Au cœur de la vallée de la Vézère, à la découverte des gisements, abris et grottes de la Préhistoire (6/7). Le Moustier : 160 ans de recherches

Coupes actuelles sur le site du Moustier. © B. Gravina, E. Discamps
À l’occasion de l’achat par l’État, en novembre dernier, de l’iconique abri Cro‑Magnon, Archéologia vous propose de passer l’été dans les cavités du département de la Dordogne. Mondialement célèbres, certains de ces sites ont été découverts il y a plus de 150 ans ; ils sont toujours au cœur de la recherche scientifique qui vise à mieux comprendre leur datation, leur occupation (par Néandertal et Homo sapiens), ou encore leurs usages (habitats, lieux d’inhumation, lieux de création artistique…). Bienvenue en ces lieux exceptionnels !
Les auteurs de ce dossier sont : Nathalie Fourment, coordinatrice scientifique de ce dossier et directrice du musée national de Préhistoire, ministère de la Culture et UMR 5199 PACEA ; Estelle Bougard, Muséum national d’Histoire naturelle, équipe ComE, UMR 7194 CNRS ; Catherine Cretin, musée national de Préhistoire, ministère de la Culture, UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux ; Noël Coye, Centre national de Préhistoire, ministère de la Culture ; Émeline Deneuve, Drac Nouvelle-Aquitaine, Service régional de l’archéologie, ministère de la Culture, UMR 7194 HNHP, Museum national d’Histoire naturelle ; Emmanuel Discamps, UMR 5608 TRACES, université Toulouse Jean-Jaurès ; Jacques Jaubert, UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux ; Brad Gravina, musée national de Préhistoire, ministère de la Culture, UMR 5199 PACEA, université de Bordeaux ; Elena Paillet, Drac Bretagne, service régional de l’archéologie, UMR 6566 CREAAH, université de Rennes ; Patrick Paillet, Muséum national d’Histoire naturelle, UMR 7194 ; Marc Thomas, UMR 5608 TRACES, université Toulouse Jean-Jaurès

Le site du Moustier. © Maxime Villaeys, MNP
Découvert par Édouard Lartet et Henry Christy en 1863, le gisement du Moustier est situé à la confluence de la Vézère et du Vimont. Il se compose de trois abris superposés : le trou du Bréchou, l’abri supérieur dit « classique » et l’abri inférieur. C’est à partir de vestiges lithiques issus de l’abri supérieur que Gabriel de Mortillet, pionnier de la préhistoire, définit la culture « moustérienne », conférant à cette petite localité périgourdine une renommée mondiale. Depuis le début du XXe siècle, c’est toutefois au sein de l’abri inférieur que les recherches sur les sociétés néandertaliennes se sont concentrées.
L’abri inférieur a en effet fourni de nombreux éléments pour comprendre le comportement des dernières sociétés néandertaliennes qui ont occupé la vallée de la Vézère pendant plusieurs centaines de millénaires.
Les premières recherches
Outre la découverte du squelette partiel d’un adolescent néandertalien en 1908, l’antiquaire-archéologue suisse Otto Hauser offre une première description, extrêmement simple, des couches archéologiques. À la suite de ses travaux sur le site menés entre 1910 et 1914, Denis Peyrony en livre une vision plus fine. Dans une publication de 1930, il décrit douze unités sédimentaires renfermant sept couches archéologiques. Ce matériel, aujourd’hui conservé au musée des Eyzies qu’il a lui-même fondé en 1918, a joué tout au long du XXe siècle un rôle central dans la définition des différents « faciès » moustériens du Sud-Ouest de la France. Les six premières unités renferment deux couches attribuées au Moustérien typique (couche B) et à un Moustérien indéterminé (couche F). Les deux niveaux sus-jacents, beaucoup plus denses en matériel, sont attribués par Peyrony au Moustérien de tradition acheuléenne (couches G et H) du fait de la présence de bifaces lui évoquant l’Acheuléen. Surmontée par une industrie roulée par l’action fluviatile et sans désignation (couche I), la séquence s’achève par un niveau moustérien riche en racloirs (couche J) et deux niveaux remaniés attribués au Paléolithique récent (couches K et L). Contrairement à la vision de l’époque, l’étude de la stratigraphie de l’abri inférieur, combinée à celle de la Ferrassie, aide Peyrony à montrer que le Moustérien n’est pas un bloc monolithique figé dans le temps mais bien une période de profonds changements technologiques au sein des sociétés néandertaliennes de la vallée de la Vézère. Une dernière surprise attendait Peyrony avant de clore ses fouilles en mai 1914 : après avoir mis au jour une petite fosse vide, il en trouve une autre, contenant les restes d’un nouveau-né néandertalien. L’histoire de cet individu est presque aussi remarquable que la découverte elle-même. Considéré comme perdu pendant des décennies, le squelette est redécouvert au musée des Eyzies en 1996, étudié par le paléoanthropologue Bruno Maureille, puis exposé au public.

