
Cézanne, Rodin, Van Gogh, Gauguin, Klimt, Ensor, Derain, Matisse, Picasso, Kandinsky, Mondrian… Les pionniers de l’art moderne ont investi les cimaises de la National Gallery de Londres. Provenant en large partie de collections privées ou lointaines, une centaine de tableaux et quelques sculptures des années 1886-1914 y éclairent l’avènement de la modernité artistique qui, dans le sillage de la révolution impressionniste, fleurit bientôt dans toute l’Europe.
Paul Cézanne, Vincent Van Gogh et Paul Gauguin. Une importante sélection témoignant des différentes facettes de l’art des trois maîtres français introduit le parcours. Issu de l’impressionnisme, leur œuvre précurseur irriguera celui de générations entières d’artistes ; remettant en cause forme, surface et espace, ils sonneront le glas de la figuration réaliste du monde qui jusqu’alors prévalait, lui substituant un nouveau langage pictural fondé sur une simplification des formes et une fragmentation des couleurs. Élaboré par Gauguin, le symbolisme pictural prône ainsi un non-naturalisme affirmant le primat de l’émotion et des idées abstraites.

De Bruxelles à Barcelone
Si Paris fut en son temps l’incontestable cœur battant de la modernité artistique, d’autres villes européennes tracèrent dans son sillage leur propre chemin vers l’avant-garde. L’exposition propose ainsi au visiteur de monter à bord d’un train filant de Paris à Bruxelles, où des artistes comme Théo van Rysselberghe – il faut admirer son fascinant Portrait d’Alice Sèthe et sa vue du Scheldt près d’Anvers baignée d’une lumière dorée – et Henry van de Velde livrent une version poétique du divisionnisme de Seurat, puis de Bruxelles à Barcelone, où Ramón Casas déclare vers 1900 sa flamme à la modernité en figurant une femme célibataire au volant d’une voiture flambant neuve filant droit sur le spectateur !

Sécession viennoise
Peut-être moins directement influencées par l’innovation parisienne, plusieurs villes situées plus à l’est font également entendre leur voix, donnant naissance à des mouvements sécessionnistes rejetant le naturalisme. Une dissidence portée à Berlin par Max Liebermann et à Vienne par Gustav Klimt qui bénéficie, contrairement à ses déclinaisons belge et espagnole, d’un bâtiment d’exposition dédié. Cette section offre l’occasion d’admirer l’un des chefs-d’œuvre du maître de la Sécession viennoise : l’émouvant et spectaculaire Portrait d’Adele Bloch-Bauer II, rendu à la famille du modèle en 2006 en même temps que sa fameuse version sur fond or ; un temps propriété de l’animatrice et productrice Oprah Winfrey, il a été cédé en 2017 à un collectionneur chinois pour 150 millions de dollars.

L’avènement de l’abstraction
Après un détour par l’expressionnisme allemand et le cubisme, le train de la modernité propose au voyageur une ultime étape en donnant à voir la quête de radicalité de Piet Mondrian : il livre dans les premières années du XXe siècle trois portraits d’un arbre isolé dont l’image se dissout progressivement jusqu’à n’être plus qu’une série de lignes et de courbes. L’abstraction est née.



Olivier Paze-Mazzi
« Après l’impressionnisme : l’invention de l’art moderne »
Jusqu’au 13 août 2023 à la National Gallery
Trafalgar Square, Londres
Tél. 00 44 20 7747 2885
www.nationalgallery.org.uk
Catalogue, National Gallery, 272 p., £35.