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Chambord : révélations de l’archéologie (5/7). Festina lente ou documenter le patrimoine

Le château de Chambord bordé par le canal créé après avoir détourné le cours du Cosson.

Le château de Chambord bordé par le canal créé après avoir détourné le cours du Cosson. © DR

Château hors normes qui fête ses 500 ans en 2019, symbole du pouvoir royal puis républicain, classé sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, Chambord est un des sites emblématiques de la Renaissance française. L’archéologie y est rentrée par la petite porte, dans l’ombre des personnages historiques tutélaires du lieu, il y a une vingtaine d’années. Elle y a mené une dizaine d’interventions préventives et programmées qui ont permis de renouveler de manière décisive les connaissances sur le château et ses abords. Elle a aussi apporté des éléments essentiels à l’histoire d’autres palais modernes, comme Roissy et Fontainebleau. Des avancées fondamentales que présente Archéologia dans ce dossier.

Les jardins à la française de Chambord.

Les jardins à la française de Chambord. © DR

Le désastre de Notre-Dame de Paris nous rappelle cruellement que l’on apprécie réellement notre patrimoine qu’après sa disparition, en constatant trop souvent que les monuments les plus connus ne sont pas aussi bien documentés qu’on l’eût cru. Chambord offre un antidote salutaire à la précipitation provoquée par l’émotion, qui ne verrait dans les procédures, les réglementations et les avis des scientifiques que d’insupportables obstacles à la prise de décision et à l’action.

Vingt ans de recherches

Placé au cœur même des dispositifs de contrôle et d’autorisation institutionnels et réglementaires, Chambord a, paradoxalement, offert un curieux espace de liberté, illustré par la diversité des approches employées pour répondre aux exigences du monument. Par-delà le fil conducteur qui a présidé à l’acquisition des connaissances nécessaires pour restaurer et mettre en valeur le monument, les observations et les découvertes archéologiques des vingt dernières années sont le résultat d’un dialogue continu entre archéologues, chercheurs, architectes et le château, sans compter une certaine mesure de sérendipité. La recherche scientifique a besoin d’une part d’imprévu et surtout d’espaces de décélération et de réflexion entre les espace-temps compressés des chantiers, que ce soient ceux de l’archéologie préventive ou ceux de la restauration. Festina lente.

L’archéologie et l’environnement

Les interventions archéologiques à Chambord ont donné l’occasion de mettre en œuvre un éventail de méthodes scientifiques qui ont offert de précieux renseignements sur l’environnement « naturel » et social.

Le château et ses alentours

La vallée du Cosson et le cours d’eau ont été totalement artificialisés par les travaux d’aménagement des abords au XVIIIe siècle. Ces remblais ont scellé des aménagements antérieurs ; grâce à une campagne de prélèvements par carottage réalisée en 2016 et à des datations au carbone 14, il a été possible de suivre l’évolution du climat et de l’environnement proche du cours d’eau sur une période de 12 000 ans. Les analyses palynologiques (des grains de pollens) ont montré une période de forte déforestation au cours des Ve et VIe siècles de notre ère, accompagnée par l’arrivée d’activités agro-pastorales dont la culture du chanvre et du lin. À partir du VIIe siècle, les prairies de la vallée semblent s’ennoyer et les activités humaines décroissent. La forêt reprend ses droits au début du Xe siècle, mais la majorité écrasante de chêne par rapport à d’autres espèces suggère une forêt gérée. Entre le début du XVe siècle et le milieu du XVIIe siècle, les pollens indiquent un léger recul de la forêt et un regain des activités agricoles avec la présence de céréales, dont le seigle. Le chanvre est toujours cultivé et le sarrasin fait son apparition. L’exploitation du milieu marécageux et forestier est attestée par les textes et les découvertes archéologiques.

Le régime alimentaire des habitants

L’utilisation des ordures domestiques (restes de table principalement) comme engrais est remarquée pour les fosses de plantation au milieu du XVIe siècle. Par extension, l’analyse des restes osseux de ces fosses a donné un aperçu du régime alimentaire des occupants du château vers le milieu du XVIe siècle. Avec une nette préférence pour la volaille, le lapin et la viande de jeunes animaux (veau, agneau), sans compter les poissons d’eau douce comme la carpe, le perche et le brochet, cette population plutôt privilégiée consomme des animaux de basse-cour et exploite les ressources locales en poisson. Pour un château réputé comme étant un relai de chasse, l’absence total de gibier est plutôt étonnante ! Ce même phénomène s’observe au milieu du XVIIIe siècle où les ordures sont en partie enfouies discrètement sous les marronniers. Le gibier y est également absent et on se pose la question d’un traitement différencié des tables des « Grands » soit pour la préparation des aliments soit pour le traitement des déchets. En tout cas, la place réelle de la chasse sur la table des habitants du château reste encore à débattre…

Pour aller plus loin 
BRYANT S., 2016, « De nouveaux regards sur le château de Chambord : l’apport des fouilles archéologiques depuis dix ans », dans JOURD’HUEIL I., MARCHANT S. (dir.), Châteaux en Val de Loire. Chantiers et découvertes. Actes du colloque Les châteaux du Val de Loire, chantiers et découvertes, Orléans, 8 octobre 2010, Presses Universitaires François Rabelais, pp. 56-103.
BRYANT S., TRAVERS C., 2017, « Ni fait, ni à faire : Chambord, un château à choix multiples », Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles, http://journals.openedition.org/crcv/14356 ; DOI : 10.4000/crcv.14356
CAILLOU J.-S., HOFBAUER D., 2016, Chambord. L’œuvre ultime de Léonard de Vinci ?, Éditions Faton.
CHATENET M., 2001, Chambord, Éditions du Patrimoine, Centre National des Monuments Historiques.