Avis aux passionnés d’archéologie : notre sélection de livres

D’où viennent les maladies ? Comment Ptolémée a-t-il pensé la géographie et la cartographie ? Quelle place les femmes ont-elles occupé dans les grottes de la Préhistoire ? Qui était l’homme de Tautavel ? Toutes ces questions que vous vous posez peut-être ont leurs réponses dans cette sélection d’ouvrages à destination des passionnés d’archéologie.

Dans les grandes profondeurs

Celle « qu’on voit danser le long des golfes clairs » est mise à l’honneur dans cette remarquable publication retraçant 4 millions d’années d’histoire. D’archéologie il est question bien sûr, mais pas seulement : la géologie, l’histoire, l’écologie, la faune ou encore la flore aident à cerner la vaste histoire de la mer. Premières colonisations, ports, navires, grands mythes (bibliques, homériques ou japonais), espèces qui la peuplent (plancton, baleines ou créatures fantastiques), ressources (alimentaires, vestimentaires ou de parure), célèbres batailles et axes commerciaux, tout montre que la mer est un « territoire » en soi. Beaucoup de questions, quelques réponses, un soupçon de poésie : voici donc un ouvrage audacieux, grandiose, qui nous transporte loin dans le temps et vingt mille lieux sous les mers. É. F.

Histoire de la mer, 2024, Alessandro Vanoli, traduit de l’italien par Johan-Fréférik Hel Guedj, Paris, Passés Composés, 508 p., 26 €

A-t-on peur de l’archéologie ?

Alors même que les Français sont, depuis la Renaissance, passionnés d’archéologie, force est de constater que les vestiges de leur propre pays n’ont jamais éveillé chez eux un grand intérêt. Comment expliquer ce « complexe de Pausanias », du nom de cet historien de l’Antiquité qui déplorait la fascination des Grecs pour les monuments égyptiens, alors même qu’ils négligeaient les chefs-d’œuvre de leur propre passé ? C’est l’épineuse question soulevée dans cet ouvrage très documenté par deux des plus grands archéologues français, qui restituent ici avec une grande clarté l’histoire de l’étude des vestiges en France, depuis les premières fouilles au début du XIVsiècle jusqu’à nos jours, avec l’instauration de l’archéologie préventive. Les auteurs reviennent sur l’évolution progressive du regard sur ces témoignages du passé : des rêveries antiquisantes au naturalisme, en passant par le manque de volonté politique à l’époque contemporaine… Loin de se contenter de déplorer ce désintérêt institutionnel, ils esquissent des pistes pour donner à l’archéologie sa juste place dans notre récit national. R. B.-R.

Qui a peur de l’archéologie ?, 2024, Jean‑Paul Demoule, Alain Schnapp, Paris, Les Belles Lettres, 350 p., 21, 90 €

Femmes d’Histoire

Sept ans après L’Europe des femmes (XVIIIe-XXIe siècles), l’association Mnémosyne, qui œuvre à donner une plus grande visibilité au rôle des femmes dans l’Histoire, propose une nouvelle somme, en élargissant le spectre chronologique des études sur le Vieux Continent. Sous la houlette de Sophie Lalanne et grâce à la collaboration de cent vingt plumes, cette ambitieuse entreprise retrace l’histoire du Deuxième Sexe et du genre, depuis la Préhistoire jusqu’à l’époque moderne, au fil de 150 notices. Détaillant représentations iconographiques, réalités économiques, sociales, philosophiques et politiques, toutes soulignent à la fois les difficultés, mais également le rôle dynamique et les réussites de toute cette moitié du monde. Son expérience comme sa définition sont ici étudiées par le prisme d’une documentation pléthorique, permettant de recontextualiser des situations diverses dans leurs époques respectives, et contribuant finalement à éclairer la participation de toutes au grand mouvement d’une Histoire commune… R. B.-R.

Une histoire des femmes en Europe (des grottes aux Lumières), 2024, Sophie Lalanne, Didier Lett & Dominique Picco (dir.), Paris, éditions Armand Colin, 584 p., 39 €

Au cœur des ouvrages gallo-romains

Voici le quatrième ouvrage du duo Coulon-Golvin, le premier à la plume, le second (reconnaissable entre tous) au crayon, qui nous invite à sillonner les routes de Gaule à la découverte des sites antiques. Soixante-quatorze lieux sont recensés au fil de chapitres correspondant aux provinces de Gaule. Si parmi ces 140 aquarelles certaines restent bien connues, d’autres sont complètement inédites, mais toutes nous plongent dans des lieux tantôt familiers, tantôt spectaculaires, grâce à de courts chapitres, enrichis d’extraits de textes littéraires ou historiques (Christian Goudineau, Hugo, Stendhal, Rousseau, Mérimée…). Et loin de se cantonner aux cités, ces pages dévoilent toute l’ingéniosité de constructions moins souvent abordées, qu’il s’agisse des villae agricoles, de sites extractions minières, d’une meunerie, d’un atelier de potiers ou de camps militaires. Un voyage dans le temps comme dans l’espace. É. F.

