
La disparition en 2020 de Valéry Giscard d’Estaing suscita deux ans plus tard à Drouot la dispersion de la majorité des collections rassemblées par l’ancien président de la République et son épouse dans les murs de leur hôtel particulier du XVIe arrondissement de Paris. Il se murmurait alors qu’une dation était à l’étude pour les pièces les plus insignes réunies par ces grands amateurs d’art classique. Elle se concrétise aujourd’hui en faisant revenir à Versailles des dizaines de pièces du fameux service « à perles et barbeaux » de Marie-Antoinette.
Il est assez rare qu’un musée multiplie ses collections par six, surtout lorsqu’elles sont de provenance royale. C’est pourtant l’exploit dont peut désormais s’enorgueillir le château, qui ajoute à la faveur de cette dation exceptionnelle 75 pièces de ce célèbre service aux 15 qu’il possède déjà.
295 pièces pour 24 convives
L’établissement public s’efforce en effet depuis plusieurs années de reconstituer cet ensemble exceptionnel qui, ne figurant pas dans les procès-verbaux révolutionnaires établis lors de la dispersion des collections du domaine en 1793-1794, n’a été identifié que tardivement, en 1986, à la faveur d’un don au musée du Louvre. Originellement composé de 295 pièces et conçu, comme le veut l’usage français, pour 24 convives, il est depuis le 18 juillet présenté au public dans la salle à manger du Petit Trianon. Il s’agit désormais du service royal d’Ancien Régime le plus complet conservé à Versailles.
Une exécution d’une « extrême promptitude »
Commandé à l’été 1781 par Marie-Antoinette, il est entièrement exécuté avant la fin de l’année et livré par la manufacture royale de Sèvres le 2 janvier 1782. L’ensemble est réglé 12 420 livres. Cette très grande rapidité d’exécution pour un service de cette ampleur qui nécessita pas moins de 28 peintres et plusieurs doreurs sélectionnés parmi les meilleurs du royaume s’explique, comme le précisent les archives de la manufacture, par « l’extrême promptitude avec laquelle la Reine a voulu avoir le service exécuté pour elle ». Le défi était d’autant plus important que ce chef-d’œuvre des arts de la table comporte de nombreuses pièces de formes variées, particulièrement difficiles à élaborer.

Une nature simple et raffinée
Le service tire son nom de son décor à motifs de barbeaux (ancien nom des bleuets) en semis et en bouquets, complété par deux rangs de perles peints sur un bandeau à fond vert dit « merde d’oie ». Il témoigne du goût des plaisirs champêtres prisé par la reine et son entourage, ce qui semble indiquer une livraison pour le Petit Trianon. Ce décor simple mais d’une très grande finesse a probablement été imaginé par le peintre et doreur Michel-Gabriel Commelin (1746-1802), auquel on doit plusieurs décors de services pour Sèvres.

Le goût de Marie-Antoinette
Cet ensemble exquis éclaire particulièrement le goût de la souveraine : les perles dont il est orné correspondent à son choix personnel, tandis que le motif du bleuet est bien connu comme étant l’un de ses favoris. On le retrouve en effet à plusieurs reprises dans le décor du Petit Trianon, et notamment dans le fameux mobilier aux épis livré par Georges Jacob pour sa chambre en 1787.

Maylis de Cacqueray