Afghanistan : 100 ans de recherches françaises (2/2). Les grands sites archéologiques

Dieu solaire Surya sur son char (détail). Relevé de peinture de la niche du Bouddha de 38 m, exécuté par Jean Carl en 1935. Gouache sur toile. H. 275 ; L. 186 cm. Fouilles de la DAFA, mission Joseph Hackin (1930). Paris, MNAAG, MG 24012. © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier / SP
Créée en 1922, la Délégation archéologique française en Afghanistan a profondément marqué la recherche scientifique dans ce pays. Afin de célébrer cet anniversaire, le musée national des arts asiatiques – Guimet propose à partir du 26 octobre 2022 une magistrale exposition, retraçant 100 ans de recherches archéologiques françaises en Afghanistan, et ce alors que le pays demeure aujourd’hui paralysé par le retour au pouvoir du régime taliban, qui fait craindre de nouvelles attaques contre le patrimoine.
La vallée de Bamiyan en 1969. © Ann & Bury Peerless Archive / Bridgeman Images
De la Protohistoire à l’époque médiévale, la DAFA a fouillé et prospecté quantité de sites à travers l’Afghanistan. Célèbres pour certains, méconnus pour la plupart, ils ont livré des vestiges aussi inattendus qu’exceptionnels dévoilant une histoire millénaire à la croisée des civilisations. Présentation de quelques-uns des plus beaux témoignages du pays des Cavaliers.
Par Nicolas Engel, conservateur en chef du patrimoine et commissaire de l’exposition « Afghanistan, ombres et légendes. Un siècle d’archéologie »
Le « maillon grec » de Bactriane : de Bactres à Aï Khanoum
Bercés par les auteurs grecs et latins mentionnant le royaume de Bactriane créé par les successeurs d’Alexandre le Grand au IIIe siècle avant notre ère, les savants européens sont fascinés par ce « royaume aux mille villes » situé aux portes de l’Asie. Durant le Moyen Âge islamique, le Roman d’Alexandre perpétue le souvenir du conquérant. Au XIXe siècle, les voyageurs occidentaux de passage dans la région tentent de reconstituer son périple. Fouiller à Balkh est donc incontournable même si Alfred Foucher aurait préféré rester à Kaboul et en Kapisa, où les sites qu’il nomme « gréco-bouddhiques » semblent si nombreux. Déçu par le résultat de ses recherches, il ironise sur le « mirage bactrien ». C’est seulement avec l’exploration d’Aï Khanoum (1964-1978), située à environ 300 km de Bactres, qu’une ville hellénistique est enfin mise au jour. Elle associe monuments et décors emblématiques du monde grec à un héritage architectural local, en briques crues. À Balkh, ce n’est qu’à partir de 2002 qu’une occupation hellénistique est enfin découverte.
Blocs grecs en remplois dans les niveaux kouchans à Balkh, 2006-2008. © DAFA / Philippe Marquis
Merveilleuse Hadda
Alfred Foucher se rend à Hadda en 1923 avec l’architecte et archéologue André Godard, qui y exhume les vestiges du monastère bouddhique de Tapa Kalan. Jules Barthoux y reprend les travaux, enchaînant une série impressionnante de fouilles (1926-1928) : monastères de Tapa Kalan, Bagh Gaï, Tapa-i Kafariha, Chakhil-i Ghoundi, Deh Ghoundi, Gar Nao et Prates. Face à l’hostilité de la population refusant le dégagement d’« idoles », il reçoit l’appui des autorités de Kaboul qui n’hésitent pas à recourir à la force. Les fouilles de Hadda révèlent un art du stuc très hellénisant et particulièrement inventif dans les physionomies des personnages secondaires. La diversité des matériaux et des styles suggère une occupation très longue du site, du Ier au VIIe siècle. Cette complexité sera confirmée par les fouilles afghanes qu’y mèneront Shaibaï Mostamandi puis Zemaryalaï Tarzi dès 1966.
Le « Génie aux fleurs » de Hadda. Monastère de Tapa Kalan. IVe siècle. Stuc. Fouilles de la DAFA, mission Jules Barthoux (1927). Paris, MMAAG. © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier
Les monastères de Kapisa et de Kaboul
Dès 1922, Foucher et Godard sillonnent les régions de Kaboul et de Kapisa à la recherche des monastères bouddhiques visités par le pèlerin chinois Xuanzang (602-664) en 628. Il y aurait eu là plus de cent monastères en activité, abritant quelque six mille moines. Diverses missions s’échelonnent, de 1924 à 1940, menées par Joseph Hackin et les autres membres de la DAFA Gabriel Jouveau-Dubreuil, Jules Barthoux, Jean Carl et Jacques Meunié. Il s’agit, en Kapisa, des monastères de Païtava, Karratcha, Shotorak, et Qol-e Nader, Tope et Tepe Kalan près de Begram ; proche de Kaboul, du sanctuaire de Khair Khane ; et à Kaboul même, du monastère de Tepe Marenjan. L’objectif assumé est d’alimenter en œuvres le musée Guimet et le musée national d’Afghanistan à Kaboul.
