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900 ans d’histoire à Fontevraud (6/7). Le haut potentiel archéologique du prieuré de la Madeleine

Sondage dans l’ancienne église prieurale.

Sondage dans l’ancienne église prieurale. © Hervé Paitier, Inrap

Derrière les murs de l’ancienne clôture de Fontevraud se cache un joyau de l’architecture monastique. Dans cette abbaye royale devenue redoutable prison, le visiteur attentif découvre, inscrites sur les murs de tuffeau, les traces de 900 ans d’histoire. À l’occasion de l’anniversaire de la naissance de sa plus célèbre pensionnaire, Aliénor d’Aquitaine (1124-1204), et de quarante années d’opérations archéologiques menées depuis 1983, Archéologia revient sur l’histoire mille-feuilles de ce lieu et des fouilles qui ont permis de mieux le comprendre.

Les auteurs de ce dossier sont : Nicolas Dupont, conservateur du patrimoine à l’abbaye royale de Fontevraud, et coordinateur du dossier ; Martin Aurell, professeur d’histoire médiévale à l’université de Poitiers, ancien directeur du Centre d’études supérieures de civilisation médiévale ; Florian Stalder, conservateur départemental des musées de Maine-et-Loire ; Jean-Yves Hunot, Pôle archéologie, Conservation du patrimoine de Maine-et-Loire, CReAAH – UMR 6566 ; Daniel Prigent, conservateur honoraire du patrimoine

Sondage cruciforme dans l’ancien cloître.

Sondage cruciforme dans l’ancien cloître. © Stéphane Augry, Inrap

Depuis le départ en 1985 des derniers détenus, le prieuré de la Madeleine n’a pas été occupé de manière pérenne. Il constitue une réserve foncière pour l’abbaye et un lieu à fort potentiel pour la recherche, qui a longtemps sous-estimé cet ensemble, considérant les vestiges monastiques détruits par les aménagements carcéraux. Mais des sondages ont révélé une puissance stratigraphique qui, exploitée, documenterait l’histoire de la communauté des sœurs converses demeurée à l’ombre de celle du Grand Moûtier.

Fermé au public, le prieuré n’a jamais fait l’objet d’une restauration. Barreaux, guérites, chenil, cuve de buanderie sont en place et l’esprit de la prison transpire encore des murs.

Un lieu méconnu

L’État, propriétaire de l’abbaye, y a installé un dépôt lapidaire, résultant des campagnes archéologiques réalisées depuis 1984. Le lieu allie le charme étrange de la ruine romantique et de la friche industrielle. Au creux du vallon de Fontevraud, ce prieuré abritait la communauté des sœurs converses : d’origine modeste, ces moniales assuraient le quotidien matériel de la communauté tandis que les aristocrates du Grand Moûtier se consacraient à une vie contemplative. Dévolu aux tâches logistiques, il a été fondé à proximité d’une source alimentant les lavoirs et à la confluence des cours d’eau de l’Arceau et de la Luzerne. Sa disposition suit celle du Grand Moûtier et de Saint-Lazare avec son église, son cloître, sa salle du chapitre, son réfectoire et son dortoir (sans la quatrième aile). Comme le prieuré des hommes aujourd’hui disparu, il affiche sa monumentalité, dans le contexte d’un ordre riche conduit par de puissantes abbesses : en témoignent les dimensions de l’église (30 x 8 m). L’administration carcérale en a détruit la toiture, la façade et le chœur, conservant les deux murs gouttereaux pour y ménager un chemin de ronde.

L’archéologie des invisibles

Ces destructions et multiples remaniements ont fondé la croyance que la Madeleine ne présentait aucun intérêt scientifique tant au niveau du bâti que du sous-sol. Les huit sondages réalisés par l’Inrap en 2013 sous la responsabilité de Stéphane Augry ont pourtant mis en évidence la sensibilité scientifique du site pressentie dès 1985 par Daniel Prigent. Ces opérations menées dans l’église, le cloître et la salle capitulaire ont révélé des sols et des sépultures parfaitement conservés. Les aménagements carcéraux, en agissant par remblaiement plutôt que par creusement, sont venus « sceller » ces niveaux antérieurs. La compréhension de la Madeleine reste un enjeu scientifique majeur pour les années à venir. Le rééquilibrage de nos connaissances entre le Grand Moûtier et le prieuré des sœurs converses offrirait un regard plus juste de l’histoire fontevriste, qui doit être fondée à la fois sur l’archéologie des puissants mais aussi sur celle des invisibles.