Restauration d’un chef-d’œuvre : la Vierge à l’Enfant de Michel Colombe

Michel Colombe (vers 1430-1512), Vierge à l’Enfant, dite Vierge de La Carte (détail), vers 1500-1510. Terre cuite, 102 x 41 x 26 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Abdou Diouri
La restauration d’une éblouissante Vierge à l’Enfant en terre cuite de Michel Colombe (Bourges, vers 1430 – Tours, 1512), redécouverte au début du XXe siècle dans la chapelle d’un château de la région, est l’occasion pour le musée des Beaux-Arts de Tours de porter un regard neuf sur l’un des plus insignes maîtres de la sculpture tourangelle du début du XVIe siècle. Ce chef-d’œuvre habituellement conservé au Louvre est ainsi offert à la vue du public dans le contexte même de sa création.
Tellement tendre, tellement pure et humaine est cette Vierge allaitante de Michel Colombe ! Est-ce son commanditaire, Jacques de Beaune, qui la voulut ainsi ? Ne serait-ce pas plutôt le sculpteur qui lui proposa de son propre chef une telle représentation ? Nous ne le saurons sans doute jamais, les archives ne nous ayant révélé aucun marché à son sujet.
« [Jacques de Beaune] était un homme brillant, épris d’art et très attaché à sa ville de Tours, alors en pleine effervescence artistique. »
Le commanditaire, Jacques de Beaune
Maire de Tours en 1498 et 1499, gouverneur et bailli de Touraine en 1516, puis échevin jusqu’en 1518, et trésorier général des finances de Languedoil, Jacques de Beaune supervisa durant le règne de François Ier l’ensemble des finances du royaume, gérant ainsi la fortune de la mère du roi, Louise de Savoie. Dans les années 1520, peinant à fournir les sommes considérables qui lui étaient réclamées pour financer les guerres royales, il fut exclu par Louise de Savoie du Conseil des finances et accusé de concussion ; à la suite d’un procès, il fut emprisonné à la Bastille et pendu au gibet de Montfaucon le 12 août 1527.

Michel Colombe (vers 1430-1512), Vierge à l’Enfant, dite Vierge de La Carte (détail), vers 1500-1510. Terre cuite, 102 x 41 x 26 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Abdou Diouri
Un homme épris d’art
Bien connu de la reine Anne de Bretagne, il était un homme brillant, épris d’art et très attaché à sa ville de Tours, alors en pleine effervescence artistique. C’est ainsi qu’il fit appel aux artistes locaux, les frères François, pour édifier la fontaine de Beaune-Semblançay aux armes de Louis XII et d’Anne de Bretagne. Il se fit construire un hôtel particulier dans sa ville et, en 1497, le château de La Carte à Ballan-Miré, tout près de Tours, commandant pour la chapelle de ce dernier des tapisseries et des vitraux ainsi que des enluminures à Jean Poyer (actif de 1483 – ou peut-être 1465 – jusqu’à sa mort, avant 1504), qui travailla pour Anne de Bretagne.
La Vierge du château de La Carte
Jacques de Beaune avait commandé dans les années 1500-1510 cette Vierge qu’il plaça sur l’autel de la chapelle, où elle demeura jusqu’en 2025. Le château passa de main en main. M. Duché, son propriétaire à la toute fin du XIXe siècle, en fit réaliser en 1893 deux moulages, l’un fut placé en extérieur sur la porte de la chapelle, et il offrit le second au musée de Sculpture comparée (aujourd’hui inclus dans la Cité de l’architecture et du patrimoine). Le 17 juin 2025, le ministère de l’Économie et des Finances, propriétaire du château depuis 1955, le mit en vente.

