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Emmanuel Macron a-t-il raison de prêter la fragile Tapisserie de Bayeux à la Grande-Bretagne ?

Tapisserie de Bayeux (détail), XIe siècle. Broderie de fils de laine sur toile de lin, L. 68,30 mètres, H. 70 cm. Bayeux, musée de la Tapisserie de Bayeux.

Tapisserie de Bayeux (détail), XIe siècle. Broderie de fils de laine sur toile de lin, L. 68,30 mètres, H. 70 cm. Bayeux, musée de la Tapisserie de Bayeux. © DR

Le président de la République, Emmanuel Macron, a annoncé mardi 8 juillet, lors de sa visite d’État en Grande-Bretagne, son souhait de prêter la Tapisserie de Bayeux outre-Manche en 2026. Cette décision historique, l’œuvre n’ayant jamais quitté la France, suscite de nombreuses oppositions parmi les défenseurs du patrimoine qui soulignent la fragilité de ce trésor.

Le projet mûrissait depuis plusieurs années. La Tapisserie de Bayeux sera prêtée au British Museum, à Londres, de septembre 2026 à juin 2027, tandis que des pièces archéologiques, provenant notamment du trésor de Sutton Hoo, feront le chemin inverse et seront exposées dans des musées de Caen et de Rouen : « Par son caractère symbolique, inédit, et la valeur inestimable des pièces prêtées, cet échange sans précédent marque la volonté de revivifier la relation culturelle entre nos deux pays et la confiance qu’il y a aujourd’hui entre nous », a déclaré Emmanuel Macron à Ouest-France.

Fragile et inestimable

Broderie en lin de près de 70 mètres de long exécutée au XIe siècle, la Tapisserie de Bayeux raconte la conquête de l’Angleterre par Guillaume le Conquérant en 1066. Un récit qui concerne autant l’histoire de France que celle de la Grande-Bretagne et que l’on peut admirer jusqu’au 1er septembre 2025 au musée de la Tapisserie de Bayeux. Celui-ci fermera ensuite durant deux ans pour des travaux d’agrandissement, qui prévoient notamment la création d’une extension et d’une nouvelle salle destinée à présenter dans de meilleures conditions son chef-d’œuvre médiéval.

La présentation actuelle de la Tapisserie de Bayeux, dans le musée qui lui est consacré et qui fermera ses portes pour travaux le 1er septembre 2025.

La présentation actuelle de la Tapisserie de Bayeux, dans le musée qui lui est consacré et qui fermera ses portes pour travaux le 1er septembre 2025. Photo musée de Bayeux

Des élus favorables au déplacement de l’œuvre

« Une exposition à Londres, lieu du couronnement de notre duc de Normandie, sera un moment historique qui s’inscrira dans la longue existence de la Tapisserie de Bayeux. Cet événement marquera également l’année 2027 à l’occasion de la célébration du millénaire de la naissance de Guillaume le Conquérant, organisée par la Région Normandie », a déclaré Patrick Gomont, maire de Bayeux et vice-président de la Région en charge de la culture et du patrimoine. Le président de la Région, Hervé Morin, s’est lui aussi félicité de ce projet. Le conservateur du musée, Antoine Verney, va dans le même sens, soulignant que « ce prêt est une chance pour la valorisation de l’œuvre » et que « le partage des ressources en améliorera la connaissance pour notamment mieux comprendre son contexte de création ». 

Le projet de l’agence RSHP Architects pour le futur musée de la Tapisserie de Bayeux, qui devrait ouvrir ses portes en septembre 2027.

Le projet de l’agence RSHP Architects pour le futur musée de la Tapisserie de Bayeux, qui devrait ouvrir ses portes en septembre 2027. © RSHP

Les défenseurs du patrimoine montent au créneau

De nombreuses voix s’élèvent pourtant contre ce projet, jugé dangereux pour l’œuvre. « La tapisserie de Bayeux part pour de mauvaises raisons. C’est un trésor national inestimable, qui ne devrait pas servir au soft power » a déclaré au Monde une professionnelle du patrimoine, qui a pu constater l’état de l’œuvre. La fermeture du musée aurait dû être l’occasion d’une restauration non seulement nécessaire, mais urgente, comme l’avait préconisé le comité scientifique en charge de la conservation de l’œuvre, après son examen détaillé. L’exposition à la verticale de la tapisserie a provoqué des déchirures, qui s’ajoutent à de nombreuses taches et lacunes.

De réels risques d’altération

Les manipulations nécessaires lors de la mise en caisse de la tapisserie, de son transport et de son accrochage au British Museum pourraient altérer encore son état, tant elle est fragile. La question est cruciale : faut-il faire courir des risques à une œuvre d’une telle importance pour des motifs diplomatiques et politiques, et non en vue de la restaurer ou de la conserver ? Les critiques n’émanent pas seulement de responsables français du patrimoine. L’archéologue belge Pierre-Emmanuel Lenfant, fondateur du réseau archeologia.be, a ainsi publié un communiqué précisant que « ce chef-d’œuvre textile du XIe siècle, d’une extrême fragilité, constitue un témoignage irremplaçable de notre mémoire collective et de l’histoire européenne. […] L’histoire de la conservation textile montre que les œuvres de cette ancienneté supportent très mal les manipulations et les déplacements, même réalisés avec le plus grand soin. »

Le trésor de Sutton Hoo et l’échiquier de Lewis, trésors nationaux britanniques

La précieuse broderie normande devrait être échangée contre une centaine d’œuvres médiévales conservées au British Museum, dont des objets du trésor de Sutton Hoo, l’une des plus grandes découvertes archéologiques outre-Manche, et des pièces de l’échiquier de Lewis, remarquables figurines en ivoire du XIIe siècle découvertes dans les îles Hébrides. Tout comme la Tapisserie de Bayeux en France, ces œuvres sont considérées comme des trésors nationaux en Grande-Bretagne. Leur prêt serait hautement symbolique, mais les risques encourus pour leur conservation seraient cependant bien moindres.

Les fragments du masque du trésor de Sutton Hoo, très abîmé, sont présentés sur une reconstitution, au British Museum. Le masque date de la fin du VIe ou du début du VIIe siècle.

Les fragments du masque du trésor de Sutton Hoo, très abîmé, sont présentés sur une reconstitution, au British Museum. Le masque date de la fin du VIe ou du début du VIIe siècle. © DR