Chambord : révélations de l’archéologie (7/7). Roissy, métamorphose d’un château d’Île-de-France

Matthieu Appriou, Restitution du château et du village de Roissy-en-France au XVIIIᵉ siècle. Aquarelle. © Matthieu Appriou / Archéa
Château hors normes qui fête ses 500 ans en 2019, symbole du pouvoir royal puis républicain, classé sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, Chambord est un des sites emblématiques de la Renaissance française. L’archéologie y est rentrée par la petite porte, dans l’ombre des personnages historiques tutélaires du lieu, il y a une vingtaine d’années. Elle y a mené une dizaine d’interventions préventives et programmées qui ont permis de renouveler de manière décisive les connaissances sur le château et ses abords. Elle a aussi apporté des éléments essentiels à l’histoire d’autres palais modernes, comme Roissy et Fontainebleau. Des avancées fondamentales que présente Archéologia dans ce dossier.
Georges-Louis Le Rouge, Élévation du château de Roissy du côté de la cour. Élévation du même château du côté du parc dans Jardins anglo-chinois, cahier III, 1775-1789. Gravure. Bibliothèque nationale de France. © BnF
Les fouilles menées en 1999 et 2003 sur le château de Roissy-en-France (Val-d’Oise) ont permis de mieux connaître ce monument dont l’histoire remonte au XIIe siècle. En effet, en dehors de la dizaine de châteaux royaux (Versailles, Marly, Vincennes, Fontainebleau, Saint-Germain-en-Laye), les historiens de l’art, et plus encore les archéologues, ignorent beaucoup des centaines de châteaux, et à peu près tout des milliers de petites demeures des élites, qui parsemaient les terres devenues franciliennes.
« Roissy, Rossiacum, etoit un vieux château, flanqué de tours rondes à l’antique, qui a appartenu à la maison de Mesmes. Le comte d’Avaux, si connu dans toute l’Europe par ses négociations, le fit abattre en 1704. »
Piganiol de la Force, Description historique de Paris et de ses environs, 1765
Une longue histoire architecturale
L’opération archéologique de Roissy fut la première fouille en Île-de-France qui donna la possibilité d’étudier l’évolution d’une demeure seigneuriale de la plaine de France, sur la longue durée, depuis les premières phases de l’habitat sur poteau planté du XIIe siècle jusqu’au grand château du XVIIIe siècle. Les huit étapes de son développement ont été documentées par la fouille et le travail d’étude ; aux deux demeures plates du XIIe siècle, succèdent une maison fortifiée au XIIIe siècle, une tour au XIVe siècle, un manoir ou « hostel » de la fin du XVe au milieu du XVIIe siècle, un château classique dans la seconde moitié du XVIIe siècle, et enfin une maison de plaisance au XVIIIe siècle. Inhabité, le corps central du château est démoli par des marchands de matériaux au début du XIXe siècle, mais les écuries sont partiellement réaménagées en logement bourgeois.
Georges-Louis Le Rouge, Parc du château de Roissy dans Jardins anglo-chinois, cahier III, pl. 12, 1775-1789. Gravure. Bibliothèque nationale de France. © BnF
Le château médiéval
Vers 1225, le petit seigneur de Roissy, sans doute le chevalier Philippe de Roissy, fait table rase de la maison traditionnelle à pan de bois pour ériger une tour-résidence sur une plate-forme entourée de deux fossés. Un troisième fossé délimite la bassecour. La découverte d’une console sculptée témoigne de considérations esthétiques dans l’aménagement de cette tour. Sur le plan stratégique, cette maison fortifiée, n’a probablement jamais eu, comme bien d’autres situées en plaine, de rôle militaire dans la défense du royaume. Ses attributs défensifs sont légers et elle n’est dotée d’aucune enceinte.
Le château des De Mesmes
Une nouvelle phase de construction intervient à la fin du XVe siècle. Un long corps de logis remplace l’ancienne tour. Ce changement d’orientation et de fonction constitue la première étape du château moderne. Au cœur de l’ancienne plateforme, le nouveau bâtiment présente un plan rectangulaire de 100 pieds sur 20, axé nord-sud. Au XVe siècle, les seigneurs de Roissy, dont les Jouvenel des Ursins, ont lâché l’épée pour la robe ; leur nouvelle position sociale exige un hôtel parisien et des rentes à prendre sur la bonne terre de Roissy. Puis de 1538 à 1713, les De Mesmes, famille de parlementaires originaires de Navarre, deviennent seigneurs de Roissy. Sous l’action de leur lignage, le domaine est agrandi et le manoir très rustique transformé pour devenir un véritable château classique. Doté d’un grand corps de logis, d’une cuisine, d’un pigeonnier et de dépendances immédiates, il a une fonction résidentielle probablement partielle, les Mesmes ayant leur hôtel parisien. Mais il est le siège d’une exploitation agricole d’une centaine d’hectares, louée à un fermier, les seigneuries franciliennes riches en terres agricoles de fort rendement étant très recherchées par l’aristocratie parisienne. Bien que toujours rustique, cet « hostel » est fréquenté par des visiteurs célèbres tels, en 1549, Antoine de Bourbon (le roi Henri III de Navarre).
