de partir à la découverte des chefs-d’œuvre de l’art vitré aubois conservés in situ. La « Route du Vitrail » présentée à l’entresol de l’Hôtel-Dieu est une application gratuite (français et anglais) invitant à explorer, en toute autonomie, 65 édifices civils ou religieux du département.

PORTFOLIO
Un trésor troyen du XIIe siècle
Une petite salle à l’écart du parcours présente en majesté le chef-d’œuvre le plus ancien de la collection : un vitrail troyen des années 1170-1180 ! Perdu pendant plus de deux siècles et miraculeusement retrouvé sur le marché de l’art en 2018, il a été acquis par le conseil départemental de l’Aube. Ce panneau fait partie d’un ensemble majeur de verrières réalisées pour la cathédrale romane de Troyes ou la collégiale Saint-Étienne, aujourd’hui dispersées dans des collections publiques et privées du monde entier. Représentant la Transfiguration du Christ entouré de deux apôtres, cette œuvre d’une haute qualité picturale se distingue par son remarquable état de conservation.

Le « Beau XVIe siècle » aubois
Au sortir de la guerre de Cent Ans, Troyes et la Champagne méridionale connaissent une période de paix et de prospérité économique favorable à la commande artistique. Entre 1480 et 1560, plus de 1300 verrières réalisées par des ateliers locaux ou étrangers sont installées dans les églises du diocèse, alors agrandies ou reconstruites. Déposés à la Cité pendant les travaux de restauration, les trois panneaux de l’église Saint-Nizier de Troyes, datés vers 1520, figurent trois épisodes de la vie de saint Gilles dans un élégant cadre architecturé de style Renaissance. Ce vitrail aux couleurs chatoyantes se distingue par son raffinement technique, tangible dans l’emploi de verres rouges gravés (les auréoles du saint) et de pièces serties en chef-d’œuvre (la fibule qui ferme la cape du pape).

Le XIXe siècle et la renaissance du vitrail
Passé de mode depuis deux siècles, le vitrail fait l’objet d’un regain d’intérêt au XIXe siècle. En cette période marquée par la redécouverte des époques anciennes, et notamment du Moyen Âge, la veine historiciste est particulièrement vivace. Mais la prise de conscience patrimoniale s’allie à une formidable inventivité technique, dont les expositions universelles sont la vitrine. Le vitrail devient parfois une œuvre à part entière, créée sans destination précise. Ce Buveur de champagne qui reprend les codes de la peinture hollandaise du XVIIe siècle décorait sans doute le cabinet d’un collectionneur, à la manière d’un tableau de chevalet.

Après-guerre : un vent de modernité
Art en prise avec son époque, le vitrail n’a cessé de se prêter aux évolutions esthétiques et techniques. En détruisant de nombreux édifices et vitraux, les deux guerres mondiales ont suscité d’importantes commandes et un véritable renouveau du vitrail qui est souvent le fruit d’une collaboration entre un artiste de renom et un maître verrier. La Cité du Vitrail présente le cas emblématique de l’église de Villenauxe-la-Grande, en conclusion de la section chronologique. En 1926, une commande est passée à Maurice Denis, l’un des principaux acteurs du renouveau du vitrail, qui figure un soldat mort, présenté à Dieu par saint Pierre et saint Paul, selon une iconographie alors fréquente. De cette verrière disparue dans un bombardement en 1940 ne subsistent que les cartons, donnés par les héritiers du peintre. Il faudra attendre 2002 pour que l’artiste David Tremlett se voit confier la conception de nouveaux vitraux. Le parti pris est ici très différent, puisque le Britannique propose d’amples compositions abstraites aux coloris chatoyants, couvertes d’une couche de « dépoli » pour évoquer l’aspect poudré du pastel dont il a fait sa technique de prédilection.
Maurice Denis (1870-1943), Saint Paul, carton pour les vitraux de l’église de Villenauxe-la-Grande. © Arch. dép. Aube David Tremlett (né en 1945), vitraux de l’église Saint-Pierre-Saint-Paul de Villenauxe-la-Grande, Atelier Simon Marq. © DR
Le vitrail à l’heure contemporaine
Éblouir le visiteur est l’une des missions de la Cité du Vitrail. La grande galerie du premier étage réunit à cet effet une quinzaine de verrières d’époques, de styles et de provenances variés, prêtées par des institutions, des collectivités ou des artistes. Conçu par Lalique, un ange en verre moulé d’une remarquable délicatesse (1926) côtoie une vaste verrière du XVIe siècle, la détonante Vitesse de Jacques Simon (1928) figurant une voiture lancée à toute allure, ou encore un vitrail signé Jean-Michel Othoniel. On remarque aussi l’étonnant Saint Amelie imaginé par le peintre américain Kehinde Wiley (2014), qui se réapproprie un carton de vitrail du peintre néoclassique Jean-Dominique Ingres, mais remplace la sainte blanche par un jeune Afro-Américain en sweat et baskets. Détournant les codes de l’iconographie religieuse, l’artiste fait dialoguer les siècles et les cultures en dépassant l’opposition entre sacré et profane.

Aurélia Cohendy
Docteure en histoire de l’art
Ingénieure de recherche au Centre d’études supérieure de la Renaissance de Tours sur le projet « VITRAIL : le vitrail à la Renaissance en région Centre-Val de Loire » (2019-2021)

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L’Objet d’Art n° 595
La Cité du Vitrail, écrin d’un patrimoine vitré d’exception
96 p., 11 €.
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Cité du Vitrail, Hôtel-Dieu-le-Comte
31 quai des Comtes-de-Champagne, 1000 Troyes
Tél. 03 25 42 52 87
www.cite-vitrail.com