Archéozoologie : et pendant ce temps-là, l’aurochs…

© Éric Le Brun
Il n’y a pas que les hommes à la Préhistoire… Les paléogénéticiens, paléontologues et archéozoologues s’intéressent également aux animaux qu’ils ont côtoyés, et notamment à l’aurochs. L’analyse de son génome vient de révéler quelques surprises sur son évolution, déclenchant son lot de polémiques.
D’où venaient les fantastiques bestiaux qui servirent de modèles aux peintures de Lascaux et dont nos bœufs sont les lointains descendants ? Comme pour les humains, ils ne constituent pas une espèce endémique, qui aurait toujours été là. Une nouvelle analyse, portant sur trente-huit génomes de spécimens eurasiatiques datés d’entre 47 000 et 4 000 ans, comparés à huit autres d’Asie centrale et datés d’entre 6 400 et 3 800 ans, a révélé l’existence de quatre populations ancestrales de ces bovinés : en Europe, en Asie du Sud-Ouest, dans le Nord et le Sud de l’Asie (berceau probable de l’espèce), qui se seraient déplacées en fonction des changements climatiques et en interaction avec les humains.
Adaptation au climat et domestication
Les premiers aurochs seraient arrivés en Europe autour de 650 000 ans, comme Homo heidelbergensis (l’ancêtre de Néandertal) et la technoculture acheuléenne. Aurochs et humains occupent les mêmes espaces : des forêts ouvertes, avec de larges clairières, éloignées de la steppe et des troupeaux de bisons, chevaux et mammouths. Puisqu’il leur faut de l’eau et des températures douces, les aurochs ont particulièrement souffert durant le dernier maximum glaciaire (DMG) autour de 20 000 ans, dans ces paysages de glace et de froid. Ce que confirme la forte baisse de diversité génétique identifiée par les paléogénéticiens : cette espèce se réfugie alors en France et dans la péninsule Ibérique, d’où elle repeuple le continent lors d’améliorations climatiques successives. Le génome semble également révéler que les premières tentatives de domestication datent d’environ 11 000 ans en Asie du Sud-Ouest, tandis que celle du zébu, un proche parent, se placerait autour de 8 000 ans, dans la vallée de l’Indus. Les bovins actuels témoignent enfin de croisements répétés avec des spécimens sauvages, reflet de pratiques antérieures où le bétail était laissé libre une partie de l’année en pâture ouverte, contrairement aux parcages actuels, comme l’a récemment rappelé dans son ouvrage l’ethnologue Charles Stépanoff.
Grande diversité de l’aurochs européen
Selon Jean-Philippe Brugal, spécialiste des bovinés préhistoriques (CNRS Aix-en-Provence), cette étude souligne la grande diversité du genre Bos, l’aurochs européen, Bos primigenius n’en étant qu’une variété. Sa présence en Europe, bien établie autour de 250 000 ans, semble être moins abondante pour les époques antérieures. Ces analyses doivent cependant être relativisées, notamment les échelles chronologiques. Ainsi, selon Eva-Maria Geigl et Thierry Grange, paléogénéticiens de l’Institut Jacques Monod à la tête de l’équipe « Épigénome et paléogénome », cette histoire serait plus ancienne, et l’expansion des populations d’aurochs n’aurait pas eu lieu au moment de leur première domestication mais quelques milliers d’années auparavant. Ce qui donnerait un poids beaucoup plus important aux changement climatiques à la fin de l’ère glaciaire et réduirait donc l’impact de la domestication sur la diversité génétique des bovins…
Pour aller plus loin :
ROSSI C. et al., 2024, « The genomic natural history of the aurochs », Nature, 635, p. 136-141. doi : 10.1038/s41586-024-08112-6
STEPANOFF C., 2024, Attachements. Enquête sur nos liens au-delà de l’humain, Paris, La Découverte.