Angkor, au-delà des dieux et des rois (1/6). Repères chronologiques

Le site d'Angkor. © Photo12 / Alamy
Jamais oublié des Khmers et seulement « découvert » au XIXe siècle par les Européens, le site d’Angkor n’a cessé de fasciner scientifiques et grand public. Nourrissant d’abord un imaginaire romantique, les ruines, enserrées dans une forêt tentaculaire où transparaissaient de gigantesques temples animés de visages, ont laissé place, après des décennies de recherches, à une vision plus scientifique de l’histoire angkorienne.
Bayon. Tour à visages de la Porte de la Victoire. Cambodge, Angkor. © David Henley / PFH / Leemage
Angkor, « la Ville » en khmer, est, entre le IXe et le XIVe siècle, la capitale du plus puissant des royaumes d’Asie du Sud-Est. S’étendant bien au-delà des frontières actuelles du Cambodge, ce royaume a connu une longue histoire, ponctuée de règnes fastueux, que l’archéologie et l’épigraphie permettent chaque jour de mieux comprendre.
L’époque préangkorienne
Jusqu’au IXe siècle, le pays khmer est marqué par une succession de petits royaumes indépendants, plus ou moins vastes. Les principales informations écrites sur cette période proviennent de sources chinoises, ce pays commerçant, comme l’Inde, depuis le début de l’ère chrétienne, avec l’Asie du Sud-Est ; les Chinois appelant d’ailleurs le principal pays avec lequel ils échangent « Funan ». Ce royaume mal connu serait remplacé, toujours d’après les sources chinoises, au cours du VIe siècle par celui de Zhenla. Ce dernier s’achève lorsque le souverain Jayavarman II se fait introniser cakravartin, « celui qui fait tourner la roue », en 802 sur le Phnom Kulen.
Les premiers rois d’Angkor
Dès le début du IXe siècle, se met ainsi en place un État angkorien reposant sur un roi épaulé par un clergé et une importante administration. Les monarques font alors réaliser de grandes fondations d’intérêt public et de magnifiques temples à la gloire des dieux brahmaniques (Siva, Visnu, Brahma, etc.). Jayavarman II meurt peu après 830 ; son fils Jayavarman III est mal connu mais le royaume vit une période de stabilité. La littérature ancienne du Cambodge ayant disparu et les seules inscriptions conservées dans la pierre étant quasiment toutes à caractère religieux, il demeure difficile, en dehors des résultats récents de l’archéologie, de connaître l’histoire événementielle de cette époque. Mieux documenté, le règne d’Indravarman Ier (877-889/890) est à l’origine du développement de Hariharālaya, la première cité de type angkorien avec ses grands temples-montages, dont le Bakong, et surtout son système hydraulique. Le roi suivant, Yaśovarman Ier (règne 889/890-vers 910) fonde un certain nombre de constructions de prestige : le temple de Lolei (893), bâti sur un îlot artificiel dans le baray (bassin) de Roluos, le Yaśodharatatāka ou baray oriental d’Angkor, la première Yaśodharapura (première capitale), les temples du Phnom Bakheng, du Phnom Bok, du Phnom Krom et un très grand nombre d’āśrama (monastères). Au siècle suivant, les constructions se poursuivent avec le très beau temple de Baksei Chamkrong et le remarquable Prasat Kravan aux superbes bas-reliefs visnuites.
