Chambord : révélations de l’archéologie (2/7). Le chantier Renaissance et ses modifications

Vue de la façade nord du château de Chambord, Jacques Androuet du Cerceau, vers 1570. Plume et encre noire, lavis gris sur vélin, 51,4 × 74,9 cm. Londres, British Museum. © The British Museum, Londres, dist. RMN / The Trustees of the British Museum
Château hors normes qui fête ses 500 ans en 2019, symbole du pouvoir royal puis républicain, classé sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, Chambord est un des sites emblématiques de la Renaissance française. L’archéologie y est rentrée par la petite porte, dans l’ombre des personnages historiques tutélaires du lieu, il y a une vingtaine d’années. Elle y a mené une dizaine d’interventions préventives et programmées qui ont permis de renouveler de manière décisive les connaissances sur le château et ses abords. Elle a aussi apporté des éléments essentiels à l’histoire d’autres palais modernes, comme Roissy et Fontainebleau. Des avancées fondamentales que présente Archéologia dans ce dossier.
Vue du château de Chambord. © DR
L’analyse des textes par les historiens a permis d’esquisser les grandes étapes du chantier et de montrer que les travaux ont commencé dès 1519. Aux interrogations des historiens de l’art sur la nature du projet initial et ses modifications ultérieures, l’archéologie est venue apporter de précieux éléments de réponses.
L’ombre de Léonard
Jusqu’à leur interruption à la suite de la désastreuse campagne d’Italie en 1524, les travaux connaissent des aléas en raison des décès successifs des maîtres maçons et d’autres personnages-clés de l’administration du chantier. Leur reprise vers le mois d’octobre 1526 marque également un changement d’orientation dont les effets sont visibles sur la conception du château. La nature du projet initial et l’éventuelle influence de Léonard de Vinci ont animé des débats passionnés sur l’organisation des quatre tours du donjon. C’est là que l’archéologie a pu apporter sa contribution par le biais des recherches programmées sur les latrines entre 1997 et 2003 et d’interventions préventives sur l’aile sud en 1999-2000, la cour intérieure en 2007 et les abords en 2010 et 2013. Les fosses latrines sont en effet intégrées dans les massifs de fondation et constituent ainsi la matérialisation du projet initial. Il semble plus que probable que ce dernier, sans doute influencé par Léonard de Vinci, consistait en un plan « giratoire » où la disposition des pièces des tours « tourne » autour de l’axe central du donjon et de son escalier à double révolution. Le plan actuel, adopté après la reprise du chantier en 1526, a modifié l’idée initiale pour prendre en compte les impératifs de circulation entre le donjon et l’appartement du roi situé à l’angle nord-est de l’enceinte.
Léonard de Vinci, Autoportrait, vers 1516. Dessin à la sanguine. © Photo Josse / Leemage
« Il semble plus que probable que le projet initial, sans doute influencé par Léonard de Vinci, consistait en un ‘‘plan giratoire’’ ».
Les fondations : l’hypothèse des pilotis définitivement écartée ?
Le suivi des travaux de démolition dans l’aile sud et la fouille de la cour ont offert d’autres renseignements sur le déroulement du chantier. Un sondage profond a permis l’observation des fondations de la tour sud-ouest du donjon. Se développant sur une profondeur de 5,20 m par rapport à la surface actuelle de la cour, elles présentent une base en « bouchon » de maçonnerie de 26 m de diamètre. Ce massif a servi de soutien pour la suite des fondations, montées en élévation avec des retraits successifs. Ces fondations reposent directement sur le substrat en marne calcaire et non pas sur un ouvrage de pilotis en chêne comme laissait supposer un texte de 1550 (qui affirme que les fondations de Chambord étaient semblables à celles des maisons de Vénétie).
Fondations de la tour sud-ouest dans le sondage profond réalisé en 2007. Ce sondage, descendant à 5,20 m dans des remblais et des sédiments marécageux, a nécessité la mise en place d’un blindage en bois. © S. Bryant, Inrap
Lexique
Les fausses braies correspondent dans le château de Chambord à la bande de terrain plat située immédiatement au pied des murs extérieurs du château, délimitée par le fossé et le mur de d’escarpe.
