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Chambord : révélations de l’archéologie (4/7). Les transformations des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles

Vue des cheminées et tourelles du château de Chambord.

Vue des cheminées et tourelles du château de Chambord. © DR

Château hors normes qui fête ses 500 ans en 2019, symbole du pouvoir royal puis républicain, classé sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, Chambord est un des sites emblématiques de la Renaissance française. L’archéologie y est rentrée par la petite porte, dans l’ombre des personnages historiques tutélaires du lieu, il y a une vingtaine d’années. Elle y a mené une dizaine d’interventions préventives et programmées qui ont permis de renouveler de manière décisive les connaissances sur le château et ses abords. Elle a aussi apporté des éléments essentiels à l’histoire d’autres palais modernes, comme Roissy et Fontainebleau. Des avancées fondamentales que présente Archéologia dans ce dossier.

Vue du château de Chambord ceint par son domaine.

Vue du château de Chambord ceint par son domaine. © DR

Chambord reste dans un état de quasi-abandon jusqu’en 1639 jusqu’à ce que Gaston d’Orléans (1608-1660) procède à la restauration « à l’identique » du château et assèche les marais. Cette période reste la moins bien documentée par l’archéologie et ce n’est qu’à partir des travaux conduits par Jules Hardouin-Mansart pour Louis XIV que les fouilles retrouvent le fil de l’histoire. Outre la découverte de traces des anciennes cuisines du règne de Louis XIV, les fouilles ont permis de retrouver, à l’ouest, les vestiges des grandes écuries à pans de bois érigées en 1681. Censées être provisoires en attendant la construction des Grandes et des Petites écuries dans la cour d’Honneur, elles ont servi jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.

Les jardins à la française de Louis XIV

La fouille des jardins, particulièrement riche, a mis au jour deux états de jardins formels, en partie illustrés par les plans. Un premier projet visait à la création d’un vaste parterre trapézoïdal devant les façades nord. Les résultats des prospections géo-physiques menées en 2014 et les vestiges attestent du quasi-achèvement de ce jardin en l’espace de deux ans, avec l’implantation des allées sablées à l’est, la mise en place des terres végétales pour les parterres et l’amorce des plantations des arbres et des arbustes. Pourtant ce projet est abandonné pour un autre plus ambitieux, préfigurant la forme actuelle en « L » des parterres devant les façades nord et est du château. Cet état des jardins perdure jusqu’en 1730, date à laquelle le contrôleur du château, le sieur La Hitte, reprend le projet abandonné afin d’aménager des jardins pour Stanislas Leszczynski, beau-père de Louis XV. Le fond de la vallée est alors remblayé et une plateforme de 2,50 m de haut est élevée sur une surface de 6,5 ha. La fouille a pu documenter les étapes de remblaiement et de préparation de ces jardins formels (nivellement du terrain, implantation des éléments structurants des allées sablées, fosses de plantation des alignements de marronniers et création des plates-bandes fleuries).

Diagnostic du bourg et des abords ouest du château en 2012. Il a mis au jour plusieurs vestiges visibles sur les plans des années 1680 : murets et plots maçonnés pour les sablières, ou encore poteaux pour les écuries provisoires de Louis XIV, érigées en 1681.

Diagnostic du bourg et des abords ouest du château en 2012. Il a mis au jour plusieurs vestiges visibles sur les plans des années 1680 : murets et plots maçonnés pour les sablières, ou encore poteaux pour les écuries provisoires de Louis XIV, érigées en 1681. © S. Bryant (Inrap)

Le jardin du maréchal de Saxe

Il a été également possible d’identifier les modifications apportées par le maréchal de Saxe, telle que la division du carré sud-est en quatre carrés délimités par des plates-bandes avec un puits maçonné au carrefour. L’état de conservation des sédiments était tel que les fosses de plantation des « coquilles » des angles des plates-bandes, étaient parfaitement visibles. Les sources écrites, iconographiques et archéologiques donnent ainsi l’image d’un espace marqué par une architecture végétale en évolution permanente. Les textes offrent aussi un aperçu des circuits d’approvisionnement des végétaux, par des achats ou par des moyens moins avouables : le maréchal fait par exemple prélever 5 000 à 6 000 pieds d’arbustes « corettes » dans les forêts autour de Namur lors des campagnes de la guerre de Sept Ans, en exigeant de la province de Namur le transport jusqu’à la frontière française… La mort de Maurice de Saxe mit probablement fin à ce nouvel état des jardins. Les marronniers, d’un entretien coûteux, ne sont plus taillés et un des carrés du parterre oriental est utilisé comme potager par les habitants du château, le reste ayant été transformé en prés fauchés. Ce changement est peut-être lié à l’arrivée du marquis de Polignac en 1782 et son projet d’installation d’un haras. Nombreux à Chambord depuis Louis XIV, les chevaux occupaient une grande partie des bâtiments annexes. L’implantation d’un haras augmentait encore la demande de fourrage.

Vue de la partie centrale du parterre oriental lors de fouille des jardins en 2016. Les vestiges correspondent pour l’essentiel au deuxième état aménagé par Maurice de Saxe à partir de 1746. Il fait ajouter un puits visible au centre de l’image.

Vue de la partie centrale du parterre oriental lors de fouille des jardins en 2016. Les vestiges correspondent pour l’essentiel au deuxième état aménagé par Maurice de Saxe à partir de 1746. Il fait ajouter un puits visible au centre de l’image. © S. Bryant (Inrap) et C. Travers (Archéoverde)

La grande cuisine du XVIIIe siècle

Le marquis de Polignac transforma aussi en écurie les anciennes cuisines de Louis XIV. Il fut donc obligé d’aménager de nouvelles cuisines dans la tour nord-ouest du donjon. Les pièces du rez-de-chaussée furent occupées par la grande cuisine, le garde-manger, l’office et le pétrin avec son four tandis que le niveau de l’entresol devint l’appartement du maître queux, relié au rez-de-chaussée par un escalier à vis. L’étude archéologique a montré comment ces aménagements se sont greffés sur la trame des maçonneries du XVIe siècle et des entresols aménagés sous Louis XIV. L’observation attentive des éléments de fixation en fer, des négatifs des structures en bois et des badigeons sur les murs a permis de restituer l’organisation de la cuisine : les plans de travail dans les ébrasures des fenêtres, les placards et les étagères contre les murs, comme les cloisons du garde-manger où était stockée la vaisselle précieuse. La grande cheminée dominant la pièce principale conserve les traces de l’emplacement d’un tournebroche mécanique et les vestiges de la sole du foyer en brique. On observe également les traces de cloisons en bois qui formaient des sas d’entrée destinés à réduire la nuisance des fumées, dont on observe néanmoins les traces de suie jusqu’au couloir extérieur. Le contraste est frappant entre la cuisine, basse de plafond, sombre et enfumée et la salle à manger adjacente avec ses décors et son haut plafond.