900 ans d’histoire à Fontevraud (4/7). La place des abbesses de Bourbon

Nef de l’abbatiale : les deux retables et l’esquisse des chapelles ont été recréés en bois. Y ont été placés les panneaux polychromes d’origine (scénographie MONsTR et J. Barbanègre) ; au-devant, les quatre gisants conservés, dans leur configuration actuelle. © Christophe Gagneux, Pixim-Communication
Derrière les murs de l’ancienne clôture de Fontevraud se cache un joyau de l’architecture monastique. Dans cette abbaye royale devenue redoutable prison, le visiteur attentif découvre, inscrites sur les murs de tuffeau, les traces de 900 ans d’histoire. À l’occasion de l’anniversaire de la naissance de sa plus célèbre pensionnaire, Aliénor d’Aquitaine (1124-1204), et de quarante années d’opérations archéologiques menées depuis 1983, Archéologia revient sur l’histoire mille-feuilles de ce lieu et des fouilles qui ont permis de mieux le comprendre.
Les auteurs de ce dossier sont : Nicolas Dupont, conservateur du patrimoine à l’abbaye royale de Fontevraud, et coordinateur du dossier ; Martin Aurell, professeur d’histoire médiévale à l’université de Poitiers, ancien directeur du Centre d’études supérieures de civilisation médiévale ; Florian Stalder, conservateur départemental des musées de Maine-et-Loire ; Jean-Yves Hunot, Pôle archéologie, Conservation du patrimoine de Maine-et-Loire, CReAAH – UMR 6566 ; Daniel Prigent, conservateur honoraire du patrimoine
Portail de la salle du chapitre avec la date portée de 1543. © Bruno Rousseau, Conservation départementale du patrimoine de Maine-et-Loire, Région Pays de la Loire – Inventaire général
Dans les derniers siècles du Moyen Âge, Fontevraud connaît de multiples crises : perte d’influence, usurpations, relâchement spirituel, chute des vocations et des revenus. Entre 1491 et 1670 se succèdent cinq abbesses de la maison de Bourbon qui orchestrent le renouveau de l’ordre. Cette pleine affirmation se fait notamment par des réaménagements majeurs au sein de l’abbaye elle-même.
Dès le XIIIe siècle, avec l’éloignement du soutien plantagenêt, Fontevraud perd ses appuis politiques. Aux siècles suivants, crises démographiques et guerre de Cent Ans (1337-1453) frappent durablement l’ordre : il exerce moins d’attrait, ses dons et revenus baissent et l’état des bâtiments s’en ressent. Les vocations se font plus rares. Le respect de la règle décline et certaines religieuses n’entendent plus vivre recluses. Dès 1458, Marie de Bretagne, abbesse de 1457 à 1477, tente de réformer son monastère, en vain : malgré l’appui du pape, elle doit fuir Fontevraud pour le prieuré de La Madeleine-lès-Orléans, qu’elle réforme. Abbesse de 1477 à 1491, Anne d’Orléans ne réussit pas non plus à accéder à Fontevraud. Mais avec Renée de Bourbon, née d’un lignage qui construit alors solidement son ascension, tout change.
Réforme, clôture et cloître
Abbesse de 1491 à 1534, Renée parvient l’année de sa nomination à entrer à Fontevraud, mais ce n’est qu’en 1504, avec le soutien du roi et le renfort de nouvelles religieuses, qu’elle impose la réforme dans l’abbaye-mère. Cela se traduit d’abord par la mise en place d’une grande grille de chœur qui, entre nef et transept de l’abbatiale, sépare frères et moniales. Elle s’accompagne du déplacement des gisants des Plantagenêts, que Renée installe dans le chœur des religieuses. En 1505, elle isole les couvents féminins derrière un mur de clôture long d’1,3 km, haut de 6 m et large d’1 m. Elle marque ainsi d’une puissante matérialité le vœu de réclusion des moniales. Si quelques travaux concernent d’autres bâtiments du complexe monastique, Renée donne la priorité aux restaurations du Grand Moûtier, avec la couverture de l’abbatiale et la rénovation du cloître. Le réfectoire est doté d’une large voûte gothique bombée qui porte un dortoir.
