À la suite de Scènes des massacres de Scio en 2020 et des Femmes d’Alger en 2021, l’une des œuvres les plus emblématiques de Delacroix se voit actuellement offrir sa cure de jouvence. Conservant la quasi-totalité des grands formats du maître du romantisme, et en particulier ceux de sa jeunesse, le Louvre se penche sur La Mort de Sardanapale, terrible et imposant chef-d’œuvre peint par l’artiste en 1827 à l’âge de 29 ans.
Présentée au Louvre durant le Salon de 1827-1828, cette toile monumentale déploie un sujet rare, inspiré par une tragédie de Lord Byron : assiégé dans sa citadelle de Ninive, le tyran Sardanapale, souverain d’Assyrie, choisit de se donner la mort après avoir mis le feu à son palais, ordonné l’assassinat de ses favorites et esclaves et fait entasser sur son bûcher mortuaire l’ensemble de ses richesses. Conscient de l’inéluctabilité de sa chute, le satrape s’immole en emportant dans l’au-delà tout ce qui durant son règne avait constitué une source de jouissance. Un massacre teinté d’érotisme. Éros embrassant Thanatos.
Un échec critique
La profusion colorée, l’immoralité de l’œuvre et le chaos qu’elle met en scène scandalisent la critique qui inflige à l’artiste une cuisante déconvenue. Suprême affront : la toile ne trouve pas preneur. Une quinzaine d’années va s’écouler avant sa vente en 1846 au collectionneur Daniel Wilson. Hélas, comme le constate Delacroix dès 1849, le spectaculaire tableau se dégrade rapidement en raison de l’humidité du château d’Écoublay où il se trouve accroché. Les coutures unissant les trois grands lés composant la toile se défont rapidement. Une première restauration est alors conduite par la maison Haro, sous la supervision de l’artiste, entre 1856 et 1858 (incrustations de toile et rentoilage).
La « Grande Vadrouille »
En 1873, l’œuvre est vendue aux enchères à Paul Durand-Ruel. De Londres à Copenhague, le galeriste lui offre une tournée mondiale qui hélas nécessite de la rouler et de la dérouler à plusieurs reprises. Après quelques années, elle est revendue à James Duncan of Benmore, un physicien et collectionneur écossais. Tyran oriental, Sardanapale traverse donc bientôt la Manche pour gagner le froid comté d’Argyllshire où il renoue avec l’humidité. Il n’y restera guère : en 1889, le tableau est à nouveau mis à l’encan et emporté cette fois par Étienne François Haro, qui en avait naguère assuré la restauration. Il est vendu quelques années plus tard au baron Joseph Vitta avant de rejoindre enfin les collections publiques en 1921 à la faveur de son acquisition par la Réunion des Musées nationaux. Mis à l’abri au château de Sourches entre 1940 et 1946, il est rentoilé à son retour et présenté en salle Mollien où il se trouve encore aujourd’hui, après avoir occupé la salle Daru entre 1969 et 1994.
Repentir canin
Désormais confiée aux bons soins du C2RMF et de la restauratrice Cinzia Pasquali, la toile n’a révélé que peu d’accidents et présente un état général très satisfaisant. Les images scientifiques réalisées à cette occasion ont mis en évidence l’existence d’un repentir : Delacroix avait dans un premier temps imaginé placer un chien aux pieds de Sardanapale avant de se raviser, sans doute afin d’alléger sa composition. Les épais vernis qui ont déjà été retirés ont révélé des détails et des couleurs que les couches successives avaient fini par masquer. Le tableau sera rentoilé une nouvelle fois avant de vraisemblablement retrouver ses rouges cimaises en juin prochain ; une petite exposition-dossier célébrera alors ses couleurs retrouvées.
200 restaurations en 7 ans
Le Louvre a par ailleurs dévoilé le nom de la prochaine toile de Delacroix qui devrait prochainement faire l’objet d’une restauration. Il s’agit assurément de son plus célèbre chef-d’œuvre : La Liberté guidant le peuple. Depuis 2015, le département des Peintures affiche fièrement un bilan de près de 200 restaurations fondamentales, de La Belle Ferronnière de Léonard de Vinci (2015) à La Mère infortunée de Constance Mayer-Lamartinière (2022), en passant par La Vénus du Pardo de Titien (2016), les deux portraits des époux Soolmans de Rembrandt (2017), ou encore L’Inspiration du poète de Nicolas Poussin (2019) – que l’on peut actuellement admirer à Lyon dans la remarquable exposition consacrée au lien que le maître du classicisme français entretient dans son œuvre avec le thème de l’amour.
Olivier Paze-Mazzi