Château de Marly : archéologie dans le domaine du Roi-Soleil

Vue générale du château, des pavillons et des jardins de Marly (détail), par Pierre-Denis Martin, vers 1724. Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 762. © Château de Versailles, Dist. Grand-Palais RMN, Jean‑Marc Manaï
Aujourd’hui détruit, le château de Marly fait l’objet dès les années 1860, soit cinquante ans à peine après sa démolition, d’une première investigation archéologique. Reprise et étendue dans les années 1980, cette opération dévoile les potentialités du site. À l’occasion de la nouvelle exposition, qui se tient dans le Pavillon des chasses présidentielles, dédiée à ces 40 années de fouilles, revenons sur l’histoire singulière de ce château tant aimé de Louis XIV.
Vie et mort d’une résidence royale
C’est en 1679 que Louis XIV décide de construire un nouveau château dans le vallon du ru de Marly. Le roi fait intervenir Jules Hardouin-Mansart, le maître d’œuvre de Versailles alors en pleine extension. De 1679 à 1683, l’architecte fait construire un château de plaisance au parti architectural original : un grand pavillon central, destiné au roi et à sa famille, cerné de douze petits pavillons pour ses courtisans, appelés « pavillons des invités ». Délaissé par le régent, après la mort de Louis XIV en 1715, le parc subit une série de simplifications. Louis XV et Louis XVI y séjournent peu. Dépouillé par pans entiers à partir de 1793, le domaine est finalement vendu en 1799 à un entrepreneur qui lance en 1808 une campagne de démolition massive, jusqu’à l’achat du domaine par Napoléon Ier en 1811. Depuis cette époque, le parc n’a plus fait l’objet d’aménagements significatifs, hormis ceux de l’architecte Robert Danis dans les années 1930. De fait, le château a conservé ses fondations et constructions souterraines, ensevelies sous des gravats de démolition riches en éléments décoratifs et en témoignages de la vie quotidienne.
Restitution 3D du pavillon royal. Réalisation par Hubert Naudeix (Aristeas) pour le musée-promenade de Marly-le-Roi, Louveciennes
160 ans de fouilles
En 1865, le graveur Auguste-Alexandre Guillaumot, qui connaissait très bien l’ancien domaine pour en avoir examiné les archives, publie une étude architecturale sur le château de Marly, dans laquelle figurent deux dessins de carreaux de faïence « trouvés lors des fouilles ». Une soixantaine d’années plus tard, en 1927, les recherches reprennent avec encore pour fil conducteur les carreaux de faïence des bassins. Elles sont alors menées par le garde Charles Dupuis et rapportées par André Mellerio. La nomination, en 1932, de l’architecte Robert Danis pour mettre en valeur le domaine entraîne des sondages dans divers endroits du parc, commandités par le docteur Maurice Hanotte, vice-président de l’association du Vieux Marly. Ces travaux sont arrêtés par la Seconde Guerre mondiale.
En 1985, Bruno Bentz dirige de nouvelles investigations en cinq campagnes qui s’achèvent en 1994. Ces investigations sont alors d’avant-garde puisque, jusqu’à récemment, l’archéologie s’intéressait peu aux périodes postérieures au Moyen Âge ; la concurrence des sources écrites entravait le recours à la prospection archéologique. Les fouilles de Marly ont participé à l’essor des fouilles modernes et ont innové en confrontant les deux sources d’information : les vestiges et les archives.
Enfin, le 1er juin 2009, le domaine de Marly, qui faisait auparavant partie de la dotation du président de la République, est rattaché à l’Établissement public du château de Versailles (EPV), de sorte que nous reprenons ces recherches dès 2012, après vingt ans d’interruption. Entre-temps, en 2003, un projet d’extension du musée de Marly, abandonné par la suite, avait permis à Jean-Yves Dufour, de l’Inrap, d’explorer l’emplacement des écuries grâce à un diagnostic.
Le garde Charles Dupuis et le docteur Maurice Hanotte en 1934. © Musée du domaine royal de Marly
« Les fouilles de Marly ont permis l’essor des connaissances sur la période moderne et innové en confrontant les archives et les vestiges. »
L’architecture du jardin
La première campagne menée par Bruno Bentz en 1985 explore un secteur déjà connu : celui des bassins de faïence. Creusés entre 1712 et 1714 sur la grande terrasse du château, ces bassins sont détruits dès 1716. Les sondages confirment leur mode de construction et livrent de nouveaux éléments sur les carrelages de faïence en assurant l’étanchéité. Cependant, aucun carreau n’ayant été retrouvé en place, il a fallu avoir recours, pour proposer des hypothèses de restitution, au registre du magasin de Marly de 1715.