Michel Colombe (vers 1430-1512), Vierge à l’Enfant, dite Vierge de La Carte, vers 1500-1510. Terre cuite, 102 x 41 x 26 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Abdou Diouri
L’attribution à Michel Colombe
Dès 1901, Paul Vitry, qui avait consacré sa thèse de doctorat aux origines de la Renaissance en France, découvrit la statue et n’hésita pas à l’attribuer à cet artiste tourangeau majeur qu’était Michel Colombe, attribution qui sera retenue par les spécialistes Louis Courajod, puis Jean René Gaborit et Jean-Marie Guillouët ; Geneviève Bresc-Bautier en démontra à son tour la pertinence et obtint son prêt en 2010 pour l’exposition « France 1500 » au Grand Palais.
Huit mois de restauration
La radiographie en lumière radio-luminescente menée par le C2RMF a révélé qu’au cours du temps, il y eut plusieurs fissures masquées par des couches de plâtre et un badigeon, que le bras droit de la Vierge et sa main gauche, séparés de la statue à la suite de cassures, avaient été refixés, et qu’il y eut également des reprises tardives en terre cuite au long de certains plis. Ces réparations anciennes ont été supprimées et ont permis de comprendre l’élaboration de la statue par Colombe.

Michel Colombe (vers 1430-1512), Vierge à l’Enfant, dite Vierge de La Carte (détail), vers 1500-1510. Terre cuite, 102 x 41 x 26 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Abdou Diouri
Péripéties d’un chef-d’œuvre
Proposée à la vente à l’hôtel Drouot le 24 février 1975, son acquéreur, le marchand d’art Alain Moatti, ne put exporter aux États-Unis la Vierge qui fut arrêtée en douane. Après avoir été étudiée par le comité de la Réunion des musées nationaux et classée, elle fut achetée en 1976 par un particulier qui, le 30 novembre 2022, la mit à son tour en vente à l’hôtel Drouot où le Louvre l’acquit par préemption pour le département des Sculptures1.
Une sculpture hors du commun
La Vierge est haute de 102 centimètres, une dimension exceptionnelle pour une terre cuite qui n’est en rien un modèle destiné à être traduit en matériau pérenne, marbre ou bronze. La statue, en dépit de légères restaurations, est restée au cours des siècles étonnamment intacte.

Michel Colombe (vers 1430-1512), Vierge à l’Enfant, dite Vierge de La Carte (détail), vers 1500-1510. Terre cuite, 102 x 41 x 26 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Abdou Diouri
Marie est debout, tenant dans le creux de son bras gauche Jésus assis qui, entièrement nu, la regarde en agitant ses petits bras. Elle est une toute jeune femme, offrant à l’adoration le pied droit du bébé. En pressant son mamelon entre l’index et le majeur, elle lui offre son sein que dévoile un tissu léger. Un voile, posé au sommet de son délicat visage ovale, dégageant son front bombé et ses oreilles, est rejeté à l’arrière en deux pans superposés, le second laissant apparaître une longue chevelure. La robe ajustée moule son torse et se serre à la taille par une ceinture en ruban, et par-dessus un ample manteau tombe à partir des épaules à l’arrière en grands aplats verticaux mais s’anime sur le devant et les côtés en multiples plis et couvre la Vierge jusqu’aux pieds. Par son harmonie et son humanité, cette Vierge suscite la contemplation.

Michel Colombe (vers 1430-1512), Vierge à l’Enfant, dite Vierge de La Carte, vers 1500-1510. Terre cuite, 102 x 41 x 26 cm. Paris, musée du Louvre. Photo service de presse. © GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Abdou Diouri
La brillante carrière de Michel Colombe
L’exposition de Tours démontre l’originalité de cette Vierge en regard d’autres Vierges contemporaines sculptées en Touraine. Son thème de Virgo lactans, s’il a été traité par des peintres du Nord de l’Europe, est en revanche tout à fait exceptionnel en sculpture. Un rapprochement éloquent avec La Vierge et l’Enfant entourés d’anges du diptyque de Melun (Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten), peinte vers 1452-1455 par Jean Fouquet, ne saurait étonner, Colombe et Fouquet se connaissaient de longue date.
Le relief de Saint Georges combattant le dragon (Paris, musée du Louvre), sculpté dans le marbre par Colombe, à la demande du cardinal d’Amboise, pour la chapelle de son château de Gaillon, est bien documenté ; il donne de précieuses informations non seulement sur Colombe, mais aussi sur les sculpteurs dont il s’entourait dans son atelier.

