Carnac : les dernières découvertes (2/9). Cartographier le site de Carnac par les méthodes géophysiques

Prospections magnétiques avec un résistivimètre RM85 (Geoscan Research). © Guillaume Bruniaux et Vincent Ard
À l’occasion de l’inscription des Mégalithes de Carnac et des rives du Morbihan sur la Liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en juillet dernier, Archéologia vous propose de faire le point sur les dernières découvertes menées sur ces monuments iconiques du Néolithique. En effet, depuis le XIXe siècle, ils sont au cœur de fouilles et de mesures de conservation qui visent à mieux percer leurs mystères. Coup de projecteur sur les dernières révélations.
Les auteurs de ce dossier sont : Olivier Agogué, administrateur des monuments nationaux de Bretagne, directeur du musée de Carnac, CNRS, UMR 6566 CREAAH ; Vincent Ard, CNRS, UMR 5608 TRACES, Toulouse ; Audrey Blanchard, responsable d’opération, Archeodunum, ERC NEOSEA ; Guillaume Bruniaux, Université La Rochelle, UMR 7266 LIENSs ; Florian Cousseau, postdoctorant au sein du projet Megalithic Origins de l’université de Durham au Royaume-Uni ; Céline Cornet, directrice adjointe du musée de Préhistoire de Carnac et coordinatrice du dossier ; Émilie Heddebaux, conservatrice-restauratrice, Association Paysages de Mégalithes, doctorante en conservation-restauration, Laboratoire Héritages, UMR 9022, INP ; Benjamin Gehres, chargé de recherche CNRS, UMR 6566 CReAAH, Laboratoire Archéosciences ; Valentin Grimaud, architecte-archéologue indépendant, LARA Nantes Université ; Jean-Noël Guyodo, enseignant-chercheur, UMR 6566, ERC NEOSEA ; Gwenaëlle Hamon, chercheuse indépendante, associée à l’UMR 6566 CReAAH ; Vivien Mathé, ArchéoSolution, Université La Rochelle, UMR 7266 LIENSs ; Bettina Schulz Paulsson, professeur, Göteborg University, ERC NEOSEA ; Astrid Suaud-Préault, Drac Bretagne, Service régional de l’archéologie, UMR6566 CREAAH