Bouddha lors de l’épisode du grand miracle de Sravasti découvert dans le monastère de Païtava. Fouilles de la DAFA, mission Joseph Hackin (1924). IIIᵉ siècle. Schiste et traces de dorure. H. 81 ; l. 45 ; É. 13 cm. Paris, MNAAG, MG 17478. © MNAAG, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier / SP
Gracieuse Fondukistan
Averti de la découverte fortuite de sculptures aux visages étrangement allongés, Jean Carl arrive à Fondukistan en 1937, où il met au jour un monastère bouddhique à l’exceptionnel décor peint et sculpté. Si les œuvres déposées pour le musée Guimet en témoignent toujours, celles du musée national d’Afghanistan ont été victimes des années de guerre ayant durement éprouvé l’institution dans les années 1990. La découverte d’une monnaie du souverain sassanide Khosrow II, datée de 689, permet d’attribuer la construction du monastère et son décor à la fin du VIIe siècle. Cette datation est, par extension, donnée aux œuvres stylistiquement comparables d’autres sites de l’est de l’Afghanistan.
Bodhisattva provenant du monastère de Fondukistan. Fin du VIIᵉ siècle. Terre séchée et traces de polychromie. H. 72 ; L. 24 ; P. 22 cm. Fouilles de la DAFA, mission Jean Carl (1937). Paris, MNAAG, MG 18959. © MNAAG, Paris (Dist. RMN-Grand Palais) / Thierry Ollivier / SP
Peintures et sculptures de Bamiyan
Occupé dès le IVe siècle, Bamiyan connaît dans la seconde moitié du VIe siècle une phase de croissance lui conférant le rôle d’établissement bouddhique majeur. Cet essor, prolongé jusqu’au IXe voire au Xe siècle – quand l’islam s’impose définitivement –, s’explique par un changement des routes commerciales au bénéfice de celle traversant la chaîne montagneuse de l’Hindou Kouch par Bamiyan. La DAFA y arrive peu après sa création en 1922. André Godard et sa femme Yedda puis Joseph Hackin réalisent un relevé des grottes et des peintures murales. En 1930, Hackin, son épouse Ria et Jean Carl poursuivent la documentation des deux bouddhas monumentaux et des fresques, ainsi que celle des grottes des vallées voisines de Foladi et de Kakrak. Après la Seconde Guerre mondiale, puis la destruction des bouddhas en mars 2001, diverses autres missions mèneront à Bamiyan des prospections, fouilles et sondages.
Dieu solaire Surya sur son char. Relevé de peinture de la niche du Bouddha de 38 m, exécuté par Jean Carl en 1935. Gouache sur toile. H. 275 ; L. 186 cm. Fouilles de la DAFA, mission Joseph Hackin (1930). Paris, MNAAG, MG 24012. © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier / SP
L’Âge du bronze à Mundigak
À Mundigak, Jean-Marie et Geneviève Casal exhument, de 1951 à 1958, une ville de l’Âge du bronze (IVe-IIe millénaire avant notre ère) s’inscrivant dans un réseau d’échanges du sud-est de l’Iran à la vallée de l’Indus, où éclot vers 2500 avant notre ère la civilisation de l’Indus. La création, dès lors, de comptoirs indusiens au nord de l’Afghanistan (Shortugaï) témoigne de l’essor d’une autre civilisation sur les rives de l’Amou darya, celle de l’Oxus (2300-1500 avant notre ère). Cette dernière, d’abord découverte par les objets pillés de nécropoles, tire sa richesse du commerce de matières premières, d’objets finis ou semi-finis entre le Levant, la Mésopotamie, l’Asie centrale méridionale et la vallée de l’Indus. La disparition des villes de l’Indus vers 1900, le remodelage des échanges et l’arrivée de nouvelles populations vers 1500 avant notre ère entraînent une rupture, qui marque le passage à l’Âge du fer.
Pointes de flèches provenant de Mundigak. Vers 2800 avant notre ère. Fouilles associées de la DAFA, mission Jean-Marie Casal (1951-1958). Paris, MNAAG. © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier
Somptueuse Begram
Connue par des monnaies collectées entre 1833 et 1837, Begram est, dès 1923, identifiée par Alfred Foucher comme la capitale de la Kapisa, visitée par le chinois Xuanzang en 628. Joseph Hackin y fouille en 1936, souhaitant mettre au jour la « nouvelle ville royale ». La découverte du « trésor de Begram » par Ria Hackin (1937 puis 1939) rend toutefois le dégagement des œuvres prioritaire. Le trésor, conservé dans deux pièces aux accès murés, rassemble des objets en matériaux exotiques – ivoire, os, verre, plâtre, bois laqué, albâtre, porphyre, cristal de roche et œuf d’autruche –, aux iconographies hellénistique, indienne et romaine. Ces œuvres, provenant d’ateliers du Proche-Orient méditerranéen et d’Égypte, d’Inde et de Chine, témoignent d’importations à longue distance et sont datées des Ier et IIe siècles de notre ère. D’autres missions de la DAFA (1941 et 1946) tenteront d’appréhender davantage le site et sa chronologie.
