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Biens culturels maritimes : discussion autour d’une notion patrimoniale

Vestiges immergés d’Olbia à Hyères-les-Palmiers. Opération archéologique sous-marine « Olbia de Provence Structures immergées », sous la dir. scientifique de L. Borel CNRS/CCJ et A. Sabastia Inrap/CCJ.

Vestiges immergés d’Olbia à Hyères-les-Palmiers. Opération archéologique sous-marine « Olbia de Provence Structures immergées », sous la dir. scientifique de L. Borel CNRS/CCJ et A. Sabastia Inrap/CCJ. © L. Damelet, CNRS/CCJ

Les 16 et 17 juin prochains se tiendra la 10e session de la Conférence des États parties à la Convention Unesco de 2001 sur le patrimoine culturel subaquatique. Ce sera l’occasion de questionner le droit français en la matière. De la loi du 1er décembre 1989 à la procédure d’archéologie préventive en mer (loi du 17 janvier 2001), les biens culturels maritimes (BCM) font l’objet d’une protection juridique spécifique. Même s’il peut arriver, comme ce fut le cas récemment, que l’identification d’un BCM soit discutée !

La préservation des BCM contre les pillages est assurément l’un des grands objectifs du droit du patrimoine culturel. En la matière, si les lois nationales sont incontournables pour instituer un régime protecteur dans les eaux sous compétence étatique, l’existence d’un cadre juridique international est indispensable, notamment dans les espaces marins hors juridictions nationales.

La Convention Unesco de 2001

Sans être révolutionnaire, l’adoption de la grande Convention Unesco du 2 novembre 2001 sur la protection du patrimoine culturel subaquatique ne peut être que saluée, aujourd’hui ratifiée par près de 80 États (dont la France). Elle entend par « patrimoine culturel subaquatique » : « toutes les traces d’existence humaine présentant un caractère culturel, historique ou archéologique qui sont immergées, partiellement ou totalement, périodiquement ou en permanence, depuis 100 ans au moins », n’excluant pas les restes humains. Dans ce cadre, elle affirme notamment que « la conservation in situ du patrimoine culturel subaquatique doit être considérée comme l’option prioritaire avant que toute intervention sur ce patrimoine ne soit autorisée ou entreprise », et, non sans une certaine candeur, que ce patrimoine « ne doit faire l’objet d’aucune exploitation commerciale ». Quoi qu’il en soit, on mesure tout l’intérêt de ce texte majeur pour la protection des épaves et des vestiges sous-marins, aux antipodes de l’insatiable appétit destructeur de mémoire des chasseurs de trésors et de reliques. Le paquebot Titanic et, plus récemment, le galion San José sont les célèbres témoins de cet irréductible conflit de logiques et de valeurs.
Concernant le régime français, il faut d’abord souligner toute l’importance de la procédure d’archéologie préventive qui, en application du Code du patrimoine, est « partie intégrante de l’archéologie » et s’applique « à terre et sous les eaux » à l’occasion de travaux publics ou privés. Son financement est assuré par une redevance spécifique en mer (d’un montant stable de 0,10 € par m2), dont relèvent notamment, jusqu’à 24 milles des côtes, les extractions de granulats et les parcs éoliens concernés (ainsi que leur raccordement). Le développement actuel des projets d’aménagement offshore, notamment dans le domaine énergétique, renforce l’intérêt de la dimension maritime de cette procédure d’archéologie préventive.

