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Au cœur de la vallée de la Vézère, à la découverte des gisements, abris et grottes de la Préhistoire (3/7). L’abri du Poisson. Petit florilège de thèmes, de techniques et de styles

Sculpture de saumon en bas-relief. Abri du Poisson, Les Eyzies, Dordogne. Les perforations qui l’entourent sont le résultat des travaux de détachement interrompus par Denis Peyrony en 1912.

Sculpture de saumon en bas-relief. Abri du Poisson, Les Eyzies, Dordogne. Les perforations qui l’entourent sont le résultat des travaux de détachement interrompus par Denis Peyrony en 1912. © P. Jugie, MNP

À l’occasion de l’achat par l’État, en novembre dernier, de l’iconique abri Cro‑Magnon, Archéologia vous propose de passer l’été dans les cavités du département de la Dordogne. Mondialement célèbres, certains de ces sites ont été découverts il y a plus de 150 ans ; ils sont toujours au cœur de la recherche scientifique qui vise à mieux comprendre leur datation, leur occupation (par Néandertal et Homo sapiens), ou encore leurs usages (habitats, lieux d’inhumation, lieux de création artistique…). Bienvenue en ces lieux exceptionnels !

Les auteurs de ce dossier sont : Nathalie Fourment, coordinatrice scientifique de ce dossier et directrice du musée national de Préhistoire, ministère de la Culture et UMR 5199 PACEA ; Estelle Bougard, Muséum national d’Histoire naturelle, équipe ComE, UMR 7194 CNRS ; Catherine Cretin, musée national de Préhistoire, ministère de la Culture, UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux ; Noël Coye, Centre national de Préhistoire, ministère de la Culture ; Émeline Deneuve, Drac Nouvelle-Aquitaine, Service régional de l’archéologie, ministère de la Culture, UMR 7194 HNHP, Museum national d’Histoire naturelle ; Emmanuel Discamps, UMR 5608 TRACES, université Toulouse Jean-Jaurès ; Jacques Jaubert, UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux ; Brad Gravina, musée national de Préhistoire, ministère de la Culture, UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux ; Elena Paillet, Drac Bretagne, service régional de l’archéologie, UMR 6566 CREAAH, université de Rennes ; Patrick Paillet, Muséum national d’Histoire naturelle, UMR 7194 ; Marc Thomas, UMR 5608 TRACES, université Toulouse Jean-Jaurès

Main négative et traces d’ocre rouge dans l’abri du Poisson, Les Eyzies, Dordogne.

Main négative et traces d’ocre rouge dans l’abri du Poisson, Les Eyzies, Dordogne. Relevé C. Cretin

L’abri du Poisson est un site orné paléolithique modeste par ses dimensions et le nombre de figures identifiées. Mais il est résolument unique par sa figure sculptée de plus d’un mètre, l’histoire de sa découverte puis de sa protection exemplaire, et la présence de niveaux archéologiques qui aident à discerner deux phases de décor.

Situé en rive droite de la Vézère, à 2 km en aval du village des Eyzies, le petit abri se love dans une zone très dense en sites préhistoriques.

Un poisson au plafond…

À quelques mètres de distance, l’abri Lartet a été, en 1863, le premier découvert dans le vallon de Gorge d’Enfer. En 1892, les niveaux archéologiques de l’abri du Poisson commencent à être fouillés, mais ce n’est que vingt ans plus tard que l’on reconnaît un poisson sculpté, sur environ un mètre, au plafond. Au cours de la même année 1912, la sculpture est vendue en secret et des travaux de détachement démarrent… mais c’est sans compter sur Denis Peyrony qui, chargé de la protection des gisements préhistoriques, les interrompt et fait poser des scellés ! Le site est ensuite classé au titre des Monuments historiques puis acquis par l’État. Peyrony y entreprend une fouille en 1918 et laisse un témoin stratigraphique sur place. La reprise d’études pluridisciplinaires, in situ et dans les collections du musée national de Préhistoire, a permis d’affiner le cadre chronologique et paléo-environnemental, la dynamique de formation des lieux, la nature du calcaire encaissant et de certains colorants, mais aussi de compléter les observations sur les figures connues et d’en identifier de nouvelles.

… qui s’avère être un saumon

L’abri a été occupé pendant deux périodes du Paléolithique supérieur, toutes deux antérieures au dernier maximum glaciaire (il y a 21 000 ans) : l’Aurignacien (38 000‑32 000 ans) puis le Gravettien (32 000-25 000 ans). Des gravures et des peintures sont attestées dans les deux cas, même si les plus anciennes ne le sont que sous forme de fragments, dans le niveau aurignacien et celui stérile sus-jacent ; ce premier décor, presque contemporain de celui de la grotte Chauvet, a été détruit par le gel. Les éléments subsistant au plafond de l’abri sont donc attribués à la phase gravettienne. La plus célèbre et la mieux perceptible est la figure de poisson en bas-relief peint, suffisamment détaillée pour que l’on puisse préciser qu’il s’agit d’un saumon atlantique (Salmo salar) bécard, c’est-à-dire un mâle en période de frai, remontant à l’automne sa rivière natale pour se reproduire.

Morceaux de bravoure

Le plafond présente aussi d’autres éléments plus discrets. On dénombre une dizaine d’anneaux creusés dans la roche puis détruits par le gel, donc peut-être aurignaciens, un contour de main (négative) réalisé au noir de manganèse, quatre figures animales gravées et de nombreuses traces d’ocre rouge, plutôt gravettiennes. Au sol, des éléments gravés, sculptés ou peints offrent trois figures animales, un symbole féminin et un signe composé d’une cupule centrale entourée de quatre plus petites, comme une empreinte d’ours. Il ressort de cet inventaire une grande diversité thématique, technique et stylistique, perceptible dès la première phase de décor, malgré sa dislocation. Le bas-relief du saumon, unicum de l’art pariétal paléolithique, n’était peut-être pas le seul morceau de bravoure de ce site. L’ensemble orné n’est perceptible que par bribes, mais l’abri du Poisson réunit des informations inédites sur des occupations préhistoriques, des expressions graphiques et leurs chronologies respectives, le tout exceptionnellement réuni dans un enregistrement sédimentaire commun.

L’autrice tient à remercier les nombreux collègues qui ont participé à l’étude de l’abri du Poisson entre 2015 et 2020 ainsi que les services du ministère de la Culture, Drac-SRA Nouvelle-Aquitaine.

Des sites à visiter

– Le Centre des monuments nationaux propose à la visite un certain nombre de sites : l’abri du Cap-Blanc, la grotte des Combarelles, la grotte de Font-de-Gaume, l’abri du Poisson, le gisement de La Ferrassie, le gisement du Moustier, le gisement de Laugerie-Haute et le gisement de La Micoque https://tickets.monuments-nationaux.fr/fr-FR/familles?site=2117969240920404140

– Aux Eyzies, le musée national de Préhistoire est un incontournable https://musee-prehistoire-eyzies.fr

– À Montignac, se trouve Lascaux IV – Centre international de l’art pariétal https://lascaux.fr/fr/Lascaux

– À voir aussi, la salle d’exposition permettant de découvrir la grotte de Cussac au Buisson-de-Cadouin www.lebuissondecadouin.fr/exposition-de-la-grotte-de-cussac

– La très belle grotte de Rouffignac www.grottederouffignac.fr/index.php/fr

– Le vallon de Castelmerle à Sergeac www.castel-merle.com

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Au cœur de la vallée de la Vézère, à la découverte des gisements, abris et grottes de la Préhistoire

3/7. L’abri du Poisson. Petit florilège de thèmes, de techniques et de styles