Gobelet de Begram figurant l’enlèvement d’Europe et celui de Ganymède et l’aigle. Chantier 2, chambre 13, Iᵉʳ -IIᵉ siècles. Verre peint. H. 16 ; D. 9,5 cm. Fouilles de la DAFA, mission Joseph Hackin (1939). Paris, MNAAG, MG 21228. © RMN-Grand Palais (MNAAG, Paris) / Thierry Ollivier / SP
Médiévale Lashkari Bazar
Daniel Schlumberger redécouvre en 1948 le site de Lashkari Bazar, dont les fouilles (1949-1951) répondent à l’intérêt des autorités afghanes pour la période islamique. Lashkari Bazar fut en effet la prospère capitale d’hiver des souverains ghaznévides (977-1186) et ghorides (vers 1011-1215), avant d’être détruite lors d’une incursion de Gengis Khan ou d’un raid des souverains du Khwarezm, puis abandonnée. Le long de la rivière Helmand s’échelonnent plusieurs palais aux décors de stucs, de briques et de terre cuite sculptés, et de peintures, séparés par des aménagements publics – mosquée, bazar – ou de vastes espaces aménagés en jardins ou en caravansérails. L’essor de la ville voisine de Lashkargah menace aujourd’hui la préservation du site.
Peintures murales représentant des dignitaires à Lashkari Bazar. Palais Sud. Photographie mission Daniel Schlumberger (1949-1951). Paris, MNAGG, archives photographiques, D-632. © MNAAG, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / image musée Guimet / SP
Les inscriptions de Surkh Kotal
Au nord de l’Hindou Kouch, la trouvaille fortuite de blocs de pierres inscrits en caractères grecs entraîne la fouille de Surkh Kotal entre 1952 et 1963. La présence, près d’un temple construit au sommet de l’acropole accessible par un escalier monumental, de sculptures en calcaire représentant des souverains en fait un haut-lieu de la dynastie kouchane qui règne sur l’Afghanistan et une partie du Pakistan actuels aux premiers siècles de notre ère. La découverte de plusieurs textes utilisant l’alphabet grec pour transcrire une langue irano-bactrienne, jusqu’alors essentiellement connue par des inscriptions monétaires, est un autre apport majeur des fouilles de Surkh Kotal.
Moulage de l’inscription de Surkh Kotal. Paris, MNAAG. © MNAAG, Paris, Dist. RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier
Mes Aynak, un site en sursis
À environ 35 km au sud de Kaboul, le potentiel archéologique du site de Mes Aynak (ou « petite source de cuivre ») est identifié dès 1963 par le géologue français Albert de Lapparent, tout comme l’importance du gisement de cuivre sous-jacent. À la suite de la concession d’exploitation de ce minerai par les autorités afghanes à une compagnie chinoise, l’Institut afghan d’archéologie y entame des fouilles en 2009. La DAFA y apporte son soutien logistique et administratif, tout en coordonnant l’aide internationale que l’enjeu de ces fouilles de sauvetage suscite. Ces dernières révèlent en effet une agglomération entière, se déployant en contrebas d’une montagne principale d’où le cuivre était extrait puis fondu. Des monastères bouddhiques ornés de sculptures en terre crue et de peintures murales ainsi que des chapelles insérées dans le tissu urbain témoignent de la prospérité économique du lieu, au moins du IIIe au VIIIe siècle. Le site et la mine de cuivre semblent être abandonnés ensuite. Si les fresques ont été déposées au musée national à Kaboul, la majorité des sculptures monumentales reste menacée par l’éventuelle mise en œuvre d’une mine à ciel ouvert.
Bouddha et bodhisattvas de la chapelle nord du monastère de Kafiriat Tepe sur le site de Mes Aynak. © Jaroslav Poncar
Sommaire
Afghanistan : 100 ans de recherches françaises
2/2. Les grands sites archéologiques
« Afghanistan, ombres et légendes. Un siècle d’archéologie », du 26 octobre 2022 jusqu’au 6 février 2023, au musée national des arts asiatiques – Guimet, 6 place d’Iéna, 75116 Paris. Tél. 01 56 52 53 00. www.guimet.fr
Catalogue, coédition MNAAG / Lienart éditions, 264 p., 39 €.
À voir aussi dans le cadre de la saison afghane : exposition « Sur le fil, création textile des femmes afghanes », catalogue, éditions Faton, 64 p., 12 €.
Pour aller plus loin :
OLLIVIER-UTARD F. (dir.), 2006 (1997), Politique et archéologie : Histoire de la Délégation archéologique française en Afghanistan, Paris, édition ERC.
DUPAIGNE B., 2007, Afghanistan. Monuments millénaires, Paris, Imprimerie nationale éditions.
FENET A., 2010, Documents d’archéologie militante : La mission Foucher en Afghanistan (1922-1925), Mémoires de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres. Tome 42.
https://archeologie.culture.gouv.fr/afghanistan