Un vocabulaire ornemental Rennaissance
En 1519, de premiers décors Renaissance apparaissent dans la galerie sud du cloître. Abbesse de 1535 à 1575, Louise de Bourbon poursuit la rénovation de ce dernier. Plusieurs galeries, le chapitre et le grand dortoir de l’aile orientale sont reconstruits, déclinant un vocabulaire ornemental Renaissance foisonnant vers 1540 (pour le chapitre) et plus savant vers 1560 (pour les galeries et l’escalier d’apparat du dortoir). Après des inondations catastrophiques en 1558, elle fait restaurer des bâtiments endommagés, dont ceux de Sainte-Marie-Madeleine et de Saint-Lazare. Éléonore de Bourbon, abbesse de 1575 à 1611 et tante d’Henri IV, achève les chantiers en cours d’un Grand Moûtier désormais rebâti, où ne sont conservées de l’époque romane que l’abbatiale, les cuisines et la volumétrie d’ensemble. Ses nouveaux projets s’attachent aux abords du couvent : à l’est, elle rebâtit en 1580 les infirmeries, ruinées par les inondations. À l’ouest, la crainte d’une épidémie en 1578 lui fait, par un pont enjambant une rue, rattacher au complexe monastique une grande parcelle qu’elle fait enclore de hauts murs et doter d’un logis (1580) et d’une chapelle (1589).
La cérémonie de bénédiction de Jeanne‐Baptiste de Bourbon en 1639 est l’occasion de mettre en scène son pouvoir et d’affirmer la puissance de son abbaye.
Embellissement de l’abbatiale
Au début du XVIIe siècle, les principaux bâtiments de l’abbaye ont été rénovés. Mais hormis quelques aménagements dus surtout à Renée, l’intérieur de l’abbatiale est resté dans sa configuration médiévale. En 1620, la tardive mise en application de la liturgie tridentine est l’occasion d’embellissements initiés par Louise de Bourbon-Lavedan, abbesse de 1611 à 1637. Sa commande d’un tabernacle trop grand pour l’autel oblige à en reprendre les fondations, ce qui entraîne la mise au jour de la tombe de Robert d’Arbrissel. L’abbesse décide alors en 1621 de magnifier le chœur : elle fait construire un grand autel architecturé et un mausolée où, en 1624, est sculpté un gisant du fondateur de l’ordre. Près de là, le cimetière des rois, où sont rassemblés les gisants des Plantagenêts, fait désormais piètre figure. Fille bâtarde mais légitimée d’Henri IV, demi-sœur de Louis XIII, mais aussi des reines d’Espagne et d’Angleterre, Jeanne-Baptiste de Bourbon, abbesse de 1637 à 1670, ne peut laisser ainsi ces effigies royales. Elle décide de différer sa cérémonie de bénédiction abbatiale, le temps d’embellir l’ensemble. Une nouvelle grille de chœur est commandée et, certainement inspirée par le décor baroque du Prytanée de La Flèche où a pris place le cœur de son père, elle fait réaliser dans le fond de la nef deux chapelles latérales voûtées d’ogives. L’une accueille le nouveau cimetière des rois, l’autre, en vis-à-vis, l’oratoire de l’abbesse ; deux autels s’adossent à ces chapelles.
Mise en scène du pouvoir
Dans une nef transformée par ce programme royal, la cérémonie de bénédiction de 1639, en présence de membres de la maison de France, est ainsi l’occasion pour Jeanne-Baptiste de Bourbon de mettre en scène son propre pouvoir et d’affirmer la puissance de son abbaye. Si plusieurs représentations du XVIIe siècle figurent le cimetière des rois, on ignorait tout des autels et de leur décor, que l’on croyait perdus depuis la Révolution. Une étude d’Inventaire général du patrimoine culturel a permis d’identifier, dispersés dans des églises du voisinage, les deux retables – en tuffeau et marbre rose et noir – et deux panneaux en bois – à reliefs polychromes – qui les ornaient. Cette redécouverte a donné lieu à une proposition de restitution temporaire in situ, en fac-similé et en vraie grandeur, présentée depuis septembre 2024 et à voir pour quelques mois encore à Fontevraud.
Sommaire
900 ans d’histoire à Fontevraud