
Créée en 1994 dans la villa dessinée par Hans Hartung où le peintre vécut ses dernières années en compagnie de l’amour de sa vie Anna-Eva Bergman, la fondation Hartung-Bergman a pour mission de faire rayonner l’œuvre des deux artistes. Elle a ouvert au public après deux années de travaux.
Nichée sur les hauteurs d’Antibes au milieu d’une oliveraie multi-centenaire de deux hectares, la sobre villa blanche a été conçue par Hans Hartung avec l’aide de son ami Mario Jossa qui dirigea le bureau parisien de l’architecte moderniste Marcel Breuer. Composée de plusieurs cubes harmonieusement assemblés autour de deux cours, la bâtisse de plain-pied (amputé d’une jambe, Hartung se déplaçait en fauteuil roulant) déploie une esthétique élémentariste et méditerranéenne. La plus grande cour abrite une piscine entourée d’un vaste patio, d’où l’on bénéficie d’une vue plongeante sur le champ d’oliviers et, en contrebas, sur les ateliers d’une blancheur immaculée. Profondément attaché à la nature (Anna-Eva Bergman a grandi en Norvège dans un milieu rural), le couple souhaitait que le parc restât intact et aucun arbre ne fut abattu, l’architecture tourne autour des oliviers. « La construction fut pour nous une longue patience, parfois une épreuve de force » confiait Hans Hartung, « mais j’ai tenu bon et notre maison est enfin telle que nous la rêvions. J’en suis fier. » Les deux artistes s’installent à Antibes en 1973 et ils y demeurent jusqu’à la fin de leurs jours ; Anna-Eva décède en 1987 et Hans en 1989.
L’atelier d’Hartung reconstitué
Afin d’accueillir du public, il a fallu repenser les espaces, à l’entrée de la propriété un nouveau bâtiment s’harmonisant avec l’architecture des lieux a été construit par Cristiano Isnardi. Il conduit à la boutique par un escalier dont les murs sont ornés de photographies et de dates évoquant les grandes étapes de la vie des deux artistes. Puis un chemin serpente au milieu des oliviers et conduit vers les ateliers vibrant de leur présence. L’atelier d’Hans Hartung a été reconstitué, on y a tout replacé : pinceaux mais aussi râteaux, sarcloirs, balais de genêts, tyroliennes à projeter de l’enduit, sulfateuses à oliviers qu’il utilisait pour peindre à la fin de sa vie, jusqu’aux tapis de sol maculés de peinture et à son fauteuil roulant retrouvés dans la cave. Les murs de la pièce conservent les traces des projections de peinture ; en fond sonore sont diffusés les morceaux de Bach qu’écoutait Hartung en peignant.

Un nouveau chapitre pour l’histoire de la Fondation
« Le miracle de cette villa est que tout son patrimoine a été préservé. On y est accompagné par deux fantômes bienveillants » explique Thomas Schlesser, critique d’art et directeur de la Fondation depuis 2014. Privée, elle a pour mission de conserver les fonds d’oeuvres des deux artistes et de gérer leurs milliers d’archives. Ils gardaient tout, le moindre objet, la moindre lettre ou carte postale jusqu’à des ours en peluche… un véritable inventaire à la Prévert. Les documents ont été numérisés et conservés dans la partie haute de la villa consacrée au nouveau centre de recherche, qui déploie une bibliothèque (avec rangés à part les livres personnels d’Hans et d’Anna), une photothèque riche de quelque 30 000 clichés, une pièce réservée aux catalogues des oeuvres classées méthodiquement de leur vivant. Une douzaine de personnes travaillent à plein temps. À cela s’ajoute un auditorium où sont projetés des documentaires. La Fondation va proposer des programmes par cycles biannuels, le premier portera sur les « sciences et abstractions ». La villa offre également aux chercheurs un lieu de résidence d’une extraordinaire sérénité.