Le site étant favorable à l’aménagement de cascades grâce à son abondance en eau et à ses pentes abruptes, une première cascade, dite champêtre, est achevée en 1702. Les trois sondages effectués en 1989 éclairent la complexité du système hydraulique et les nombreux morceaux de marbre mis au jour complètent la documentation des archives. Une seconde cascade, dite la Rivière, est implantée en haut du parc, à l’emplacement du Tapis vert, en 1697. Détruite en 1728, elle est fouillée en 2013, dévoilant un degré complet et révélant son mode d’étanchéité au mortier hydraulique. Ses plaques en marbre, ôtées en 1728, y ont laissé leur empreinte ; elles ont, avec l’aide des vues d’archives, permis la restitution de l’ensemble. À l’autre extrémité du parc, en bas de la pente, un grand bassin est creusé en 1683, auquel des cascatelles sont ajoutées en 1699. Arasé au début du XIXe siècle, ce bassin dit des « Nappes » est peu à peu enseveli, mais sa dépression reste très marquée sur le terrain. Également fouillé en 2013, ce bassin à étanchéité de glaise possédait un contremur d’une épaisseur exceptionnelle pour soutenir, outre l’eau du bassin, les terres rapportées de la terrasse qui le supporte. L’entrée de son aqueduc de vidange a été dégagée ; il descendait à une profondeur surprenante, rejoignant un aqueduc antérieur passant sous le bassin.
Deux degrés de la Cascade champêtre en 1989. © Bruno Bentz
Le pavillon royal
Le pavillon principal était de plan carré rigoureusement centré, surélevé par une terrasse de quelques marches. Démolie, cette dernière est arasée au milieu du XIXe siècle, puis restituée en 1937 en rehaussant les anciens murs de fondation du XVIIe siècle. Le chantier de 2015 a exploré les sous-sols des appartements du roi et de la reine et du grand salon. Dans les fondations du premier, les fosses abandonnées ont été vidangées au XVIIIe siècle. Localisées sous l’espace de dégagement – ou « trou noir » – de l’appartement de la reine, les caves ont fait l’objet de plusieurs remaniements, parfois difficilement compréhensibles. Sous le salon central, le système d’évacuation des eaux pluviales venant des toitures a été mis au jour.
Pavillon royal, coupe du « trou noir » de l’appartement de la reine et des caves au premier et au deuxième niveau. Restitution Annick Heitzmann, infographie Romuald Housse
Les pavillons des invités
Quatre des douze pavillons ont été explorés : deux lors d’un sondage à l’emplacement de leur fosse d’aisances – les 2e et 5e pavillons du Levant – et deux lors d’une fouille programmée – le 3e pavillon du Levant et le 5e pavillon du Couchant ou pavillon des Bains. Les douze pavillons ont été construits sur un plan unique. Tous étaient équipés de cabinets d’aisances, relégués dans les pièces de service. L’exhumation des fondations a permis de préciser leur emplacement et de reconnaître qu’ils étaient construits sur un terre-plein. Les murs étaient constitués de moellons liés au mortier, conformément au devis de 1680. Aucun des pavillons n’était équipé de bains et ce n’est que cinq ans après l’achèvement des travaux (1688-1691) que l’un d’entre eux, le cinquième du côté du Couchant, est transformé pour recevoir cet aménagement, dans l’appartement du rez-de-chaussée. La première fosse d’aisances est alors abandonnée et une seconde aménagée à l’arrière du pavillon. De nombreux carreaux hollandais de la fin du XVIIe siècle ont été mis au jour dans les remblais de démolition. Leur examen, associé aux sources d’archives, a permis de cerner la disposition du décor de faïence dans la salle des baignoires.
Vue générale du château, des pavillons et des jardins de Marly, par Pierre-Denis Martin, vers 1724. Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, MV 762. © Château de Versailles, Dist. Grand-Palais RMN, Jean‑Marc Manaï
Latrines, écuries et bâtiments des officiers
Les écuries et les bâtiments des officiers sont édifiés de 1684 à 1692 sur les plans de Jules Hardouin-Mansart. Lors des travaux de 2003, les trois tranchées ont été positionnées de manière à rencontrer les latrines et la forge présents sur les plans du XVIIIe siècle. Les fondations ont été observées, mais les latrines destinées à la domesticité n’ont livré qu’un maigre mobilier, contrairement à un dépotoir situé près du logement des officiers. Les murs découverts lors de ces sondages correspondent pour la plupart aux plans des écuries.
La fosse d’aisances du 2e pavillon du Levant en 1992. © Bruno Bentz
Au pied des murs de soutènement
Après ces nombreuses campagnes de fouilles sédimentaires, les recherches se sont orientées vers les éléments bâtis encore en place : les murs de soutènement ou de clôture et les rares édifices préservés des démolitions. Réduit par la pandémie, le programme a porté sur le mur du balcon des Muses et celui du corps de garde nord de la Grille royale, en 2020, sur les « lieux » des Communs et de la Demi-Lune – deux latrines prises dans des murs de soutènement – en 2021. Ces interventions comprenaient le nettoyage des murs et leur étude en archéologie du bâti, ainsi que l’investigation de leurs fondations. La fosse des lieux des Communs, comblée, selon notre hypothèse, avec les gravats de démolition du château tirés de la Grande Pièce d’eau en 1933, conservait un important corpus d’objets en faïence. Ces opérations se sont terminées en 2023 par l’exploration des glacières, dont deux puits (sur quatre) sont toujours en place et celles des ponceaux qui enjambent encore la Rigole dans les parties hautes du parc.
