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Chasse et croyances au Rocher de l’Impératrice à Plougastel-Daoulas

Fouilles dans l’abri sous roche du Rocher de l’Impératrice.

Fouilles dans l’abri sous roche du Rocher de l’Impératrice. © N. Naudinot

Depuis 2013, les fouilles menées dans un abri sous roche du Finistère nous éclairent sur une période méconnue du Paléolithique supérieur : l’Azilien ancien. Dans ce camp de chasse occupé il y a 14 000 ans, d’étonnantes gravures et un riche assemblage d’outils en pierre ont été découverts. Ces recherches confirment les transformations se jouant alors sur les plans technique, climatique et environnemental. Mais quand tout change, certains éléments perdurent : ainsi les animaux représentés montrent l’attachement à des pratiques symboliques anciennes. Voici un premier bilan de 11 années de fouilles.

Après la grotte de Menez Dregan à Plouhinec où des hommes ont laissé des traces de feu il y a 500 000 ans, l’abri sous roche du Rocher de l’Impératrice à Plougastel-Daoulas est un autre site préhistorique majeur de Bretagne.

Un abri sous roche découvert en 1987

Il est repéré à la suite de l’ouragan de 1987 par Michel Le Goffic, alors archéologue du département du Finistère, au pied d’un rocher arpenté en 1858 par l’épouse de Napoléon III, l’impératrice Eugénie. Au sommet de ce promontoire, la vue sur l’estuaire du fleuve Elorn et le fond de la rade de Brest est imprenable. D’abord rattaché au Magdalénien (17 000-14 500 ans), le matériel collecté en surface est étudié durant son doctorat par Nicolas Naudinot, aujourd’hui professeur au Museum national ­d’Histoire naturelle. Il en propose une attribution plus récente, à une période peu documentée en France : les premiers temps de l’Azilien (14 500-13 500 ans). Un programme de recherche, alors lancé en 2013 sous sa direction, continue de mobiliser différents spécialistes comme des géomorphologues, des anthracologues (étude des charbons de bois), des pétroarchéologues (étude des origines des roches taillées) ou des tracéologues, mais aussi des étudiants et bénévoles passionnés. Son objectif est de comprendre le fonctionnement de cet abri, l’économie et le mode de vie des groupes qui l’ont occupé. Après plus de 11 ans sur le terrain, la dernière campagne de fouilles devrait s’achever cet été 2025.

Vue actuelle au sommet du Rocher de l’Impératrice.

Vue actuelle au sommet du Rocher de l’Impératrice. © R.-M. Coulombel

« S’il était tentant d’expliquer ces mutations par le réchauffement et l’instabilité climatiques propres à l’Azilien, les recherches menées au Rocher de l’Impératrice viennent complexifier ce tableau. »

L’Azilien, une culture méconnue

Appartenant au Paléolithique supérieur, l’Azilien s’est diffusé sous diverses formes en Europe occidentale, des îles Britanniques à l’Espagne en passant par la France. Ce terme est né sous la plume d’Édouard Piette à la fin du XIX siècle après la découverte dans la grotte du Mas-d’Azil, en Ariège, d’une industrie lithique, de harpons plats en bois de cerf et de galets peints atypiques. Jusqu’alors, on ignorait tout des chasseurs-cueilleurs des derniers temps glaciaires. Quelques rares sites comme ceux du Closeau à Rueil-Malmaison, l’abri Murat à Rocamadour ou la grotte du Bois-Ragot à Gouex ont depuis contribué à caractériser la culture azilienne dès son émergence, tant sur les plans technique que symbolique en montrant une transformation de l’outillage par rapport au Magdalénien, la mise en place de sociétés resserrées sur de plus petites communautés et une apparente rupture artistique avec la généralisation de mystérieux motifs géométriques peints ou gravés sur des supports mobiles. Ainsi, l’art figuratif magdalénien, spectaculaire sur les parois de la grotte de Lascaux, semblait avoir disparu brutalement… S’il était tentant d’expliquer ces mutations par le réchauffement et l’instabilité climatiques propres à l’Azilien, les recherches menées au Rocher de l’Impératrice viennent complexifier ce tableau.

Sélection de fragments dont les motifs sont en cours d’interprétation.

Sélection de fragments dont les motifs sont en cours d’interprétation. © photos N. Naudinot, croquis de lecture C. Bourdier

Camp de chasse d’il y a 14 000 ans

Loin des grandes grottes du Sud-Ouest de la France, l’abri sous roche du Rocher de l’Impératrice est un espace réduit de 10 m de long et 3 m de profondeur. « L’effondrement d’une partie de l’abri dès le Néolithique a protégé les vestiges », souligne Nicolas Naudinot en précisant que chaque été, il faut briser de gros blocs de grès armoricain, une roche très dure, sans engin mécanique, pour accéder aux couches sédimentaires. Parmi les vestiges, ni ossements, ni pollens, ni phytolithes en raison de l’acidité du sol mais de nombreux charbons de bois et un riche corpus d’outils en silex. Ces derniers ont été comparés à ceux d’autres sites pour les situer culturellement, tandis que, datés au carbone 14, les charbons de bois issus de foyers ont confirmé la fréquentation de cet abri durant l’Azilien ancien, entre 14 500 et 13 700 ans.

Vue de détail du cheval seul sur la plaquette aux chevaux.

