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De l’art de mourir dans l’antique Orange

L’inhumation F414 avec un squelette orienté nord-sud et un dépôt de mobilier à ses pieds.

L’inhumation F414 avec un squelette orienté nord-sud et un dépôt de mobilier à ses pieds. © Hadès

Au sud-ouest de l’antique Orange, le long de la voie d’Agrippa, s’étendait une grande nécropole. En 2020, une équipe d’Hadès a fouillé une partie de cet ensemble, au lieu-dit Les Peyrières, mettant au jour 158 structures funéraires datées du Haut-Empire. L’analyse des restes osseux et des mobiliers, réalisée dans un second temps, a permis de préciser les gestes et les rituels dévolus aux défunts.

Au cours de l’Empire romain, crémation et inhumation coexistent ; si la première domine au début, la seconde s’impose à la fin de la période. Aux Peyrières, la crémation est majoritaire ; la répartition entre les deux rites s’équilibre toutefois au IIe siècle. Les tombes de cette phase sont aussi les mieux pourvues, notamment l’inhumation F414 et le bûcher F484 datés par leurs vestiges entre 100 et 150.

Deux tombes richement dotées

Dans la première, une jeune femme (entre 15 et 19 ans) a été déposée dans un coffrage en bois dont il ne reste que les clous. À ses pieds, le dépôt comprend deux pots en céramique commune grise, deux cruches à pâte claire, deux lampes à huile en terre cuite et deux unguentaria (fioles pour la conservation de parfums ou d’huiles) en verre. Il est intéressant de noter la taille réduite des vases : les pots comme les cruches ne dépassent pas 14 cm de haut. Mais ce sont surtout les lampes, d’à peine 7 cm de long, qui sont plus petites que la normale. Ces dernières sont les seules à présenter des traces d’utilisation, avec de la suie autour du trou de mèche. Les deux grands unguentaria sont très fragmentés ; ces flacons fabriqués notamment en Italie, contenaient des huiles parfumées ou médicinales.

Pots, cruches et lampes déposés dans l’inhumation F414.

Pots, cruches et lampes déposés dans l’inhumation F414. © L. Pédoussaut, Hadès

Offrandes alimentaires

Quant au bûcher, il présente, dans sa partie inférieure, de nombreux objets fragmentés et fortement altérés par la chaleur. Il s’agit du mobilier primaire déposé autour du défunt avant la crémation. Trois brûle-parfums à piédestal en céramique et trois petites lampes côtoient un bocal carré et deux grandes coupes en verre. L’une d’elles, en verre blanc épais, marqué d’alvéoles et de grains de riz, est une production luxueuse. Quelques éléments en bronze sont tout ce qu’il demeure d’un coffret. Une figue et des ossements de poulet et de cochon pourraient correspondre à des offrandes alimentaires ou aux reliefs d’un banquet funéraire. Tous ont été brassés lors de la récupération des os humains, dont il ne reste que quelques esquilles insuffisantes pour déterminer l’âge et le sexe du défunt. Les niveaux supérieurs ont aussi livré du mobilier, cette fois, non brûlé : une lampe ronde, ornée du buste de la déesse Luna, et deux petits balsamaires à panse conique qui reflètent les gestes rituels lors du rebouchage de la fosse.

Huiles parfumées et lampes

Avec au moins huit objets déposés, l’inhumation est l’une des plus riches sépultures du site. Toutefois, les céramiques sont très communes, ne portent pas de trace d’utilisation et ont peut-être été achetées pour les funérailles ; une des lampes n’est pas ornée et l’autre affiche un décor plutôt fruste. Dans ce contexte, les deux grands balsamaires détonnent – mais pas tant pour eux-mêmes que pour leur contenu. Compte tenu de leur taille, ils devaient contenir une grande quantité d’huile parfumée, qui les rendait précieux. Les offrandes associées au bûcher sont autrement plus ostentatoires. Les vases en céramique appartiennent à des productions courantes, mais ce sont des objets avec une fonction spécifique (brûle-parfum) certainement acquis pour la cérémonie. Si les lampes sont (encore) de facture médiocre, la vaisselle en verre, en revanche, est plus abondante, de belle qualité et sans doute assez onéreuse. Les restes du coffret confirment l’impression d’une plus grande aisance pour la famille de ce défunt.

Coupe en verre incolore gravé et déformé par la chaleur dans la fosse-bûcher F484.

Coupe en verre incolore gravé et déformé par la chaleur dans la fosse-bûcher F484. © L. Pédoussaut, Hadès

Éloigner les ombres et guider les défunts

Il existe néanmoins des points communs dans le choix des offrandes. Les balsamaires, unguentaria et brûle-parfums montrent l’importance des odeurs lors de ce type de cérémonies. Les huiles parfumées versées sur les bûchers atténuaient les effluves peu agréables de chair brûlée. Associées à une inhumation ou à la fermeture d’un bûcher, elles protégeaient les vivants en repoussant les exhalaisons liées à la mort. La plupart des lampes ont sans doute servi, mais elles possèdent aussi une valeur symbolique : la lumière qui en émane éloigne les ombres et peut guider les défunts vers l’au-delà. La représentation de Luna sur l’une d’elles revêt sans doute des significations supplémentaires : ce personnage récurrent de l’iconographie funéraire illumine la nuit et ses cycles illustrent le passage du temps. Ces deux structures contemporaines renvoient donc à des rites funéraires fort différents. Les défunts n’avaient certainement pas le même statut social et économique. Mais leurs offrandes répondent à des pratiques et symboliques communes essentielles dans la culture gallo-romaine : des parfums qui préservent les vivants et la lumière qui protège des ténèbres.