Pérégrinations dans la Gaule romaine et dans les provinces des Alpes et de Corse, 2024, Jean‑Claude Golvin, Gérard Coulon, Arles, Actes Sud, 219 p., 34 €

La maladie de Sapiens

Voici un passionnant petit ouvrage sur l’origine de nos maladies. S’appuyant sur le convaincant postulat que ces dernières, comme les hommes, ne cessent de naître, de vivre, d’évoluer, voire de mourir, l’auteur tente ici de mener une enquête (difficile) sur leurs origines depuis la Préhistoire – et notamment depuis cette période éminemment charnière que fut le Néolithique. Si le propos est grave, la plume reste facétieuse et pédagogique, ce qui aide à comprendre comment cette « expression intrinsèque et directe de la plasticité de notre espèce » (qu’il s’agisse des cancers, des épidémies, des anomalies génétiques, etc.) est le fruit d’une (très) longue évolution. Un livre d’actualité aussi sombre que lumineux sur « pourquoi et comment sommes-nous malades depuis l’origine de notre condition humaine »… É. F.

Enquête sur l’origine de nos maladies. Ce que nous révèle la paléopathologie, 2024, Jean Zammit, Paris, Michalon Éditeur, 198 p., 20 €

Fastes d’Asie centrale

Une carte nous accueille qui mène dans un pays de steppes, de déserts et de montagnes de haute altitude – jusque 4 500 m –, avec à l’ouest la mer Caspienne et à l’est le désert de Gobi. Des noms familiers résonnent : Samarcande, Kaboul, Peshawar, l’Indus, l’un des plus longs fleuves du monde, le Cachemire, le Ladakh, la plateau tibétain ou celui mongol… Mais beaucoup d’autres sont inconnus. Nous sommes en Asie centrale, conviés à la découverte d’un monde dont il ne reste aujourd’hui que des vestiges parcellaires. C’était il y a si longtemps, entre le IVe et le IXe siècle de notre ère, sur la « route de la soie » alors que les « Grandes invasions », venues d’Orient jusqu’à l’Empire romain, redessinaient la géographie économique, politique, religieuse et culturelle de ces régions. Porté par autant de poésie que de rigueur historique, le propos dépeint une multitude de peuples, leurs lieux, leurs coutumes ou leurs légendes – tout ce qui est encore accessible les concernant –, servi par une iconographie d’une qualité remarquable. P. B.

Asie centrale 300-850. Des routes et des royaumes, 2024, Étienne de La Vaissière, Paris, Les Belles Lettres, 638 p., 35 €

L’Odysée de Ptolémée

2 000 ans après sa mort, Ptolémée, éminent mathématicien, musicologue, astronome et surtout géographe, revient sur l’anti-terre où vivent les hommes et femmes que l’on n’a pas oubliés. Dans ce monde inversé, il découvre que sa statue n’est pas installée dans le panthéon des géographes, contrairement à son grand rival Marin de Tyr. Ptolémée s’aperçoit que sa Géographie est sur le point d’être délaissée, concurrencée par tous les géographes et cartographes qui lui ont succédé. Son sang ne fait qu’un tour, son caractères rugueux, sa mauvaise foi et sa jalousie maladive le conduisent, avec l’aide d’une créature panothéenne, Ola, à remonter le temps pour comprendre pourquoi tel ou tel scientifique lui vole la vedette. Des cartes égyptiennes aux relevés par satellite, l’auteur embarque le lecteur dans une véritable épopée humaine et scientifique, servie par une écriture virtuose. Il réussit ainsi le tour de force de vulgariser l’histoire de la cartographie et de la géographie, d’établir des comparaisons entre les différents systèmes, d’en indiquer les points forts et surtout de construire un récit très drôle peuplé de personnages remarquablement décrits. Pour tout saisir des problèmes de projection, de calcul d’arc, d’échelle, etc., il faut lire Géographia. Il faut s’y plonger pour admirer un merveilleux catalogue de cartes qui montre que cette science est affaire de calcul mais pas seulement : elle est surtout un fabuleux moyen de passer d’un monde réel à un autre dessiné, un monde recréé de toutes pièces, une représentation qui a autant à voir avec la matérialité des choses qu’avec l’imaginaire des sociétés. L’ensemble est complété par un copieux et savant dossier historique d’Emmanuelle Vagnon, indispensable pour enrichir le récit de Jean Leveugle et pour admirer, cette fois, les cartes « en vrai ». S. D.