Du XVIIe au XVIIIe siècle : l’œuvre de Tessin ?
Au milieu du XVIIe siècle, le vieil « hostel » est restructuré et agrémenté de deux grands pavillons latéraux. Les jardins prennent une forme classique ; une orangerie est construite. L’architecte très certainement parisien de ce remaniement demeure inconnu. Les chroniqueurs et les fouilles témoignent d’une ultime reconstruction au tout début du XVIIIe siècle, selon les normes à la mode pour les maisons de campagne ou de plaisance. Ces demeures proches de Paris, aux appartements richement décorés, étaient, pour les plus spacieuses, communément appelées château, comme c’est le cas ici. En 1775, alors que le domaine appartient à l’officier général Victor-Maurice Riquet de Caraman (1727-1807), le cartographe et architecte Georges-Louis Le Rouge, qui a pour mission de relever les jardins à la mode, en profite pour « croquer » les bâtiments, nous léguant ainsi une gravure, la seule à représenter le château à cette époque. Une étude des années 1930 menée par Ragnar Josephson, professeur à l’université de Lund en Suède, attribua la transformation du monument à Nicodème Tessin le Jeune (1654-1728), architecte du palais royal de Stockholm. Reçu en grande cérémonie à Versailles en 1687, Tessin était admiratif de la manière dont Louis XIV se servait des arts pour renforcer le rayonnement de sa monarchie et proposa de nombreux projets pour étendre son champ d’action à la France. La fouille a permis le décapage total du corps central du logis du château du XVIIIe siècle. Le plan mis au jour est celui d’un édifice au corps double en profondeur, agrémenté de deux courts pavillons en saillie, qui concorde parfaitement avec celui gravé par Le Rouge. Donc point de grand château en U, ni d’escalier double, ni de salon ovale : le château de Tessin n’a jamais été construit.
Vue de la fouille du corps central du château de Roissy, été 1999. Les murs les plus visibles sont ceux des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles. Les zones les plus sombres correspondent au sol de l’occupation médiévale. © Y. Franzini (Inrap)
Une nouvelle attribution à Germain Boffrand
Souhaitant découvrir l’identité de l’architecte du XVIIIe siècle, Olivier Bauchet, archiviste de l’équipe archéologique, a retrouvé au Minutier central des Archives nationales le devis des ouvrages de maçonnerie du château de Roissy. Daté du 19 décembre 1707, celui-ci détaille la construction sur les « dessins et profiles du sieur Boffrand architecte ». Ingénieur des ponts et chaussées, architecte et directeur de l’Hôpital Général, Germain Boffrand (1667-1754) est l’auteur de célèbres monuments : à Paris on lui doit le Petit Luxembourg, l’Arsenal et une douzaine d’hôtels particuliers, dont la décoration de l’hôtel de Soubise. En Lorraine, on compte parmi ses œuvres quelques châteaux et monuments, dont le château de Lunéville. En Île-de-France, il est à l’origine de quelques petits châteaux dont la fameuse folie Rohan à Saint-Ouen et le château de Roissy-en-France.
Pour aller plus loin
DUFOUR J.-Y., 2014, Le château de Roissy-en-France (Val-d’Oise). Origine et développement d’une résidence seigneuriale du Pays de France (XIIe-XIXe siècle). Revue archéologique d’Île-de-France, 2e supplément.
GALLET M. et GARMS J. (dir.), 1986, Germain Boffrand (1667-1754). L’aventure d’un architecte indépendant, Délégation à l’Action Artistique de le Ville de Paris.
JOSEPHSON (R.), 1930, L’architecte de Charles XII, Nicodème Tessin à la cour de Louis XIV, Éditions G. van Oest.
PIGANIOL DE LA FORCE, 1765, Description historique de Paris et de ses environs, t. 4 et 9, Les libraires associés.
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