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Quand la peinture entre en résistance : la Fondation de l’Hermitage célèbre l’âme polonaise

Edward Okuń (1872-1945), Nous et la guerre, 1917-1923. Huile sur toile, 88 x 111 cm. Varsovie, musée national de Varsovie.

Edward Okuń (1872-1945), Nous et la guerre, 1917-1923. Huile sur toile, 88 x 111 cm. Varsovie, musée national de Varsovie. Photo service de presse. © Musée national de Varsovie

À l’issue de trois partages successifs (1772, 1793 et 1795), la Pologne est dépecée par la Prusse, l’Autriche et la Russie. En 1795, la République des Deux Nations, qui réunissait le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie, disparaît de la carte. La période allant de 1795 à 1918, année de la proclamation de la Deuxième République polonaise, est connue comme celle de « l’esclavage de la nation ». Sur leur terre et dans le reste de l’Europe, des intellectuels et des artistes ont entretenu la mémoire de leur pays, construisant dans la résistance une forte identité polonaise. Les peintres célébraient leur terre et faisaient entrevoir à leurs compatriotes un avenir de liberté. Réunissant 100 chefs-d’œuvre du musée national de Varsovie à la Fondation de l’Hermitage (Lausanne), l’exposition « La Pologne rêvée » brosse un saisissant panorama de ce mouvement jusqu’à l’entre-deux-guerres.

La promesse d’une fière jeunesse

Couvert d’honneurs de son vivant, le peintre académique Jan Matejko (1838-1893) demeure aujourd’hui très célèbre. Fourmillant de personnages, ses tableaux d’histoire pouvaient paraître complexes et même obscurs à ses compatriotes, et plus encore aux Français qui voyaient ses œuvres au Salon parisien. Sa grande virtuosité et ses talents de coloriste en faisaient un excellent portraitiste. L’artiste montre ici le caractère hardi de sa fille Helena, alors âgée d’environ seize ans, dans une composition rappelant La Fillette au faucon (Mademoiselle Fleury en costume algérien) (1882) d’Auguste Renoir. À la même époque, il peignit également sa cadette, Beata, accompagnée d’un canari.

Jan Matejko (1838-1893), Portrait d’Helena Matejko, fille de l'artiste, avec un épervier, 1882-1883. Huile sur panneau de bois de chêne, 115,5 x 72 cm. Collection particulière, en dépôt au musée national de Varsovie.

Jan Matejko (1838-1893), Portrait d’Helena Matejko, fille de l'artiste, avec un épervier, 1882-1883. Huile sur panneau de bois de chêne, 115,5 x 72 cm. Collection particulière, en dépôt au musée national de Varsovie. Photo service de presse. © Musée national de Varsovie

Sous les auspices des puissances divines

Né dans une famille de la noblesse, Jacek Malczewski (1854-1929) a mis son pinceau au service de la résistance polonaise, mais son inspiration allait bien au-delà. Ses lectures de philosophes et de poètes et son intérêt pour la religion et les mythologies européennes et méditerranéennes rencontrées lors de ses voyages l’inscrivent dans un courant symboliste. Ses nombreux autoportraits montrent aussi ses questionnements sur le rôle de l’artiste. Ange, je te suivrai fait référence à un poème de Teofil Lenartowicz sur la destinée humaine. Il montre l’extraordinaire talent d’un peintre formé au réalisme par le coloriste Matejko et ayant adopté une palette claire dans la lignée des impressionnistes.

Jacek Malczewski (1854-1929), Ange, je te suivrai, 1901. Huile sur carton, 34,5 x 28 cm. Varsovie, musée national de Varsovie.

Jacek Malczewski (1854-1929), Ange, je te suivrai, 1901. Huile sur carton, 34,5 x 28 cm. Varsovie, musée national de Varsovie. Photo service de presse. © Musée national de Varsovie

Plusieurs peuples, une seule âme

La République des Deux Nations unissait la Pologne et la Lituanie, mais aussi les territoires correspondant à l’Ukraine et au Bélarus actuels, peuplés de paysans et de montagnards. Le mouvement folkloriste présent à cette époque dans toute l’Europe poussa les intellectuels vers ces populations qu’ils voyaient comme les dépositaires de l’esprit de la nation polonaise et qu’ils eurent à cœur de rallier à la cause de la patrie. Au début du XXe siècle, Władysław Jarocki (1879-1965) s’intéressa aux Houtsoules des Carpates orientales. Plus tard, il peignit les Gorales, un peuple montagnard des Tatras (Carpates occidentales).

Władysław Jarocki (1879-1965), Houtsoules dans les Carpates, 1910. Huile sur toile, 201 x 282 cm. Varsovie, musée national de Varsovie.

Władysław Jarocki (1879-1965), Houtsoules dans les Carpates, 1910. Huile sur toile, 201 x 282 cm. Varsovie, musée national de Varsovie. Photo service de presse. © Musée national de Varsovie

Beauté des paysages ancestraux

Comme beaucoup d’autres artistes contemporains, Julian Falat (1853-1929) se forme à Munich puis voyage en Europe. Dès 1881, il est un aquarelliste et illustrateur célèbre. Il représente notamment des paysans dans un style réaliste et peint en plein air des paysages aux couleurs claires. Au cours d’un tour du monde d’un an, en 1885, il est fasciné par l’estampe ukiyo-e et par le rapport étroit qu’entretiennent les Japonais avec la nature. Il s’en souviendra pour ses paysages de neige peints dans les montagnes des Beskides, en Silésie, où il s’installe en 1910. Né dans un village pauvre, Falat eut un destin hors du commun, un temps proche de l’empereur de Prusse Guillaume II puis recteur de l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie.

Julian Falat (1853-1929), Paysage d'hiver avec rivière et oiseau, 1913. Huile sur toile, 106 x 135 cm. Varsovie, musée national de Varsovie.

Julian Falat (1853-1929), Paysage d'hiver avec rivière et oiseau, 1913. Huile sur toile, 106 x 135 cm. Varsovie, musée national de Varsovie. Photo service de presse. © Musée national de Varsovie

Veiller sur le trésor qu’est la patrie

Inspiré par l’estampe japonaise, Edward Okuń (1872-1945), peintre symboliste de la mouvance Art nouveau, personnifie la guerre par une femme aux pieds nus, dont la position rappelle La Princesse Kiyo se changeant en serpent (1890) de Tsukioka Yoshitoshi. Le fond montre un combat de Rois-Dragons tandis que l’impassibilité des personnages évoque celle que la littérature japonaise attribue aux sages en proie aux yokaï, ces êtres fantastiques de la mythologie locale. Okuń se représente marchant, concentré, au côté de son épouse, Zofia. Ils veillent au milieu du chaos sur trois fleurs de lotus qui symbolisent la patrie. L’œuvre, entamée en 1917, en Italie, où vivait le couple, a été achevée dans la Pologne ressuscitée.

Edward Okuń (1872-1945), Nous et la guerre, 1917-1923. Huile sur toile, 88 x 111 cm. Varsovie, musée national de Varsovie.

Edward Okuń (1872-1945), Nous et la guerre, 1917-1923. Huile sur toile, 88 x 111 cm. Varsovie, musée national de Varsovie. Photo service de presse. © Musée national de Varsovie

« La Pologne rêvée. 100 chefs d’œuvre du musée national de Varsovie », jusqu’au 9 novembre 2025 à la Fondation de l’Hermitage, 2 route du Signal, 1018 Lausanne. Tél. 00 41 21 320 50 01. https://fondation-hermitage.ch

Catalogue, coédition Fondation de l’Hermitage / Snoeck, 184 p., 38 €.