Vestiges du pavillon des Bains en 1990. © Bruno Bentz
Un mobilier archéologique abondant
Les procédés architecturaux de Marly sont aussi mieux connus grâce aux éléments mis au jour dans les remblais de démolition. On y retrouve des pierres moulurées provenant probablement d’encadrements de portes ou de fenêtres, des morceaux de marbre, des briques, des tomettes (dont certaines présentent des marques au revers), des ardoises issues des toitures, des morceaux de vitres (dont deux ont pu être remontées) et de nombreux fragments sculptés en plâtre et en pierre (éléments de moulures ou de haut- relief participant jadis à la décoration du château). Enfin, un exceptionnel plâtre peint d’une façade du pavillon royal a résolu la question de la technique utilisée pour les trompe-l’œil des façades.
Par ailleurs un important mobilier domestique est sorti de trois fosses d’aisances des pavillons et du comblement de celle des lieux des Communs. Il appartient à trois catégories : la table, les loisirs et l’hygiène. Ces objets sont presque toujours retrouvés cassés, raison pour laquelle ils ont été jetés dans les fosses qui servaient aussi de dépotoirs. Ces dernières étaient toutefois régulièrement vidangées, de sorte que le mobilier est chronologiquement homogène dans sa datation.
Les recherches menées au sein du domaine royal de Marly se sont révélées être riches en découvertes dans de nombreux domaines : les aménagements de terrain et les fondations des bâtiments, les techniques de construction et de décoration, les dispositifs hydrauliques, ou encore le mobilier domestique. Tous apportent un éclairage inédit sur l’architecture et les jardins de ce château si cher au cœur du Roi‑Soleil.
Pot de chambre trouvé dans le comblement de la fosse des lieux (latrines) des Communs. © Célestine Ousset
Pour aller plus loin
BENTZ B., HEITZMANN A., 2024, « 40 ans de découvertes archéologiques à Marly », Marly art et patrimoine, no 18, p. 5-32.
CHOPIN G., HEITZMANN A. (dir.), 2016, La vie retrouvée à Marly et à Versailles. 25 années d’archéologie royale, catalogue de l’exposition du musée-promenade de Marly-le-Roi, Louveciennes.
HEITZMANN A., 2012, « Archéologie à Marly : bilan et perspectives », dans les actes du colloque Marly, 31 mai – 2 juin 2012. Doi : 10.4000/crcv.11948
HEITZMANN A., 2017, « Bilan de 3 années de fouille programmée à Marly », dans 25 années d’archéologie royale (1990-2015), actes du colloque des 6-8 octobre 2016 au château de Versailles, Bulletin du Centre de recherche du château de Versailles, 2017-2019. Doi : 10.4000/crcv.14090
Deux expositions en majesté
Le musée du Domaine royal de Marly propose une première exposition sur les Maisons de plaisance des environs de Paris, du règne de Louis XIV à celui de Napoléon III. Bâties autour de la capitale, ces résidences secondaires incarnent l’idéal de la noblesse et de la bourgeoisie du XVIIe au XIXe siècle. Leurs habitants y recherchaient la quiétude de la campagne tout en restant proches de la ville. À travers une sélection d’œuvres et d’objets, l’exposition explore l’évolution de ces demeures et leurs aménagements raffinés. Une attention particulière est portée aux découvertes archéologiques réalisées à Marly.
Quant à la seconde, Versailles et Marly sous terre : 40 années d’archéologie dans les domaines du Roi-Soleil, 1985‑2025, elle aborde, grâce aux recherches faites à Marly, mais aussi à Versailles et à Trianon, les matériaux et modes de construction utilisés pour ces édifices, l’alimentation et les usages de table des résidences royales, l’hygiène et la toilette, ou encore les loisirs et la vie quotidienne. Du gros-œuvre aux menus objets égarés, de la fontaine filtrante personnelle de Louis-Philippe à la pipe en terre ou au dé à jouer du garde suisse, en passant par le rocaillage des fontaines, tous les éléments découverts sont des témoins essentiels de mondes disparus dans les domaines du Roi-Soleil, du XVIIe au XIXe siècle. Cependant, une période bien plus ancienne est aussi abordée : la fouille menée dans la cour du Grand Commun à Versailles a mis au jour une nécropole mérovingienne dont des sépultures du VIe siècle a livré de précieuse parures et quelques armes. Une présence humaine bien avant que Versailles ne devienne Versailles… K. C et A. H.
L’auteure tient à remercier les membres de l’association Volutes pour leur implication depuis 1995, tant sur les chantiers qu’en post-fouille, ainsi que tous les stagiaires et bénévoles qui ont participé à ces travaux.