La loi du 1er décembre 1989

Le droit français est aussi marqué par l’adoption de l’importante loi du 1er décembre 1989 relative aux biens culturels maritimes. Ces derniers appartiennent au domaine public de l’État (inaliénable et imprescriptible) lorsque le propriétaire « n’est pas susceptible d’être retrouvé » ou n’a pas pu être retrouvé à la suite d’une recherche de propriété, « à l’expiration d’un délai de trois ans suivant la date à laquelle leur découverte a été rendue publique ». Constituent de tels biens au sens de la loi « les gisements, épaves, vestiges ou généralement tout bien présentant un intérêt préhistorique, archéologique ou historique qui sont situés dans le domaine public maritime ou au fond de la mer dans la zone contiguë » (articles L. 532-1 et suivants du Code du patrimoine). Si les épaves de navires de l’Antiquité, du Moyen Âge et de l’époque moderne (tout comme leurs cargaisons) représentent sans doute l’archétype du bien culturel sous-marin, la notion est fort large et recouvre, entre autres, des habitats, sites et vestiges portuaires immergés, à l’exclusion des biens artistiques. La loi française mentionnant « tout bien » présentant un intérêt archéologique ou historique, elle a pu conduire, par exemple, à évoquer la fameuse gourmette de Saint-Exupéry, trouvée en 1998 dans les eaux territoriales méditerranéennes. Une cargaison de vin ou de champagne du XIXe siècle (comme on a pu en retrouver en mer Baltique) n’est a priori pas inéligible…

L’affaire corse du « trésor de Lava »

Le feuilleton judiciaire du « trésor de Lava », découvert par des pêcheurs d’oursins dans le golfe de Lava au nord d’Ajaccio, a opportunément permis de questionner la notion juridique de bien culturel maritime. Les monnaies romaines en or du IIIe siècle (très rares), ainsi qu’un plat du même métal d’une valeur historique inestimable, relevaient-ils dans cette affaire pénale du droit du patrimoine culturel terrestre ou marin ? À ce sujet, le juge répressif a pu retenir la qualification de BCM au sens de la loi du 1er décembre 1989. Toutefois, l’infraction d’origine étant antérieure (1985/1986), il a pu également se prononcer sur le fondement de l’ancien décret du 26 décembre 1961 sur les épaves maritimes, et juger que le plat romain de Lava était bien qualifiable « d’épave maritime », en tant qu’« objet d’origine antique tiré du fond de la mer ». Ce raisonnement relativise fortement la controverse sur la provenance du trésor… L’absence de preuve d’un naufrage de navire (hypothèse terrestre d’un éboulement à la mer par exemple) suffirait-elle à écarter la loi ? Ce serait méconnaître son sens et sa portée : le texte de 1989 repose sur deux critères fondamentaux, faisant référence à l’intérêt historique ou archéologique (donc culturel) du bien et à sa localisation dans le domaine public maritime (ou dans la zone contiguë). Le critère « naufrage d’un navire » n’est certainement pas incontournable : c’est la localisation au fond de la mer qui prime. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois, en droit maritime, que le « critère navire » s’efface devant le « critère mer » ! Dans ces conditions, la thèse de la démonstration d’un naufrage prend juridiquement l’eau, au bénéfice d’une plus grande protection d’un patrimoine essentiel de la Nation. Nul doute que le juge, à propos du « trésor de Lava » ou d’autres affaires, aura à nouveau l’occasion de revenir sur cette notion juridique de bien culturel maritime…

Trésor de Lava : plat à sacrifices en or massif de 879 g, retrouvé en 2010 par la police.

Trésor de Lava : plat à sacrifices en or massif de 879 g, retrouvé en 2010 par la police. © Teddy Seguin, Drassm

Pour aller plus loin
Articles L. 532-1 et suivants du Code du patrimoine (biens culturels maritimes).
CASSAN H., 2003, « Le patrimoine culturel subaquatique ou la dialectique de l’objet et du lieu », dans La Mer et son droit, Paris, Pedone.
ESTIOT S., 2011, « Le trésor d’or romain de Lava, Corse (terminus 272/273 de notre ère) », dans Trésors monétaires, 24 (2009/10), Paris, Bibliothèque nationale de France, t. XXIV, p. 91-152.
LE GURUN G., 2000, La métamorphose encore inachevée du statut des biens culturels sous-marins, Thèse de droit, Nantes Université.