L’art autrement : regards choisis sur l’art.

 

Antoine Caron dans la lumière de la Renaissance

Antoine Caron (1521-1599), La Résurrection du Christ, vers 1584. Huile sur bois, 125 x 138 cm.
Beauvais, musée départemental de l’Oise. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Thierry Ollivier
Antoine Caron (1521-1599), La Résurrection du Christ, vers 1584. Huile sur bois, 125 x 138 cm. Beauvais, musée départemental de l’Oise. Photo service de presse. © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Thierry Ollivier

L’exposition déployée au musée national de la Renaissance château d’Écouen entend rendre toute sa place à cet insigne artiste aujourd’hui méconnu du grand public. Il fut pourtant éminemment célèbre de son vivant, lui qui travailla pour tous les rois de France, de François Ier à Henri IV, et pour la reine mère Catherine de Médicis.

Le propos se veut en partie monographique et thématique. Chronologique car l’exposition s’ouvre sur la période de formation du jeune artiste, employé sur les chantiers les plus prestigieux du milieu du siècle, les châteaux de Fontainebleau et d’Anet. Dans le premier, il collabore à l’ornementation de la galerie d’Ulysse, l’un des ensembles les plus importants conçus par Primatice. Dans le second, il s’affirme, dans les années 1550, comme le peintre officiel de Diane de Poitiers. Les œuvres exposées soulignent le magistère des deux Italiens présents en France, Primatice et surtout Niccolò dell’Abate qui peut être défini comme l’un des fondements les plus sincères à la manière virtuose et brillante de Caron.

Peintre : un métier polyphonique

L’exposition est aussi et surtout thématique car la vie et la carrière de ce dernier ne sont scandées que de très peu de dates sûres. Il s’agit ainsi d’évoquer la polyphonie du métier de peintre qui, à l’époque, ne se contente pas de prendre les pinceaux. Il dialogue étroitement avec les autres formes et techniques d’art. Dans ce sens, il fournit des modèles pour la gravure, la peinture, la tapisserie, le vitrail et probablement également pour les arts décoratifs. Des séquences tout au long de l’exposition cherchent à appréhender la culture visuelle de Caron : quelles œuvres ont nourri son imagination fertile ? En retour, on observe un engouement durable pour les créations de l’artiste, bien au-delà de sa mort en 1599. On ignore s’il était entouré d’un large atelier ou s’il faisait appel à des collaborateurs externes dans les moments de forte activité, notamment dans l’organisation des festivités du règne. Il n’en demeure pas moins évident qu’un véritable caronisme teinte la production française jusqu’au milieu du XVIIe siècle.

Suiveur d’Antoine Caron, La Mort de la femme de Sestos, 1580-1590. Huile sur bois, 65,4 x 81,2 cm. Écouen, musée national de la Renaissance. Photo service de presse. © RMN (musée national de la Renaissance) – S. Chan-Liat
Suiveur d’Antoine Caron, La Mort de la femme de Sestos, 1580-1590. Huile sur bois, 65,4 x 81,2 cm. Écouen, musée national de la Renaissance. Photo service de presse. © RMN (musée national de la Renaissance) – S. Chan-Liat

La prestigieuse tenture des Valois exceptionnellement réunie

Cette question du transfert des modèles est évoquée en fanfare grâce au prêt exceptionnel de La Tenture des Valois en provenance des Gallerie degli Uffizi de Florence. Commandées par Catherine de Médicis qui les offre ensuite à sa petite-fille à l’occasion de son mariage avec le Grand-Duc de Toscane en 1589, ces huit tapisseries n’ont pas été revues ensemble depuis le XVIe siècle. Leur présentation dans l’écrin de la Galerie de Psyché, dans le décor contemporain du château d’Écouen, est donc tout fait remarquable. Les précieuses com- positions, où triomphent les fils d’or et d’argent, témoignent du luxe déployé par les derniers Valois. À l’heure où gronde la fureur, dans la tourmente des guerres de Religion, Catherine de Médicis propose une image volontairement à rebours, centrée sur la fête, l’harmonie et la magnificence.