Un coup de foudre et deux mariages
Hans et Anna-Eva se rencontrent en 1929, à Paris, c’est un véritable coup de foudre et ils se marient six mois plus tard en Allemagne. En 1932, après la mort soudaine du docteur Hartung, le père d’Hans, ils se retrouvent à court d’argent et partent pour Minorque. Là, ils se font construire une maison dessinée par Anna-Eva ; ils attrapent le typhus ; puis on les accuse d’être des espions à la solde de l’Allemagne et ils sont chassés des Baléares. La montée du nazisme pousse alors Hans à émigrer vers la France ; le couple s’installe à Paris mais, en 1938, il se sépare. Lorsque la guerre éclate, Hartung s’engage dans la Légion étrangère afin de se battre contre son pays. Démobilisé à l’armistice, il fuit en zone libre puis passe clandestinement en Espagne où il est incarcéré ; en 1944, il se réengage dans la Légion étrangère mais il est gravement blessé et on l’ampute de la jambe droite (sa prothèse est exposée à la Fondation dans une curieuse pièce dévolue aux souvenirs où sont également conservées les urnes funéraires des deux artistes). Après la guerre démarre une période faste pour son art, il est régulièrement exposé à travers le monde : Biennale de Venise, Documenta à Kassel… En 1955, à Paris, à l’occasion d’une visite d’exposition, Hans et Anna-Eva se revoient ; bien que remariés chacun de leur côté, ils tombent dans les bras l’un de l’autre et convolent à nouveau pour ne plus jamais se quitter. En 1960, Hans Hartung reçoit le Grand Prix de peinture de la trentième Biennale de Venise, il est alors loué comme l’un des grands maîtres de l’abstraction.

Anna-Eva Bergman injustement restée dans l’ombre
Née à Stockholm en 1909 d’un père suédois et d’une mère norvégienne, Anna-Eva Bergman grandit en Norvège ; elle restera très attachée à l’univers minéral des paysages du Nord où dès l’enfance elle ramasse des multitudes de pierres. Ses débuts sont figuratifs et jusqu’à la fin des années 1940, elle travaille comme illustratrice ou pour la presse, avant de se lancer pleinement dans l’abstraction. Après avoir quitté Hartung, éprise de liberté, elle repart dans son pays et reprend sa nationalité norvégienne. Les toiles que l’on peut admirer à la Fondation sont saisissantes de beauté, notamment par son emploi de la feuille d’or et d’argent qui réfléchit la lumière sur des fonds colorés. Bergman était fascinée par l’horizon, le motif de la vague, la pluie, autant de thèmes qui apparaissent dans la lumière du Sud. Pourtant son art reste confidentiel. Les expositions du galeriste Jérôme Poggi amorcèrent certes le début d’une remise en lumière. « Il est scandaleux qu’Anna-Eva ne soit pas au panthéon des artistes du XXe siècle. Fort peu de ses tableaux figurent dans les collections publiques » s’insurge Thomas Schlesser qui publie en octobre une biographie de Bergman. C’est la raison pour laquelle, en 2017, la Fondation a offert 102 de ses oeuvres des années 1950 aux années 1980 au Musée d’Art Moderne de Paris (15 toiles, 15 oeuvres sur papier, 5 « mini-peintures » et 67 estampes) qui prépare pour octobre 2023 une rétrospective sur l’artiste. La galerie Perrotin collabore désormais avec l’estate de Bergman et lui rendra également hommage à New York en septembre-octobre 2022. La revalorisation de son art serait-elle enfin en marche ? Thomas Schlesser de conclure : « Il est temps de montrer le travail d’Anna-Eva à une nouvelle génération… ».
Nathalie d’Alincourt
Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman
173 chemin du Valbosquet, 06600 Antibes
Tél. 04 93 33 45 92
www.fondationhartungbergman.fr
La Fondation est ouverte de mai à septembre inclus, du mercredi au vendredi, de 10h à 18h en visites libres.
« Les archives de la création », jusqu’au 30 septembre 2022, dans les ateliers.