Jean Fouquet (vers 1420 – entre 1478 et 1481), La Vierge et l’Enfant entourés d’anges, panneau de gauche du diptyque de Melun, vers 1452-1455. Huile sur bois, 92 x 83,5 cm. Anvers, Koninklijk Museum voor Schone Kunsten (KMSKA). Photo Collection KMSKA – Communauté flamande
Michel Colombe en quelques dates
Vers 1430 Naissance à Bourges de Michel Colombe où son père, le sculpteur Philippe Colombe, le forme à son art. Un second fils, Jean, sera un enlumineur réputé.
8 février 1462 Philippe IV de Bar lui commande cinq grandes statues : la Vierge et les saints André, Jacques, Madeleine, Catherine, terminées en mars 1464 (disparues) pour son château de Baugy (Cher).
1474 Louis XI lui commande une maquette pour son propre tombeau à Notre-Dame de Cléry, à laquelle participe le peintre Jean Fouquet.
1484 M. Colombe participe au décor éphémère célébrant l’entrée à Moulins de Catherine d’Armagnac, seconde épouse de Jean II de Bourbon, en réalisant en papier mâché des éléphants et des animaux sauvages.
1500 Il fournit le modèle de la Médaille en or de Louis XII (BnF, Cabinet des Médailles, série royale n°49).
1500-1506 M. Colombe, assisté de G. Regnault et J. Pacherot, sculpte en marbre le Tombeau des Dauphins de France, commandé par la reine Anne de Bretagne (Tours, cathédrale Saint-Gatien).
Entre 1500 et 1510 M. Colombe modèle en terre cuite la Vierge allaitante pour le château de la Carte, à la demande de Jacques de Beaune.
1502-1507 M. Colombe, assisté de G. Regnault et de J. Pacherot, sculpte en marbre le Tombeau de François II de Bretagne et Marguerite de Foix d’après le dessin de Jean Perréal, commandé par Anne de Bretagne.
1506 Anne de Bretagne commande à M. Colombe le Tombeau de Mgr. Guillaume Guégen, son confesseur, pour la cathédrale de Nantes ; il n’en subsiste que l’enfeu.
11 novembre 1506 Claude de Troyes commande à M. Colombe assisté de G. Regnault et du peintre B. du Patiz, une Mise au tombeau (disparue) composée de sept statues pour l’église Saint-Sauveur de La Rochelle.
Vers 1506 Retable en marbre de la Mort de la Vierge (détruit) pour l’église Saint-Saturnin de Tours.
1508-1509 Saint Georges combattant le dragon, relief en marbre par M. Colombe et cadre par J. Pacherot (musée du Louvre, MR 1645), commandé par le cardinal Georges d’Amboise pour la chapelle de son château de Gaillon.
3 décembre 1511 Marguerite d’Autriche commande à M. Colombe le Tombeau de Philibert le Beau pour le monastère de Brou. Très malade, Colombe n’honorera pas cette commande.
1512 Décès de M. Colombe à Tours.

Michel Colombe (relief) ; Jérôme Pacherot, Jean Chersalle et Bertrand de Meynal (cadre), Saint Georges combattant le dragon, 1508-1509. Marbre, 128,5 x 182,5 x 17 cm, Paris, musée du Louvre. © musée du Louvre, Dist. GrandPalaisRmn / Thierry Ollivier
Deux insignes monuments funéraires
L’exposition se poursuit dans la cathédrale Saint-Gatien de Tours où deux chefs-d’œuvre monumentaux de l’artiste ont été pour l’occasion restaurés et réunis. Tous deux ont été commandés en 1499 par la reine Anne de Bretagne : le Tombeau de François II de Bretagne et Marguerite de Foix provient de la cathédrale de Nantes, et le Tombeau des Dauphins de France, Charles-Orland et Charles, fils d’Anne et du roi Charles VIII, morts en bas âge, fut commandé pour la collégiale Saint-Martin de Tours, puis installé à Saint-Gatien. À l’exécution de ces deux monuments ont participé, outre majoritairement Michel Colombe, deux excellents sculpteurs de son atelier : Guillaume Regnault et Jérôme Pacherot.