Prospections magnétiques avec un magnétomètre FEREX 4.034 (Forster Institüt) à 8 capteurs. © Guillaume Bruniaux et Vincent Ard
Le golfe du Morbihan constitue l’un des plus hauts lieux du mégalithisme en Europe. Bien que mondialement connus, les alignements de Carnac restent mystérieux et de nombreuses zones d’ombre subsistent sur leur fonction, leur histoire et leurs bâtisseurs. Une partie des réponses se trouve dans les secteurs non explorés du site. Des méthodes d’investigation non destructrices, issues des sciences de la Terre, offrent aujourd’hui l’opportunité d’aller chercher des traces d’occupations humaines dans leurs sous-sols.
En 2024 et 2025, pour la première fois, des campagnes de prospection géophysique ont été menées sur le site mégalithique de Carnac.
Objectif : détecter des structures associées aux alignements
Les techniques de pointe mises en œuvre consistaient à mesurer, depuis la surface, certaines propriétés électriques et magnétiques du sol et du proche sous-sol. À partir des enregistrements, l’équipe scientifique a établi des cartes puis les a analysées pour y détecter la présence de signaux particuliers, aussi appelés « anomalies », révélateurs de vestiges archéologiques. L’objectif de ces investigations était de détecter des structures associées aux alignements : menhirs enfouis, foyers, fossés, trous de poteaux, ou encore monuments funéraires arasés. S’appuyant sur l’expertise développée dans le cadre de plusieurs programmes de recherche sur les mégalithes dans le Centre-Ouest et le Sud-Ouest de la France, elles s’inscrivent dans une dynamique européenne qui a montré le potentiel considérable des méthodes non invasives pour la compréhension des monuments néolithiques, à l’image de Stonehenge au Royaume-Uni. Pour ces premières explorations, plusieurs secteurs de Carnac ont été privilégiés dans et autour des alignements, entre le Ménec et Kerlescan. Des études ont également été conduites sur le tumulus Saint-Michel.
D’exceptionnelles anomalies
Sans surprise, les prospections magnétiques ont mis en évidence des menhirs enfouis, jusqu’alors inconnus ou uniquement soupçonnés, à Kerlescan notamment. La détection de ces monolithes offre aujourd’hui une idée des zones jusqu’alors non impactées par des interventions de fouilles ou de restaurations antérieures. Au nord des alignements de Kerlescan (sondés par les archéologues allemands pendant l’occupation nazie), des anomalies magnétiques, supposées correspondre à des blocs de plus petites dimensions, sont interprétées comme de modestes pierres dressées délimitant des tertres allongés, à l’image de celui du Manio. Plus inattendue, la reconnaissance d’anomalies comparables au nord de ce dernier confirme que l’emprise actuellement connue de ce vaste ensemble mégalithique est largement sous-estimée. Des files de menhirs enfouis, totalement inédites et semblant se poursuivre dans les zones boisées en périphérie, ont aussi été découvertes. Leur conservation, à l’extérieur du périmètre exploré jusqu’alors, assure qu’ils n’ont fait l’objet d’aucune investigation archéologique, ce qui constitue une aubaine pour les recherches futures. Non loin de là, de nombreuses anomalies magnétiques, dans et en périphérie des alignements du Manio et de Kerlescan, témoignent de la densité d’occupation de ce secteur. Si elles sont susceptibles de dater de différentes périodes, il est bien difficile aujourd’hui de leur donner du sens – à l’exception de traces caractéristiques d’anciens chemins, de bâtiments en pierre détruits ou de limites parcellaires. Certaines concentrations d’anomalies intenses, de diamètre inférieur à 2 m, attirent toutefois l’attention. Il pourrait s’agir de batteries de foyers à pierres chauffées, typiques des occupations néolithiques de la région. Ces structures, destinées à la cuisson de denrées, ont été quasi systématiquement mises au jour à proximité des mégalithes lors des fouilles préventives dans le secteur de Carnac, au Plasker par exemple. Le fonctionnement de ces foyers dans le cadre d’activités rituelles liées à la fréquentation des alignements mégalithiques est proposé de longue date par certains chercheurs.

Extrait d’une carte de prospection magnétique révélant la présence de menhirs enfouis et alignés, et de batteries de foyers à pierres chauffées dans le secteur du Manio. Guillaume Bruniaux et Vivien Math
Des découvertes majeures
Parmi les découvertes majeures, celle d’un tumulus de 85 à 90 m de long, inconnu jusqu’alors, à environ 50 m au nord des alignements du Manio, apparaît exceptionnelle. Très arasé, il n’est aujourd’hui plus visible dans la topographie du champ et n’aurait jamais été soupçonné sans l’usage des méthodes géophysiques. Ce monument pourrait correspondre, au moins pour partie, à un mégalithe décrit par Zacharie Le Rouzic et les époux Péquart au moment de sa destruction dans les années 1920.
Ces prospections ouvrent aujourd’hui des perspectives passionnantes de cartographie du site mégalithique de Carnac. Elles permettront dans les années à venir d’ouvrir de nouveaux champs de recherche pour la compréhension des sociétés de leurs bâtisseurs. Cependant, seule la fouille sera de nature à lever le voile sur les nombreuses énigmes qui subsistent encore sur ce site majeur.

Extrait d’une carte de prospection magnétique révélant la présence des vestiges d’un long tumulus arasé dans le secteur du Manio. © Guillaume Bruniaux et Vivien Mathé
Sommaire
Carnac : les dernières découvertes
2/9. Cartographier le site de Carnac par les méthodes géophysiques
7/9. Dater les stèles du Plasker à Plouharnel (à venir)
8/9. Conserver et restaurer les mégalithes (à venir)
9/9. Le nouveau musée de Carnac (à venir)





