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Dans les pas des dinosaures enfouis en Charente

Évocation du site d’Angeac avec les grands sauropodes et les ornithomimosaures.

Évocation du site d’Angeac avec les grands sauropodes et les ornithomimosaures. © Mazan

Alors que les dinosaures ont envahi les écrans de cinéma, la réalité semble avoir rattrapé la fiction : depuis 2010, Angeac, un site de Charente, ne cesse de livrer des os de ces animaux disparus. Ronan Allain, paléontologue au Muséum national d’Histoire naturelle et responsable des fouilles, nous présente ce site unique au monde.

Propos recueillis par Éléonore Fournié

Pourriez-vous nous présenter le site d’Angeac ? 

En 2008, des carriers mettent fortuitement au jour, sur ce site de la vallée de la Charente, des fossiles (mâchoire et défense) d’éléphants datés d’environ 100 000 ans – aujourd’hui exposés au musée d’Angoulême. Peu de temps après, d’autres pièces apparaissent et, surprise, ce ne sont pas des éléments de pachydermes mais bien des vertèbres de dinosaure ! Avec l’aide des carriers, un sondage est réalisé début 2010, et l’on s’aperçoit rapidement que sont préservés des dinosaures mais aussi des crocodiles, des tortues, des plantes, du bois (dont deux troncs d’arbres gigantesques), des invertébrés et toutes sortes de mammifères mesurant de 3 cm à 30 m de long… Une première fouille du musée d’Angoulême, de l’université de Rennes et du Museum national d’Histoire naturelle se met en place et un grand fémur de 2 m est dégagé. Ce site est extraordinaire par sa richesse, sa diversité et l’état de conservation des vestiges : c’est un véritable instantané d’un écosystème complet daté de 140 millions d’années (pour mémoire, les dinosaures ont disparu il y a 65 millions d’années…). L’environnement marécageux, riche en argile, a permis l’excellente préservation de ces vestiges. Chaque année, nous menons trois à quatre semaines de fouilles, qui nous permettent ensuite de travailler les onze mois suivants.

Vue du site de fouilles.

Vue du site de fouilles. © Grand Cognac

Quelles découvertes paléontologiques y avez-vous faites ? 

Angeac a été déclaré « gisement à préservation exceptionnelle par concentration » ; il n’a aucun équivalent en France. Sur environ 1 000 m2, nous avons répertorié plus de 10 000 fossiles sur des centaines de milliers d’autres spécimens qui n’ont pas encore été précisément étudiés. Angeac abrite tous les types de dinosaures connus. Je citerai d’abord deux espèces de sauropodes. Le premier, identifié par son fémur dès 2010, appartient aux turiasaures, que l’on ne connaissait pas en France auparavant. À chaque campagne, nous en trouvons des fragments (trois ou quatre individus sont sans doute conservés, avec plus de 150 dents !), mais nous n’avons pas encore de squelette complet articulé. Le second, sorti l’année dernière, est proche du camarasaure (je précise que tous les dinosaures d’Angeac appartiennent à de nouvelles espèces et devront donc d’ailleurs être plus spécifiquement nommés). Tout à fait inattendu, ce dernier est apparu articulé, sur une surface de 40 m2. Pour l’instant, il a livré quatre vertèbres dorsales, une vingtaine de côte, trois os du bassin, un fémur, une bonne partie de la mâchoire inférieure et une vingtaine de dents. D’après ces éléments, il serait donc de taille plutôt modeste (de 15 à 20 m) pour un poids assez imposant (une trentaine de tonnes).
Mais les stars du site sont des ornithomimosaures (littéralement le lézard qui mime l’oiseau) : nous en avons 70 spécimens (plus ou moins complets) découverts au même endroit. Ce troupeau a sans doute été emporté par une crue, ce qui nous permet, pour la première fois, de travailler sur un bel échantillon de population – en étudiant par exemple le dimorphisme sexuel ou les stades et la vitesse de croissance des os, etc. Nous avons également identifié des stégosaures – bien connus du grand public pour leurs grandes plaques osseuses présentes sur leur dos. On voit donc que dans un même écosystème se côtoyaient plusieurs espèces différentes : à côté d’au moins huit herbivores, chacun adapté à un type de nourriture, vivaient des gros carnivores ; nous ne cernons toutefois pas encore très bien ces derniers car nous n’avons que leurs dents, mesurant pour les plus grandes une quinzaine de centimètres !

Mise au jour des os de dinosaures.

Mise au jour des os de dinosaures. © Grand Cognac

Dans quel paysage vivaient ces dino­saures ?

Il est difficile de se figurer cet environnement mais il devait sans doute être assez proche de celui de l’île aux pins en Nouvelle-Calédonie avec un paysage de conifères sans plantes à fleurs. Si les dinosaures se déplacent dans cette région, en y laissant leurs empreintes de pattes, vivent notamment là des crocodiles (quatre espèces sont actuellement connues avec des écologies variées) et plusieurs types de tortues. Il est intéressant de voir que « nos » dinosaures ont différentes origines : le turiasaure est plutôt européen, l’ornithomimosaure asiatique, d’autres proviennent d’Amérique du Nord. Il y a 140 millions d’années, l’Europe est un archipel d’îles, qui communiquent entre elles en fonction des niveaux marins. À la fin du Jurassique, les mêmes familles de dinosaures se retrouvent en Europe, en Afrique et en Amérique ; Angeac est le seul gisement au monde datant de cette période, la plupart des autres remontant à 150 millions d’années. Il offre de fait un panorama extraordinaire des faunes et flores, reflet d’une Europe à la croisée des continents. Au cours du Crétacé, l’Atlantique s’ouvre petit à petit, la faune et les flores se régionalisent et deviennent plus endémiques.

Évocation du site d’Angeac avec les grands sauropodes et les ornithomimosaures.

Évocation du site d’Angeac avec les grands sauropodes et les ornithomimosaures. © Mazan

Pour aller plus loin
Jusqu’au 30 novembre, les visiteurs du site de fouilles ont la possibilité de découvrir le Tumulte, une exposition qui allie réalité virtuelle et projection à 360°, et qui plonge les participants au cœur d’une plaine tropicale vieille de 141 millions d’années. Développé par le Grand Cognac et Cortex Productions, le Tumulte permet d’évoluer symboliquement au milieu des dinosaures découverts sur le site d’Angeac en Charente. www.destination-cognac.com/visites-patrimoine/le-site-paleontologique-dangeac-charente/
MAZAN, 2024, Les dinosaures du paradis. Naissance d’une aventure paléontologique, Paris, éditions Futuropolis.