D’importants travaux de terrassement
D’autres points d’observation indiquent que le travail d’implantation et de fondation a nécessité d’importants terrassements entaillant le coteau à l’ouest pour l’aile occidentale et en descendant jusqu’au terrain dur dans le fond de la vallée pour la partie orientale de l’ensemble. On peut se demander si les fondations des ailes des communs, voire d’une partie des murs des fausses braies, ont été réalisées en premier pour créer un espace étanche afin que les fondations du donjon soient érigées à l’abri des eaux de la rivière. Une telle organisation était largement à la portée des bâtisseurs de l’époque, fondée sur les connaissances des techniques hydrauliques héritées du Moyen Âge et l’expertise des ingénieurs italiens au service de la Couronne. Mais dans l’état actuel de nos connaissances, il s’agit encore seulement d’une hypothèse de travail.
Une partie des murs des « fausses braies ». Découvertes en 2010, ces maçonneries constituaient les murs extérieurs de la plateforme du donjon et des ailes des communs. © S. Bryant, Inrap
Des archives lacunaires
Pour un édifice qui a suscité intérêt et émerveillement depuis sa construction, très peu d’archives nous sont parvenues pour la foisonnante période du XVIe siècle. Malgré la quantité certainement impressionnante de pièces comptables et de courriers générés par les dépenses du chantier entre 1519 et la mort de François Ier, les aléas des administrations royales en constante évolution ont conduit à la perte ou à la dispersion de cette précieuse documentation. Des résumés des registres des comptes ont été réalisés par l’architecte André Félibien vers 1680 et quelques pièces d’origine ont été patiemment rassemblées, étudiées et publiées par plusieurs générations d’érudits depuis le dernier quart du XIXe siècle. Ces sources écrites sont appuyées par de rares plans dont un dessin d’une maquette attribuée à un des architectes du projet initial. Ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle que les sources écrites et iconographiques commencent à nous renseigner de façon plus précise sur les projets des successeurs de François Ier. L’utilisation de ces documents implique néanmoins un regard critique, surtout pour les images et les plans qui laissent entrevoir plusieurs formes possibles dans le temps pour le monument et ses abords.
Révision à la baisse d’un ambitieux projet
D’autres anomalies permettent de percevoir un changement majeur dans le projet des communs, vraisemblablement dans les années 1540, vers la fin du règne de François Ier. La fouille de l’aile sud a en effet mis en évidence deux états de fondation, composés de murs de refends (murs porteurs intérieurs) différents. Les refends du premier état sont chaînés aux murs extérieurs et présentent des largeurs de 1,80 à 2,40 m. Ils correspondent à l’implantation des fondations au cours des années 1520. Le deuxième état consiste en une série de massifs de fondation moins larges (1,50 m environ), parallèles aux refends du premier état et postérieurs à ceux-ci car appuyés contre leurs parements et creusés dans les remblais de nivellement.
« Plusieurs indices convergent pour identifier la réduction d’un projet ambitieux vers la fin du règne de François Ier ».
L’analyse archéologique des élévations a permis de mettre ces nouvelles fondations en relation avec les portes condamnées dans les murs extérieurs et avec les bases des pilastres des façades. Plusieurs indices convergent ainsi pour identifier la réduction d’un projet plus ambitieux vers la fin du règne de François Ier. Les fondations des refends d’origine sont surdimensionnées et suggèrent la prévision d’un édifice sur plusieurs niveaux tandis que celles du deuxième état sont plus cohérentes avec un résultat final sur un seul niveau. Une vaste fosse latrine voûtée a été enregistrée à l’extrémité est de l’aile sud, configurée pour recevoir plusieurs descentes de latrines : l’édifice devait donc avoir des étages supérieurs. Un dessin de de l’architecte Jacques Androuet du Cerceau figure ainsi l’état projeté de l’aile sud des communs qui devait se développer sur deux étages pour accommoder le nombreux personnel de service, nécessaire au fonctionnement du château et de la cour.
Relevé du parement intérieur du mur sud montrant les différentes étapes de construction. © S. Bryant, Inrap
L’aire Renaissance mise à nu
La fouille de la cour a découvert les surfaces de travail du chantier Renaissance, matérialisées par des épandages de tuffeau écrasé (provenant de la taille des pierres) et par des croûtes de mortier qui formaient de véritables sols en dur. Il s’agissait en fait des aires de gâchage du mortier à même le sol ou en petites cuvettes au pied de l’œuvre. Dans les premières assises des élévations, quelques maladresses dans l’implantation des communs sur les fondations reflètent les hésitations des équipes successives entre 1519 et 1524.
Surface de travail du chantier Renaissance devant la façade sud du donjon. © S. Bryant, Inrap
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