Au cœur de la vallée de la Vézère, à la découverte des gisements, abris et grottes de la Préhistoire (4/7). Dernières nouvelles de Cro-Magnon

L’abri Cro-Magnon. © Chipo & Juan
À l’occasion de l’achat par l’État, en novembre dernier, de l’iconique abri Cro‑Magnon, Archéologia vous propose de passer l’été dans les cavités du département de la Dordogne. Mondialement célèbres, certains de ces sites ont été découverts il y a plus de 150 ans ; ils sont toujours au cœur de la recherche scientifique qui vise à mieux comprendre leur datation, leur occupation (par Néandertal et Homo sapiens), ou encore leurs usages (habitats, lieux d’inhumation, lieux de création artistique…). Bienvenue en ces lieux exceptionnels !
Les auteurs de ce dossier sont : Nathalie Fourment, coordinatrice scientifique de ce dossier et directrice du musée national de Préhistoire, ministère de la Culture et UMR 5199 PACEA ; Estelle Bougard, Muséum national d’Histoire naturelle, équipe ComE, UMR 7194 CNRS ; Catherine Cretin, musée national de Préhistoire, ministère de la Culture, UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux ; Noël Coye, Centre national de Préhistoire, ministère de la Culture ; Émeline Deneuve, Drac Nouvelle-Aquitaine, Service régional de l’archéologie, ministère de la Culture, UMR 7194 HNHP, Museum national d’Histoire naturelle ; Emmanuel Discamps, UMR 5608 TRACES, université Toulouse Jean-Jaurès ; Jacques Jaubert, UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux ; Brad Gravina, musée national de Préhistoire, ministère de la Culture, UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux ; Elena Paillet, Drac Bretagne, service régional de l’archéologie, UMR 6566 CREAAH, université de Rennes ; Patrick Paillet, Muséum national d’Histoire naturelle, UMR 7194 ; Marc Thomas, UMR 5608 TRACES, université Toulouse Jean-Jaurès

Signe aux traits parallèles peint à l’ocre rouge dans l’abri sépulcral de Cro-Magnon. © E. Bougard
L’abri Cro-Magnon est célèbre pour avoir été, en 1868, le lieu où l’on découvrit pour la première fois des Homo sapiens du Paléolithique dans une sépulture multiple. Il vient de faire l’objet de nouvelles études qui ont livré leur lot de surprises !
Lorsque l’abri est fouillé au XIXe siècle, c’est la première fois que des restes d’animaux éteints dans nos régions (mammouth, renne…), de l’outillage en pierre taillée et des squelettes humains sont retrouvés associés et permettent de reconnaître l’ancienneté de notre espèce actuelle ! Des humains comme nous, des Cro-Magnon, existaient bel et bien au temps des mammouths. Lieu majeur dans l’histoire de la préhistoire, aujourd’hui inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, l’abri est surtout associé à ces restes humains ; pourtant c’est aussi un site d’habitat occupé au début du Paléolithique récent. Fouillé à de nombreuses reprises jusqu’à 1907, il est au cœur, depuis la toute fin des années 1990, d’une nouvelle série d’études, éclairant nos connaissances sur ce lieu emblématique.
« Célèbre pour les restes d’Homo sapiens qui y ont été découverts, l’abri Cro-Magnon est aussi un site d’habitat qui préserve des peintures rupestres. »
Une sépulture gravettienne
C’est d’abord l’épineux problème de la datation de la sépulture qui a été abordé. En effet, depuis sa découverte par Louis Lartet en 1868, elle était considérée comme appartenant à la culture aurignacienne (38 000-32 000 ans) par association avec les niveaux archéologiques de cette époque. Ce qui n’était pas sans poser question car cette sépulture restait la seule de cette époque – les Aurignaciens ne semblant pas avoir enterré leurs morts ! Les diverses tentatives de datation directe des ossements ayant toutes échoué par manque de collagène conservé, une analyse au carbone 14 a finalement été faite par Dominique Henry-Gambier sur une des littorines (coquillages) percées trouvées avec les squelettes. L’information obtenue, par la suite confortée avec les comparaisons de pendeloques en ivoire de la sépulture et d’outillages d’autres sites, a confirmé une estimation vers -32 000 ans, associée au Gravettien ancien donc, juste après l’Aurignacien.
Des morts singuliers
Plus récemment, ce sont les ossements humains eux-mêmes qui ont été entièrement revus par des chercheurs de l’université de Bordeaux (S. Villotte, A. Thibeault et leurs collègues). Les squelettes de Cro-Magnon sont très incomplets (une centaine d’os au total) et ont été mélangés lors des fouilles du XIXe siècle. Il était donc intéressant d’appliquer les moyens d’étude modernes pour préciser leur attribution aux différents individus reconnus. Il s’avère que la sépulture contenait bien quatre individus adultes, comme l’avait déjà reconnu Louis Lartet en 1868, deux hommes âgés, une femme très âgée et un homme plus jeune.
On parle souvent de la grande taille des Cro-Magnon, mais seul le jeune homme aurait été grand, les autres étant de taille plus moyenne (environ 1,70 m à 1,75 m pour les hommes, environ 1,65 m pour la femme). Par ailleurs, il semble que le trou reconnu sur le crâne no 2 (qui n’est probablement plus celui de la femme âgée, sa dentition étant peu usée) soit bien le résultat d’une blessure : des traces de cicatrisation montrent que l’individu y avait survécu, au moins quelque temps. Enfin, le changement important est venu avec la reconnaissance de quatre immatures (trois nouveau-nés et un bébé un peu plus âgé) à la place d’un seul (selon C. Partiot et ses collègues). L’ensemble sépulcral de Cro-Magnon offre dès lors une composition inédite pour le Paléolithique avec quatre adultes surtout âgés et quatre très jeunes enfants.

