Archéologie préventive : « Rachida Dati est-elle trypophobe ? »

Fouille dans la cour de l’aile d’Astrée au château de Dampierre. © DR
Le 5 avril 2019, notre nouvelle ministre de la Culture, Rachida Dati, a annoncé sur X (ancien Twitter) sa volonté de réformer la réglementation de l’archéologie préventive – message précédé d’un entretien accordé au Parisien qui a suscité un vif émoi et une grande inquiétude chez tous les défenseurs du patrimoine archéologique français.
Posté sur X le 5 avril 2019 à l’occasion de l’inauguration des restaurations du château de Dampierre dans les Yvelines, le message de Rachida Dati précisait qu’en matière de réglementation dans le domaine de l’archéologie préventive :
– ne soient retenues que les prescriptions archéologiques indispensables
– des dérogations pour les prescriptions archéologiques soient possibles
– soient adaptées les normes DOE (dossier des ouvrages exécutés) au bâti ancien
La veille, dans un entretien publié par le journal Le Parisien, elle affirmait « qu’il ne faut pas faire des fouilles pour se faire plaisir » et qu’elle préférait « mettre de l’argent dans la restauration du patrimoine plutôt que de creuser un trou pour un trou ». Un désaveu de ses propres services qui avaient prescrit les fouilles dans le domaine de Dampierre, d’autant plus surprenant que ces dernières ont permis de retrouver les vestiges des anciens bassins et jardins, ce qui permettra de les recréer.
Trou noir pour l’archéologie préventive ?
Phobie des trous, méconnaissance du dossier de l’archéologie au sein de son ministère (un ministre de la Culture ne peut tout connaître) ou provocation peu habile ? L’avenir le dira – et peut-être qu’au moment où ce numéro d’Archéologia paraîtra, le ministère, qui a retiré le tweet de Rachida Dati sur X, aura mené à bien une campagne préventive d’apaisement des esprits et de sensibilisation de la ministre. Car ses propos sont aussi un désaveu de tous les archéologues qui, dans des conditions souvent difficiles, dans des délais très contraints et par tous les temps, consacrent toute leur énergie à la préservation des vestiges de notre passé. C’est aussi une méconnaissance des liens qui unissent la France à la Convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique, adoptée à Malte le 16 janvier 1992 – même si sa mise en application dans notre pays a pris presque dix ans : « loi du 17 janvier 2001 sur l’archéologie préventive ».
Notre patrimoine archéologique est par essence non renouvelable et soumis à une érosion très rapide
En France sont aménagés (artificialisés) chaque année environ 50 000 ha pour des constructions, carrières et voies de communication diverses et beaucoup de gros trous creusés. Or seul un quart de ces opérations fait l’objet de sondages archéologiques préalables, qui ne débouchent sur de véritables fouilles à nouveau que dans un quart des cas. Le poids économique des petits trous de l’archéologie préventive est d’autant plus faible qu’il ne dépasse en général guère 2 à 3 % du budget total d’une opération d’aménagement.
Des vestiges archéologiques en danger
Alléger le dispositif de l’archéologie préventive française serait donc mettre encore plus en danger des vestiges archéologiques éminemment fragiles qui constituent pourtant une part essentielle de notre histoire, de notre mémoire et de notre identité. Aussi espérons que la nouvelle ministre de la Culture pourra entendre et comprendre l’émotion creusée par ses propos chez tous les défenseurs du patrimoine et de l’archéologie.
Talpa europaea, la taupe commune de nos jardins. © DR