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Denisova : les arguments du troisième homme

© Éric Le Brun

Un nouveau reste osseux découvert à Taïwan vient d’être attribué à l’homme de Denisova, ce mystérieux cousin d’abord identifié par ses gènes en 2010. Est-ce suffisant pour proposer la création d’une nouvelle espèce ? Mise au point avec Antoine Balzeau, directeur de recherches au CNRS.

Propos recueillis par Jacques Daniel

En 2015, une mandibule humaine est repêchée au large de l’archipel de Penghu à Taïwan, sans contexte stratigraphique permettant de la dater précisément. Son long séjour dans l’eau interdisait également une datation directe par le radiocarbone ou l’analyse de son ADN. Au vu de la géologie du lieu, on la data d’entre 190 000 et 10 000 ans… Mais c’était sans compter avec la protéomique, une méthode d’analyse basée sur les protéomes (l’ensemble des protéines d’une cellule), qui a permis d’identifier son possesseur comme un Dénisovien, cet Homo d’abord identifié par son ADN et dont nous ne connaissons qu’une dent, deux morceaux de doigts, une côte (dans la grotte de Denisova, en Russie) et une autre mandibule (Xiahe, trouvée au Tibet). Nous savons également que certaines populations humaines (tibétaines et mélanésiennes essentiellement) possèdent des gènes dénisoviens et que ces derniers se sont également hybridés avec Néandertal. Et c’est à peu près tout. En 2021, des anthropologues ont proposé la création d’une nouvelle espèce, Homo longi (surnommé « l’Homme dragon ») à partir d’un crâne trouvé à Harbin, en Chine. S’agit-il d’un Dénisovien ? Les crânes de Dali et d’Hathnora (Inde) lui sont également attribués. Pour Antoine Balzeau, tout ceci est prématuré ; en anthropologie, il est urgent d’attendre… de nouvelles découvertes ! Il répond à nos questions.

La mandibule de Penghu est-elle dénisoviennne ? 

Si, pour certains, elle pourrait appartenir à un Homo sapiens qui aurait hérité de caractéristiques dénisoviennes, elle a, grâce à la méthode protéomique, novatrice et en pleine amélioration, été clairement attribuée à l’homme de Denisova.

Est-ce suffisant pour créer une nouvelle espèce, Homo denisoviensis 

Il y a en ce moment un brouhaha autour des Dénisoviens. Certains font des arborescences généalogiques, qui l’incluent dans l’évolution humaine, mais sur des bases très fragiles (quelques ossements, un génome…). C’est trop superficiel pour former une image anatomique du groupe et établir des relations avec les autres espèces humaines, telles que Sapiens ou Néandertal.

Que penser de « l’Homme dragon » ? 

Le crâne d’Harbin est particulier. C’est le fossile humain le mieux conservé que je connaisse. Nous vivons une période palpitante : certains des restes humains, identifiés depuis les années 1970, sont réétudiés : ils présentent des caractéristiques originales comme une grande robustesse (Harbin, Xujiayao, Xuchang, Xiahe, Penghu…) mais sont très difficiles à dater et nous ne savons pas les classer. Des chercheurs créent ainsi de nouvelles espèces, comme Homo longi ou Homo juluensis. Mais je trouve que c’est prématuré… Si les données génétiques simplifieraient les choses, elles n’ont, hélas, pas fonctionné sur le crâne d’Harbin.

Pour aller plus loin
BAE C. J., WU X., 2024, « Making sense of eastern Asian Late Quaternary hominin variability », Nature Communications, 15, 9479. Doi : 10.1038/s41467-024-53918-7
BALZEAU A., 2025, Dans la tête de nos ancêtres, Paris, Belin.
CHUN-HSIANG C. et al., 2015, « The first archaic Homo from Taiwan », Nature Communications. Doi : 10.1038/ncomms7037
FAHU C. et al., 2019, « A late Middle Pleistocene Denisovan mandible from the Tibetan Plateau », Nature letters. Doi : 10.1038/s41586-019-1139-x
QIANG J. et al., 2021, « Late Middle Pleistocene Harbin cranium represents a new Homo species », The Innovation, 2 (3), 100132. Doi : 10.1016/j.xinn.2021.100132
TAKUMI T. et al., 2025, « A male Denisovan mandible from Pleistocene Taiwan », Science, 388, p. 176-180. Doi : 10.1126/science.ads3888
XIU-JIE W. et al., 2019, « Archaic human remains from Hualongdong, China, and Middle Pleistocene human continuity and variation », PNAS. Doi : 10.1073/pnas.1902396116