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Les latrines, de véritables cabinets d’études archéologiques

Localisation de trois latrines sur l’emprise de fouille partiellement ouverte.

Localisation de trois latrines sur l’emprise de fouille partiellement ouverte. © Hadès, 2023

Au pied de l’hôtel de ville de Niort, la place Martin Bastard a fait peau neuve. Les archéologues de la société Hadès y sont préventivement intervenus, faisant ressurgir aux yeux de la population un patrimoine souterrain échelonné du XIe au XIXe siècle. Des anciennes rues sont ainsi apparues bordées de constructions, au rang desquelles figurent un couvent fondé au XVIIe siècle et de très nombreuses maisons. Mais ce sont les caves et surtout les latrines qui ont fait la joie des chercheurs.

Les cuves de latrines sont pour les archéologues de véritables malles au trésor. Elles ouvrent des fenêtres sur le passé, en concentrant de multiples rejets liés à l’alimentation et à la culture matérielle. Les vestiges archéologiques mis au jour permettent généralement aux chercheurs d’en savoir un peu plus sur ceux qui peuplaient les sites fouillés, en tutoyant leurs pratiques culinaires et leurs choix de consommation. Il est parfois possible de discuter du rang social par le truchement du mobilier et de la diversité alimentaire.

Des toilettes à chaque petit coin de rue

Sur une surface de fouille de 1 300 m2, pas moins de sept cuves de latrines ont été découvertes. Une telle concentration tient à plusieurs facteurs, dont un est propre à la ville. En effet, Niort est établie à l’endroit même où jadis, au cours du XIe siècle, de multiples carrières d’extraction de pierre perçaient le sous-sol en quête de moellons calcaires. Avec le temps, les excavations se sont déplacées et l’urbanisme s’est développé au-dessus de ces gisements abandonnés. Niort s’apparente donc à un fromage à trous. Loin d’être une contrainte, le problème est devenu, pour les bâtisseurs de l’époque qui ne manquaient pas de technicité, une formidable opportunité, celle de disposer d’excavations déjà prêtes pour des constructions enterrées, à l’instar des cuves de latrines. Cette caractéristique souterraine a été mise à profit à toutes les époques, car sous la place de l’hôtel de ville, des toilettes ont vu le jour depuis le Moyen Âge jusqu’à une période très récente. Certaines sont associées aux XIIIe et XIVe siècles, d’autres aux XVe et XVIe siècles, tandis que les plus récentes flirtent avec le XVIIIe siècle, voire le XIXe siècle. Plusieurs de ces cuves viennent en remplacement de réservoirs précédents, peut-être dans un souci d’aménager de nouvelles toilettes en réponse à une saturation des précédentes. D’autres, au contraire, sont dotées de systèmes d’évacuation des trop-pleins, permettant l’écoulement des fluides dans des puisards adjacents. Ce dispositif aidait alors à pérenniser les installations. 

Cruche en céramique issue de latrines des XIIIe et XIVe siècles.

Cruche en céramique issue de latrines des XIIIe et XIVe siècles. © Hadès, 2023

Occupé ! Le long travail d’analyse des latrines

Les latrines de Niort abondent en vestiges, comme des graines, des noyaux, des restes d’animaux (dont des poissons), témoignant de l’alimentation végétale et carnée des anciens occupants. S’insèrent, dans la stratigraphie des latrines, maints objets cassés qui, entre les mains des spécialistes, apporteront des jalons chronologiques ou préciseront les choix d’équipements et les circuits de consommation. La vaisselle en céramique nourrit la grande majorité du corpus mobilier. Le verre entre dans la vitrerie, la vaisselle et la pharmacie, tandis que les objets en métal et en os couvrent tous les usages du quotidien. Le contenu des latrines forme un amalgame de couches, au sein desquelles s’intercalent des strates de cendres et de charbons. Elles correspondent à des curages de foyers, qui servaient à neutraliser les odeurs. Dans le même sens, des recherches palynologiques visent à identifier des pollens qui trahiraient l’utilisation de plantes odoriférantes dans l’entretien des latrines, comme on le fait avec la sciure dans les toilettes sèches aujourd’hui. Des prélèvements au sein des latrines sont en cours d’analyse afin de distinguer d’éventuelles formes de parasitisme. Cette approche permet d’amender les réflexions autour de la santé, de l’hygiène et de l’alimentation des populations anciennes.

Au fond du trou : du simple accident à une volonté… obscure

Les latrines servent tout autant de dépotoir que de sanitaires. Dans le cortège des reliefs de repas rejetés et des bris d’objets volontairement abandonnés, il semble que des objets entiers soient aussi tombés accidentellement au fond du trou. Les fouilles ont mis en valeur des perles de chapelet, des monnaies, des vases en céramique, des boutons de vêtement, une pièce de jeu d’échecs, etc. Parallèlement, une autre démarche paraît avoir motivé le rejet d’ossements humains. Une cuve de latrines contenait ainsi les restes d’un fœtus. Au-delà de l’étude anthropologique, il conviendra de comprendre les raisons qui justifieraient un tel geste dans un tel contexte. Affaire à suivre.

Croix en or issue de latrines utilisées entre le XVIIe et le XIXe siècle.

Croix en or issue de latrines utilisées entre le XVIIe et le XIXe siècle. © Hadès, 2025