Chronologie sommaire des souverains angkoriens
– Vers 770-830 Règne de Jayavarman II. La capitale se situe dans la région d’Angkor
– 877-889/890 Règne de Indravarman Ier
– 889/890-vers 910 Règne de Yasóvarman Ier. Yasódharapura, moderne Angkor, est capitale
– 921-941 Règne de Jayavarman IV. Chok Gargyar, moderne Koh Ker, est capitale
– 944-968 Règne de Rājendravarman Ier. Angkor est de nouveau capitale
– 1002/1003-1050 Règne de Sūryavarman Ier
– 1050-1066 Règne de Udayādityavarman II
- 1182/1183-vers 1220 Règne de Jayavarman VII
– 1431-vers 1440 Prise et occupation d’Angkor par le souverain d’Ayutthaya Borommaracha II
L’âge classique
Le Xe siècle inaugure une période faste marquée par la construction de monuments tels que le Pre Rup, Banteay Srei, le Baphuon ou encore Ankgor Vat. Le pouvoir khmer est alors pendant trois siècles à son apogée. Sous le règne de Jayavarman IV et de son successeur, soit de 921 à 944, la capitale est transférée à quelque 80 km au nord-est d’Angkor sur le site de Koh Ker. Le retour à Ankgor a lieu sous Rājendravarman Ier (règne 944-968), grand souverain et constructeur des temples du Mébon oriental et de Pre Rup. Est également consacré l’un des plus beaux monuments du Cambodge, le temple de Banteay Srei, la « citadelle des femmes », qui doit son nom à ses petites dimensions et aux personnages féminins en grès rose qui ornent ses murs. Sacré en 1010, Sūryavarman Ier inscrit son œuvre architecturale non pas sur le site d’Angkor mais sur des sites plus éloignés, avec les temples du Phnom Chisor, de Vat Ek et de Vat Baset, ainsi que d’importantes fondations à Preah Vihear. Sous Udayādityavarman II (règne 1050-1066) est achevé le baray occidental et réalisé le Mébon occidental. Le souverain fait élever le Baphuon, remarquable pour ses bas-reliefs. Cet âge classique se termine par le règne de Sūryavarman II (règne 1113/1114-1149/1150), à l’origine de Thommanon, de Chau Say Tevoda, de Banteay Samre, de Beng Mealea et surtout d’Angkor Vat, temple d’une perfection inégalée.
Tête du roi Jayavarman VII, fin du XIIᵉ-début du XIIIᵉ siècle. Grès, 42 x 25 x 31 cm. Paris, musée national des arts asiatiques – Guimet (P430). © Bridgeman Images / Leemage
De Jayavarman VII à la fin d’Angkor
La seconde moitié du XIIe siècle est plus trouble, notamment avec le sac de la capitale en 1177 par les armées chames de Jayaindravarman IV. Mais peu de temps après, Jayavarman VII (règne 1182/1183-vers 1220) est sacré roi. Le Cambodge connaît alors une brillante période faite de conquêtes et d’une intense activité créatrice, avec un changement notable sur le plan religieux : une forme complexe du bouddhisme (le Mahāyāna) est élevée au rang de religion d’État. De cette époque date le fameux sourire d’Angkor, expression iconique de la compassion bouddhique. Comme ses prédécesseurs, Jayavarma VII est un souverain bâtisseur ; il fait édifier une quantité considérable de monuments à Ankgor et dans les provinces : Ta Prohm (célèbre car laissé à l’« état de nature » par les archéologues qui le découvrirent), Preah Khan (l’un des plus vastes), Banteay Kdei, Ta Som, Neak Pean, les terrasses royales – terrasse des Éléphants et terrasse du Roi lépreux, Banteay Chmar. Il consolide le réseau des voies de communication et serait également à l’origine de la construction de cent deux hôpitaux. Mais sa réalisation majeure demeure la ville d’Ankgor Thom (la « Grande Ville »), avec ses 12 km de murailles, ses cinq portes, et son temple central, le Bayon, orné des célèbres tours à visages et de bas-reliefs narrant divers épisodes de la vie quotidienne. Au cours des siècles suivants, les souverains se succèdent, s’inscrivant dans la continuité politique et religieuse de leurs prédécesseurs. Devant les agressions répétées du royaume d’Ayutthaya, la monarchie khmère abandonne Angkor en 1431. La nature conquiert alors le site, transformant radicalement le paysage.
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