Geographia. L’odyssée cartographique de Ptolémée, 2024, Jean Leveugle (dessin et scénario), Emmanuelle Vagnon (conseillère historique), Paris, co-éditions Futuropolis/BnF, 160 p., 23 €

Être de Gaule

Passionnant et nécessaire, le nouvel ouvrage de Laurent Oliver, archéologue et conservateur général au musée d’Archéologie nationale, renouvèle fondamentalement notre perception de la brillante civilisation gauloise. Les premiers chapitres nous font sortir de la gangue romaine qui a conditionné de longues générations d’historiens. Puis la suite de l’ouvrage offre une synthèse de ce que l’archéologie nous livre depuis quelques décennies : ces fameux « secrets », dont une pensée politique (la place des « partis », le poids des femmes, l’omniprésence du consensus et des contre-pouvoirs) et sociale (la place de la guerre, de la mémoire, de la parole, la conception de la richesse) tout à fait insoluble dans le monde méditerranéen. Se dévoilent les lignes de force, les failles et les incohérences, aussi, de cette mosaïque de peuples au cours du dernier millénaire avant notre ère, de leurs rapports (bien avant la Conquête) avec une Rome devenue colonisatrice. Au fil de ces pages, on y découvre un monde insoupçonné, et surtout les raisons de notre aveuglement et de notre laborieuse acceptation de ce passé national. Comme le souligne l’auteur « il est temps, aujourd’hui, d’écouter ce que dit la Gaule de nous-mêmes » : quelque chose d’assez surprenant dans le fond, mais de très beau… É. F.

Le monde secret des Gaulois. Une nouvelle histoire de la Gaule (IXe s. av. J.-C. – Ier s. apr. J.-C.), 2024, Laurent Olivier, Paris, Flammarion, 411 p., 23,90 €

L’humanité des origines

« Arago 21 » est découvert le 22 juillet 1971 sur le site de la Caune de l’Arago dans les Pyrénées-Orientales, site fouillé depuis 1964, et dont il fait la célébrité en devenant l’« Homme de Tautavel », le premier Européen ! À flanc de falaise, en surplomb d’une rivière, la grotte d’origine offrait un emplacement confortable à la vie quotidienne des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique, entre – 560 000 et – 80 000 ans avant nos jours. Grâce à 15 m de remplissage et après presque 60 ans de fouilles, les vestiges retrouvés constituent un ensemble de données sans pareil pour aborder une époque mal connue de la Préhistoire, le Pléistocène moyen. Comme le dévoile cet ouvrage, Arago 21, c’est le squelette d’une face d’Homo heidelbergensis, daté de 450 000 ans, parmi 152 fragments d’os humains retrouvés. Mais ce sont aussi de nombreux outils en pierre et une multitude d’ossements d’animaux, restes de proies chassées et consommées, soit 400 000 objets… ! De quoi permettre des études approfondies pour approcher au plus près la vie de ces ancêtres lointains, auxquels ces pages restituent toute leur humanité. P. B.

Origines. Tautavel, notre longue histoire avant Néandertal, 2024, Emma Baus, Amélie Vialet, Paris, Albin Michel, 191 p., 24,90 €

Tout sur Arcy-sur-Cure

Enfin ! Depuis le temps que nous l’attendions, voici la monographie d’une des grottes ornées les plus étonnantes, dont les dessins furent identifiés par hasard, le 29 avril 1990. Un peu étouffée par des cavités plus médiatiques, elle a cependant été étudiée avec méticulosité, loin des caméras. De manière exceptionnelle, ses dessins rouges et noirs sont en partie recouverts de deux couches de calcite : l’une translucide, les protégeant ; la seconde opaque, les cachant jusqu’à l’époque moderne. Ses niveaux archéologiques sont accessibles en découpant par endroits le plancher stalagmitique qui les recouvre. Elle présente un bestiaire typique de l’Aurignaco-Gravettien, avec mégacéros, ours, félin, rhinocéros, mains négatives et positives, mammouths, cheval, bouquetin, poissons et oiseaux, sans oublier des représentations de corps et de sexes féminins. Les traces et marques de doigts ocrées et les stalactites témoignent peut-être de rituels aujourd’hui inconnus. On se prend à regretter que la grotte ait subi des années durant des campagnes de nettoyage… Longtemps conservatrice de la grotte Chauvet, Dominique Baffier possède une connaissance intime de l’art de cette période. Les pages qu’elle consacre à l’analyse stylistique et thématique sont remarquables de précision. Un ouvrage à conserver précieusement dans sa bibliothèque ! R. P.

La Grande Grotte d’Arcy-sur-Cure (Yonne), 2024, Dominique Baffier (dir.), Supplément à la Revue archéologique de l’Est, Dijon, éditions Universitaires de Dijon, 466 p., 50 €