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Archéologie des guerres napoléoniennes (1/7). Une cinquantaine de sites localisés

La bataille de Wagram, le 6 juillet 1809. Horace Vernet, 1835, huile sur toile.

La bataille de Wagram, le 6 juillet 1809. Horace Vernet, 1835, huile sur toile. © Photo Josse, Bridgeman Images

L’essor de l’archéologie préventive a favorisé le développement d’une archéologie des conflits modernes et contemporains. Des premières campagnes du jeune général Bonaparte à celles menées sous l’Empire, les guerres napoléoniennes ont bénéficié, dans le contexte des bicentenaires, de fouilles d’envergure – tant en France qu’à l’étranger, avec de nouveaux enjeux scientifiques. Ces découvertes inédites viennent enrichir un corpus d’une cinquantaine de sites enfin constitué ; ce dossier d’Archéologia vous en dévoile toute la richesse.

L’auteur de ce dossier est : Frédéric Lemaire, docteur en histoire et en archéologie, archéologue à l’Inrap, spécialisé dans l’étude des grands conflits contemporains, directeur des recherches sur le camp de Boulogne, les champs de bataille de Russie et l’île-prison de Cabrera aux Baléares

Cartographie des découvertes archéologiques relatives aux guerres du Premier Empire.

Cartographie des découvertes archéologiques relatives aux guerres du Premier Empire. © F. Lemaire, Inrap

Jeune général, Bonaparte s’illustre par deux campagnes successives en Italie, puis par la campagne d’Égypte. Devenu empereur, il entraîne sa Grande Armée, créée en août 1805, à la conquête des États allemands, notamment la Prusse, de la Pologne ou de l’Espagne, multipliant les victoires, jusqu’à la désastreuse campagne de Russie de 1812, et, après les Cent‑Jours, la défaite finale de Waterloo en 1815.

Cette attention pour l’archéologie des conflits napoléoniens n’est pas spécifique à la France. De nombreux pays s’intéressent au patrimoine enfoui lié aux affrontements majeurs qui ont précédé la construction européenne et ils contribuent à l’étude de leurs traces et de leurs vestiges matériels, dans le cadre d’une historiographie ou d’une mémoire collective partagée.

D’inestimables archives du sol

Naturellement fondé sur les sources écrites ou testimoniales, ce champ de recherches bénéficie désormais des apports de l’expertise des « archives du sol », mises au jour avec régularité lors de diagnostics, de fouilles programmées ou de découvertes fortuites. Tous sont révélateurs de l’ampleur de ces guerres, dont l’Europe fut le théâtre géographique, de Vimeiro à Moscou, et le monde, la caisse de résonance. Elles en dévoilent aussi la complexité ou la spécificité, et aident à les dégager des mythes récurrents et des polémiques persistantes. Les campagnes napoléoniennes, ce sont des évènements et des hommes qui croulent sous l’archive. Pourtant, la mise au jour et l’examen des témoignages tangibles recouvrent des enjeux scientifiques propres à la discipline archéologique, qui ne peut être uniquement vouée à la simple illustration matérielle d’une histoire déjà connue autrement. Sa consistance se trouve nécessairement dans la restitution et l’élaboration d’une mémoire matérielle adossée mais découplée de sa mémoire historique, si prégnante.

Recherches mécanisées sur le site du passage de la Bérézina à Studienka en Biélorussie en 2012 (CEN‐Beaucour / Inrap‐Lemaire).

Recherches mécanisées sur le site du passage de la Bérézina à Studienka en Biélorussie en 2012 (CEN‐Beaucour / Inrap‐Lemaire). © D. Bossut, Inrap

« À ce jour, le conflit napoléonien est documenté par une cinquantaine de sites localisés en France, en Europe et au Moyen-Orient. La majorité des occurrences concerne des découvertes d’ossements humains. »

Mise à jour d’un nouveau corpus

À ce jour, le conflit napoléonien est documenté par une cinquantaine de sites localisés en France, en Europe et au Moyen-Orient. La majorité des occurrences concerne des découvertes d’ossements humains (icône crâne) : principalement des charniers de champs de bataille (icône sabres croisés), voire des sépultures en fosse se rapportant à des hôpitaux situés à l’arrière (icône croix blanche), ou plus rarement à des sépultures individuelles ; pour deux d’entre elles, l’identité du défunt est formellement établie (icône médaille) : la tombe du général Gudin (découverte en juillet 2019 à Smolensk) et celle d’un vétéran de la Garde impériale, du nom de Zentz (mise au jour en mai 2021 à Cons-la-Granville dans l’Est de la France lors d’un diagnostic de l’Inrap). Après les occurrences funéraires, la catégorie la plus pertinente est celle des camps, ici symbolisés par des tentes. Il s’agit principalement des recherches à grande échelle conduites sur ceux d’infanterie du « camp de Boulogne », vaste et complexe, constitué pour rassembler les troupes destinées à l’invasion de l’Angleterre. Mais côté anglais, la défense est assurée, notamment, par le réseau des tours Martello et le camp de Weeley, sur la côte d’Essex, et les vestiges d’une caserne militaire liée à ce dispositif ont fait l’objet d’une fouille récente. Les autres découvertes concernent des graffiti, inscriptions, motifs pariétaux de soldats (main avec le stylet) ou des recherches subaquatiques, sur des épaves principalement (icône ancre). La captivité des prisonniers de guerre est éclairée par deux sites majeurs, l’île de Cabrera dans les Baléares et le camp de Norman Cross près de Peterborough, dans l’Est de l’Angleterre (icône barreaux). Toutes les campagnes militaires napoléoniennes sont aujourd’hui renseignées par des données archéologiques collectées selon des protocoles spécifiques, mais quatre d’entre elles demeurent particulièrement bien représentées et se distinguent aisément sur la carte : la campagne d’Égypte, le camp de Boulogne et la campagne d’Allemagne, la campagne d’Espagne et finalement la campagne de Russie.

Exploration en 2021 des abris troglodytiques aménagés par les prisonniers napoléoniens de l’île de Cabrera aux Baléares.

Exploration en 2021 des abris troglodytiques aménagés par les prisonniers napoléoniens de l’île de Cabrera aux Baléares. © F. Lemaire, photo D. Bossut, Inrap

Et naissance de nouveaux projets scientifiques

Ces données, croisées aux documents écrits ou iconographiques, produisent une connaissance nouvelle sur le soldat et ses différentes conditions, du camp au combat ou à l’internement, de l’enrôlement à la vétérance. La dimension anthropologique n’est cependant pas exclusive. Le champ de bataille, dont témoigne très concrètement le charnier, devient également champ d’études. Et l’archéologie lève ainsi, en quelque sorte, la condamnation par Les Annales de « l’histoire-bataille ». De vrais projets scientifiques sont constitués sur des sites emblématiques, tel celui de Waterloo, et des cartographies produites, par des auscultations extensives, en recourant en particulier à des prospections géophysiques ou à des sondages mécanisés. La collecte d’artefacts contribue à une meilleure compréhension du déroulement des combats, aboutissant souvent à des contradictions avec l’histoire officielle des batailles, sujette à des écritures ou réécritures fantaisistes ou partiales.

Sommaire

Archéologie des guerres napoléoniennes

6/7. L’héritage archéologique des soldats vétérans (à venir)

7/7. Pour une intégration à l’archéologie des conflits (à venir)