Crâne du « vieillard » de Cro-Magnon 1. © MNHN, J.-C. Domenech
Cro-Magnon, un site d’art pariétal
Quant à l’abri lui-même, à l’occasion des travaux d’aménagement menés en 2013, il a livré des peintures résiduelles à l’ocre rouge encore visibles sur la paroi. Restées à l’air libre depuis la découverte en 1868, elles ont perduré grâce à la couche de concrétionnement qui les recouvre. On a pu y reconnaître un bouquetin fragmentaire, un signe aux traits parallèles, plusieurs traits rouges aujourd’hui isolés, ainsi que de nombreuses traces de pigment rouge diffus, indiquant qu’un art figuratif y était bien présent à l’origine. Et l’âge de cet art est précisé par la sépulture : au moins 32 000 ans…
Ces traces se situent sur le plafond de l’abri, juste au-dessus de l’endroit où les squelettes ont été mis au jour. Cette situation est intéressante car elle permet de replacer Cro-Magnon dans le plus large contexte des rites funéraires du Gravettien du Sud-Ouest de la France. Dans plusieurs autres sites (l’abri Pataud, Vilhonneur, Cussac, Gargas, Le Fournol), on observe des corps déposés plutôt qu’enterrés, une association entre défunts et art pariétal, la présence d’individus particuliers (déformations physiques, etc.) et, souvent, un traitement secondaire des ossements. Des analyses en cours des pigments rouges visibles sur les ossements humains pourraient confirmer ce dernier point.
Un site aussi ancien que celui de Cro-Magnon peut donc encore apporter de nouveaux éléments ; et son récent achat par l’État permettra bientôt à tous de pénétrer dans ce lieu hautement emblématique.
Des sites à visiter
– Le Centre des monuments nationaux propose à la visite un certain nombre de sites : l’abri du Cap-Blanc, la grotte des Combarelles, la grotte de Font-de-Gaume, l’abri du Poisson, le gisement de La Ferrassie, le gisement du Moustier, le gisement de Laugerie-Haute et le gisement de La Micoque https://tickets.monuments-nationaux.fr/fr-FR/familles?site=2117969240920404140
– Aux Eyzies, le musée national de Préhistoire est un incontournable https://musee-prehistoire-eyzies.fr
– À Montignac, se trouve Lascaux IV – Centre international de l’art pariétal https://lascaux.fr/fr/Lascaux
– À voir aussi, la salle d’exposition permettant de découvrir la grotte de Cussac au Buisson-de-Cadouin www.lebuissondecadouin.fr/exposition-de-la-grotte-de-cussac
– La très belle grotte de Rouffignac www.grottederouffignac.fr/index.php/fr
– Le vallon de Castelmerle à Sergeac www.castel-merle.com
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