Vue de détail du cheval seul sur la plaquette aux chevaux. © N. Naudinot

Outils en silex emblématiques de l’Azilien ancien

L’analyse de l’industrie lithique et des traces de feu a ainsi révélé que de petits groupes ont séjourné ici sur de courtes périodes et à plusieurs reprises. Leur motivation ? La chasse. Dans l’abri, ils préparaient leurs armes et traitaient le gibier avant qu’il ne soit emporté. Ils apportaient avec eux la majeure partie de leur équipement : principalement des pointes de flèches pour atteindre les proies et des couteaux en silex pour découper les carcasses et la peau. Absent de Bretagne continentale, ce silex provient de gisements aujourd’hui submergés par la Manche. Reste à définir si ce matériau était collecté exclusivement sous forme de galets sur les plages de l’époque entre Ouessant et la Cornouaille anglaise ou également sur les berges du fleuve Manche ou encore dans des affleurements de craie aujourd’hui submergés. Une chose est sûre, la proportion de galets marins au Rocher de l’Impératrice souligne des liens importants avec ces milieux littoraux engloutis.
Cette chasse, dont on devine qu’elle a nourri des familles, a été heureuse si l’on en juge par les pointes de flèches découvertes sur place abîmées à la suite de chocs violents, les micro-éclats de silex montrant que de nouvelles pointes ont été fabriquées sur place, et par les traces d’usure sur les couteaux régulièrement affûtés, dues à un contact récurrent avec les os. Les outils utilisés ont des caractéristiques propres à l’Azilien ancien et sont en rupture avec la technologie magdalénienne qui a précédé.

Couteau affûté par « retouche rasante » puis recyclé en burin et réutilisé en briquet.

Couteau affûté par « retouche rasante » puis recyclé en burin et réutilisé en briquet. © RTI Julien Looten

Un environnement très différent

Autre facteur de succès : l’emplacement du campement. Situé aujourd’hui dans un bois, au pied d’un rocher de 40 m du haut duquel on voit le fleuve Elorn se jeter dans la mer, cet abri dominait un environnement très différent au moment de son utilisation il y a 14 000 ans. Le niveau marin était alors inférieur de 100 m à sa hauteur actuelle. Le trait de côte se perdait dans le lointain au large de l’île d’Ouessant. Des plaines steppiques parsemées de rares pins et bouleaux, traversées par des cours d’eau et où broutaient les animaux sauvages, entouraient ce campement. Au début de l’Azilien, le climat avait entamé son réchauffement et le renne déjà migré vers le nord ; mais les chasseurs-cueilleurs connaissaient aussi des phases soudaines de refroidissement. En l’absence d’ossements conservés dans le sol acide du Rocher de l’Impératrice, c’est grâce à l’étude des régions voisines que l’on peut déduire la présence de hordes de chevaux, d’aurochs et de cerfs dans le secteur. Par ailleurs, de fines gravures mises au jour dans l’abri témoignent indirectement des espèces qui se trouvaient dans le viseur des chasseurs.

Évocation du Rocher de l’Impératrice à l’Azilien ancien, avec la vallée de l’Elorn jusqu’au goulet de Brest (à sec).

Évocation du Rocher de l’Impératrice à l’Azilien ancien, avec la vallée de l’Elorn jusqu’au goulet de Brest (à sec). © Lionel Duigou

Pierres gravées et croyances anciennes

Ainsi, la chasse s’accompagnait de pratiques symboliques comme le suggère la découverte dans l’abri de plus d’une centaine de fragments de plaquettes de schiste dotées de gravures. Rassemblées par les chercheurs, certaines présentent des motifs ­difficiles à reconnaître alors que d’autres dévoilent des motifs géométriques composés de lignes parallèles, de grilles enfermant un triangle, de bandes et de boucles reflétant l’art abstrait azilien. Plus étonnant, certaines plaquettes dévoilent des figurations animales vibrantes de réalisme. Parmi les espèces identifiées, on retrouve surtout des chevaux, notamment une possible famille composée d’un mâle, d’une jument et d’un poulain, mais aussi des aurochs – dont celui, devenu célèbre, à la tête entourée de traits rayonnants. Grâce aux analyses techno-fonctionnelles, on sait que ces derniers ont été tracés après l’animal mais que les cornes, qui les coupent, ont été repassées afin de laisser les traits en arrière-plan. Cette superposition traduit sans doute une utilisation de ces supports lors de différentes occasions. Enfin, l’origine locale du schiste et la découverte d’outils ayant pu servir à tracer ces figures suggèrent une exécution sur place : « Finement réalisées par des artistes, ces gravures naturalistes s’inscrivent dans la tradition magdalénienne et témoignent d’une continuité ­culturelle dans un contexte de grands changements », observe Nicolas Naudinot, en ajoutant qu’une plaquette ornée de chevaux a été découverte en 2019 à Angoulême dans un contexte attribué à l’Azilien récent. Les plaquettes du Rocher de l’Impératrice servaient-elles à favoriser la capture des animaux convoités ? À raconter des histoires ? Ont-elles été brisées volontairement dans le cadre d’activités qui nous échappent ? Les recherches en cours permettront peut-être un jour de le préciser. Il n’en reste pas moins que ce corpus est aujourd’hui le plus grand de ce type attribuable au début de l’Azilien en France et le plus ancien témoignage d’art connu en Bretagne. 

Fragment orné sur deux faces. Sur la face A : tête d’un aurochs entourée de traits rayonnants. Sur la face B : tête d’un aurochs.

Fragment orné sur deux faces. Sur la face A : tête d’un aurochs entourée de traits rayonnants. Sur la face B : tête d’un aurochs. © N. Naudinot

« Finement réalisées par des artistes, ces gravures s’inscrivent dans la tradition magdalénienne et témoignent d’une continuité culturelle dans un contexte de grands changements. »