Jean Perréal, Michel Colombe, Guillaume Regnault et Jérôme Pacherot, Tombeau de François II de Bretagne et Marguerite de Foix dit tombeau des ducs de Bretagne (1502-1507). Détail : La Prudence, l'une des quatre Vertus cardinales encadrant le tombeau. Marbres blanc, noir et rouge, serpentinite, albâtre, 216 x 404 x 233 cm. Nantes, cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul. © AdobeStock / Angelina Cecchetto
Le Tombeau de François II de Bretagne et Marguerite de Foix
Le premier tombeau, dont l’architecte et peintre Jean Perréal avait fourni le dessin, montre les défunts en gisants, leur chef étant soutenu par de merveilleux anges agenouillés ; à leurs pieds, un lion et un lévrier présentent des blasons armoriés ; le décor du sarcophage se déploie sur deux registres : en bas sont assis ou agenouillés dans des coquilles douze pleurants en serpentine que l’on attribue à Pacherot, qui est également l’auteur du décor en schiacciato (technique par laquelle le sculpteur crée un relief très peu profond, creusé sur quelques millimètres seulement) des candélabres ; au-dessus, dans des niches, se déploient les statuettes du cortège apostolique ainsi que Charlemagne, Saint Louis, sainte Marguerite et saint François d’Assise ; quatre admirables statues de Vertus cardinales encadrent le monument.

Jean Perréal, Michel Colombe, Guillaume Regnault et Jérôme Pacherot, Tombeau de François II de Bretagne et Marguerite de Foix dit tombeau des ducs de Bretagne (1502-1507) (détail). Marbres blanc, noir et rouge, serpentinite, albâtre, 216 x 404 x 233 cm. Nantes, cathédrale Saint-Pierre-et-Saint-Paul. © AdobeStock
Les collaborateurs de Michel Colombe
La carrière de Guillaume Regnault, neveu de Michel Colombe, désormais mieux connue, permet ici de lui attribuer la Vierge d’Olivet (Paris, musée du Louvre). Quant à Jérôme Pacherot (Girolamo Paciarotto), artiste italien de Fiesole, installé à Amboise puis à Tours de 1495 à 1540, il est responsable du décor époustouflant et totalement italianisant du sarcophage du second monument, celui des Enfants de France, avec des spiritelli, des dauphins, des pattes de lion aux angles et, dans des acanthes, la geste d’Hercule et celle de Samson.

Attribué à Michel Colombe, Guillaume Regnault et Jérôme Pacherot, Tombeau de Charles-Orland et de Charles, fils de la reine Anne de Bretagne et du roi Charles VIII, dit aussi Tombeau des Dauphins de France. Marbre blanc de Carrare, marbre gris foncé et noir, traces de dorure et de polychromie, 115 x 183 x 83 cm. Tours, cathédrale Saint-Gatien. © AdobeStock
Se rendre à Tours, découvrir dans le musée la Vierge de La Carte et, dans la cathédrale Saint-Gatien, les deux monuments funéraires, offre un immense plaisir esthétique et un renouvellement passionnant de nos connaissances dans ce contexte privilégié, à la fois sur Michel Colombe et également sur ces deux remarquables sculpteurs de son entourage, Guillaume Regnault et Jérôme Pacherot.
1 L’œuvre fut alors adjugée 4 699 000 € (frais inclus) par la maison Auction Art Rémy Le Fur & Associés.
« Renaissance d’une œuvre. La Vierge à l’Enfant de Michel Colombe », jusqu’au 3 novembre 2025 au musée des Beaux-Arts, 18 place François Sicard, 37000 Tours. Tél. 02 42 88 05 90. www.mba.tours.fr
Catalogue, coédition Liénart / musée des Beaux-Arts de Tours, 168 p., 24 €.





