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900 ans d’histoire à Fontevraud (5/7). Une abbaye devenue prison

Le cloître du Grand-Moûtiers de l'abbaye de Fontevraud.

Le cloître du Grand-Moûtiers de l'abbaye de Fontevraud. © Abbaye Fontevraud. Photo David Darrault

Derrière les murs de l’ancienne clôture de Fontevraud se cache un joyau de l’architecture monastique. Dans cette abbaye royale devenue redoutable prison, le visiteur attentif découvre, inscrites sur les murs de tuffeau, les traces de 900 ans d’histoire. À l’occasion de l’anniversaire de la naissance de sa plus célèbre pensionnaire, Aliénor d’Aquitaine (1124-1204), et de quarante années d’opérations archéologiques menées depuis 1983, Archéologia revient sur l’histoire mille-feuilles de ce lieu et des fouilles qui ont permis de mieux le comprendre.

Les auteurs de ce dossier sont : Nicolas Dupont, conservateur du patrimoine à l’abbaye royale de Fontevraud, et coordinateur du dossier ; Martin Aurell, professeur d’histoire médiévale à l’université de Poitiers, ancien directeur du Centre d’études supérieures de civilisation médiévale ; Florian Stalder, conservateur départemental des musées de Maine-et-Loire ; Jean-Yves Hunot, Pôle archéologie, Conservation du patrimoine de Maine-et-Loire, CReAAH – UMR 6566 ; Daniel Prigent, conservateur honoraire du patrimoine

Intérieur de l’église abbatiale libérée de ses planchers pénitentiaires lors de sa restauration au début du XXe siècle. Les coupoles détruites pour y aménager des dortoirs sont reconstruites lors de cette opération. Coll. archives départementales de Maine-et-Loire.

Intérieur de l’église abbatiale libérée de ses planchers pénitentiaires lors de sa restauration au début du XXe siècle. Les coupoles détruites pour y aménager des dortoirs sont reconstruites lors de cette opération. Coll. archives départementales de Maine-et-Loire. © Région Pays de la Loire, inventaire général

Confisquée par le pouvoir révolutionnaire, l’abbaye n’échappe pas au pillage, à la liquidation et à l’éparpillement de son mobilier. Après une tentative de vente immobilière en dix-neuf lots, l’État, dans le cadre d’une vaste réforme de son système judiciaire, transforme Fontevraud en prison. La « centrale » ferme officiellement ses portes en 1963 et les derniers détenus quittent le site en 1985.

En 1804, un décret napoléonien convertit d’anciennes abbayes en maisons centrales de correction pour y regrouper les détenus de différents départements.

Dix ans de travaux

Les abbayes du Mont-Saint-Michel ou de Clairvaux connaissent d’ailleurs le même sort. À Fontevraud, dix ans de travaux sont nécessaires avant de pouvoir accueillir, à partir de 1814, les premiers détenus, hommes, femmes et enfants. Ces aménagements consistent en la destruction de bâtiments monastiques peu adaptés aux nouveaux usages, la réorganisation intérieure de bâtiments existants ou l’édification de nouvelles constructions, notamment des ateliers, à l’emplacement des jardins de l’abbaye.

Une transformation salvatrice

Devenue prison, l’abbaye voit donc défiler des générations de détenus. L’administration ajuste le lieu à mesure de l’évolution de la doctrine (passage de dortoirs collectifs à un encellulement individuel) et de la population carcérales (accroissement du nombre de détenus, départ des femmes et des enfants de Fontevraud en 1850…), ou des changements d’affectation d’ateliers (où travaillent les détenus). C’est donc un espace en perpétuelle transformation. Incontestablement, les aménagements carcéraux ont altéré en profondeur les lieux jusqu’à modifier la topographie même du site. Les coupoles de l’abbatiale sont arrasées pour aménager les combles en dortoir, la salle du chapitre est transformée en magasin des vivres, et les gisants des Plantagenêts sont régulièrement déplacés. Mais la prison a permis la sauvegarde de la majorité des bâtiments là où d’autres abbayes, faute de réutilisation, ont servi de carrières de pierre. À Fontevraud, seul le prieuré des hommes, Saint-Jean-de-l’Habit, manque à l’appel car vendu à un maçon.

Une prise de conscience patrimoniale

Dès le début du XXe siècle, certains lieux symboliques, comme l’église abbatiale et les cuisines romanes, font l’objet de restaurations. Elles sont principalement l’œuvre de l’architecte en chef des Monuments historiques Lucien Magne. Pour la toiture de la cuisine, il s’appuie sur des éléments encore en place. Dans la nef, il rétablit les coupoles et décaisse le sol de 1,20 m pour retrouver un niveau du XIIe siècle. Cette intervention, à un moment où la méthodologie archéologique n’est pas encore établie, entame le potentiel scientifique de la nef. La prise de conscience patrimoniale et la mise en œuvre d’une architecture pénitentiaire dédiée amènent l’État à envisager sa fermeture dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. En 1963, le monument est confié au ministère des Affaires culturelles : une troisième vie commence.