Atelier de Willem de Pannemaker d’après Antoine Caron, La Réception des ambassadeurs polonais aux Tuileries, fin des années 1570. Tapisserie de basse lisse, laine, soie, or et argent doré, 381,5 x 394,5 cm. Florence, galerie des Offices. Photo service de presse. © Domingie & Rabatti / La Collection
Atelier de Willem de Pannemaker d’après Antoine Caron, La Réception des ambassadeurs polonais aux Tuileries, fin des années 1570. Tapisserie de basse lisse, laine, soie, or et argent doré, 381,5 x 394,5 cm. Florence, galerie des Offices. Photo service de presse. © Domingie & Rabatti / La Collection

Propagande politique et familiale

Caron semble avoir réalisé des dessins en lien avec la tenture autour de 1573-1574, à l’époque de Charles IX. Le tissage n’a cependant lieu que sous le règne de son successeur, Henri III. Le royaume de Charles IX est donc glorifié au titre d’un âge d’or que l’on tente ainsi de ressusciter. La scénographie revient sur la complexité de la construction de ces images de propagande politique et familiale en confrontant les chefs-d’œuvre des Offices à l’évocation d’une documentation graphique qui a dû nourrir les ateliers du grand lissier Willem de Pannemaker, fournisseur de Charles Quint et Philippe II d’Espagne. Bien qu’elles incarnent les derniers feux de la grande tradition bruxelloise, les tapisseries constituent l’une des évocations les plus brillantes de l’esprit et de la sophistication de la Renaissance.

Ultimes projets

Caron a connu une longévité rare pour son temps en mourant à l’âge de 78 ans. À la veille de sa mort, il est toujours occupé à proposer des dessins à ses collègues : il dirige le projet d’illustration du texte antique de Philostrate, où il se confronte directement à l’art des Anciens. Il coordonne aussi la composition de La Belle Cheminée commandée par Henri IV pour Fontainebleau. Le roi Bourbon s’inscrit ainsi symboliquement dans la tradition du mécénat royal qui favorise, depuis François Ier, l’imaginaire de Caron au sein du château bellifontain depuis près de soixante ans.

Une conclusion spectaculaire

L’exposition se clôt sur une réunion spectaculaire de tableaux, certains totalement inédits, d’autres qui n’avaient pas revu l’Europe depuis 1972, date de la grande exposition sur l’école de Fontainebleau au Grand Palais. C’est le cas de Saint Denys l’Aréopagite en provenance du J. Paul Getty Museum de Los Angeles. Accroché à côté de l’Auguste et la sibylle, il raconte l’art de la mise en scène chez Caron, qui justifie le sous-titre de l’exposition. On assisterait presque à la représentation d’un mystère dans les rues de Paris ! Les strates symboliques se superposent : dans le tableau du Louvre, Charles IX est comparé à un nouvel Auguste, un nouveau Salomon, dans une capitale du royaume magnifiée et métamorphosée en nouvelle Jérusalem. Dans le tableau américain, l’une des plus belles peintures de l’art français, le saint de la monarchie française par excellence convertit les philosophes païens : tout un programme… L’exposition a été l’occasion de restaurations, de dépôts, d’acquisitions, de découvertes, de redécouvertes. C’est tout le théâtre de la Renaissance qui s’offre au visiteur, dans lequel le nom de Caron résonne comme un génial metteur en scène.

Antoine Caron (1521-1599), Saint Denys l’Aréopagite convertissant les philosophes païens,  début des années 1570. Huile sur bois, 92,7 x 72,1 cm. Los Angeles, The J. Paul Getty Museum. Photo service de presse. © Photo courtesy The J. Paul Getty Museum, Los Angeles
Antoine Caron (1521-1599), Saint Denys l’Aréopagite convertissant les philosophes païens, début des années 1570. Huile sur bois, 92,7 x 72,1 cm. Los Angeles, The J. Paul Getty Museum. Photo service de presse. © Photo courtesy The J. Paul Getty Museum, Los Angeles

Matteo Gianeselli


« Antoine Caron (1521-1599). Le théâtre de l’histoire »
Jusqu’au 3 juillet 2023 au musée national de la Renaissance – château d’Écouen
95440 Écouen
Tél. 01 34 38 38 50
www.musee-renaissance.fr

Catalogue, sous la direction de Matteo Gianeselli, RMN, 232 p., 40 €.

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