Denis Peyrony devant la stratigraphie du site du Moustier. Archives musée national de Préhistoire
Des remises en question
Après le départ de Peyrony, il faut attendre un demi-siècle avant que les coupes ne soient nettoyées et décrites avec plus de précision par Henri Laville et Jean-Philippe Rigaud en 1969. Bien que le site soit au cœur des attentions depuis plus d’un siècle, la datation de ses occupations par les groupes néandertaliens reste, jusqu’aux travaux de Jean-Michel Geneste et Jean-Pierre Chadelle, encore flottante. En 1982, ils récoltent de nouveaux silex et les analysent grâce à la méthode de la thermoluminescence. Cette technique radiométrique, qui mesure le temps écoulé depuis que la pièce a été chauffée, permet de situer la formation des dépôts dans un intervalle compris entre 55 000 ans et 42 000 ans avant le présent. Contrairement aux pratiques du début du XXe siècle, ces deux chercheurs recueillent l’intégralité des objets, y compris les plus petits grâce au tamisage des sédiments. Une trentaine d’années plus tard, deux d’entre nous (B. Gravina et E. Discamps) ont analysé ce matériel. Leurs résultats apportent une vision radicalement différente de la séquence de l’abri inférieur. Ils remettent notamment en question l’attribution chrono-culturelle de certains niveaux et les corrélations entre changements technologiques (techniques de taille du silex) et fauniques (proies chassées). Ainsi, alors qu’une certaine évolution technologique est évidente dans les collections Peyrony, les types de proies chassées par les Néandertaliens y semblent relativement stables. Les nouveaux travaux soulignent ainsi que les changements rapides dans la sphère des comportements techniques et cynégétiques ne sont pas forcément synchrones.
D’un siècle à l’autre
L’histoire des fouilles reprend au Moustier, presque un siècle après Peyrony, jour pour jour, en mai 2014. Les méthodes d’aujourd’hui sont très éloignées de ce qu’elles étaient il y a cent ans : les objets de plus de 2 cm sont relevés avec précision de manière systématique, le matériel provenant du tamisage (mailles de 2 et 4 mm) séparé par type (silex, os brûlés, etc.), compté et pesé, et des échantillons de sédiments prélevés en vue d’analyses chimiques, micromorphologiques et ADN. Ces méthodes, impliquant de nombreux spécialistes (géoarchéologie, archéozoologie, analyses ADN, etc.), conduiront à renouveler profondément notre connaissance sur les environnements passés et les groupes néandertaliens peuplant la vallée de la Vézère plusieurs dizaines de milliers d’années avant nous.
Des sites à visiter
– Le Centre des monuments nationaux propose à la visite un certain nombre de sites : l’abri du Cap-Blanc, la grotte des Combarelles, la grotte de Font-de-Gaume, l’abri du Poisson, le gisement de La Ferrassie, le gisement du Moustier, le gisement de Laugerie-Haute et le gisement de La Micoque https://tickets.monuments-nationaux.fr/fr-FR/familles?site=2117969240920404140
– Aux Eyzies, le musée national de Préhistoire est un incontournable https://musee-prehistoire-eyzies.fr
– À Montignac, se trouve Lascaux IV – Centre international de l’art pariétal https://lascaux.fr/fr/Lascaux
– À voir aussi, la salle d’exposition permettant de découvrir la grotte de Cussac au Buisson-de-Cadouin www.lebuissondecadouin.fr/exposition-de-la-grotte-de-cussac
– La très belle grotte de Rouffignac www.grottederouffignac.fr/index.php/fr
– Le vallon de Castelmerle à Sergeac www.castel-merle.com
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