Des pirates à terre ! Exploration sur l’île Sainte-Marie à Madagascar

Vue aérienne de la partie sud-est de la baie d’Ambodifotatra sur l’île Sainte-Marie. © I. Le Tellier / E. Yény, 2022
Fréquentée par les commerçants européens dès le XVIe siècle, la côte est de Madagascar voit, à la fin du XVIIe siècle, les pirates faire leur apparition. À l’apogée de ce phénomène, entre les années 1680 et 1720, cette façade maritime orientale leur sert de base d’opérations, notamment dans la baie d’Ambodifotatra sur l’île Sainte-Marie, toute proche. Pour la première fois, une mission menée par le programme de recherche Archéologie de la Piraterie s’est intéressée à ces vestiges méconnus.
Les pirates qui fréquentent ce site forment, en cette fin de XVIIe siècle, un groupe cosmopolite composé de membres issus d’horizons sociaux variés (nobles, anciens soldats de la marine royale ou simples marins), majoritairement d’origine britannique. Leur installation répond à des impératifs stratégiques : leur position permettait de surveiller les navires faisant la route jusqu’aux Indes. Très rapidement, ils établissent une coalition d’intérêts avec les populations malgaches locales, en particulier les Betsimisaraka qui occupent les littoraux de la côte nord-est et notamment l’île Sainte-Marie.
Vue satellite de la baie d’Ambodifotatra sur l’île Sainte-Marie. © A. Coulaud, 2022
Les premières investigations sous-marines
Avant la mission archéologique de 2022, dont les fouilles se sont déroulées du 9 au 26 mai dernier, aucune investigation terrestre n’avait été entreprise sur l’île Sainte-Marie. Les eaux nord-est de l’îlot Madame avaient toutefois fait l’objet d’investigations sous-marines par une équipe américaine entre 2000 et 2015. Elles y avaient révélé les premiers témoins du passage des forbans avec les restes de quelques navires – ces derniers semblant avoir été volontairement coulés pour créer une barrière anthropique sous-marine afin de défendre la baie contre les marines royales française et britannique qui tentaient de prendre cette zone stratégique…
Une collaboration franco-malgache
Des archéologues français et malgaches composaient l’équipe avec le soutien de l’université de Caen Normandie, du Centre Michel de Boüard (CRAHAM – UMR 6273 CNRS), de la société Air d’Eco Drone, de l’Ambassade de France à Madagascar (Institut Français de Madagascar), de l’Institut de Civilisations Musée d’Art et d’Archéologie d’Antananarivo (ICMAA), des universités d’Antananarivo et de Tamatave, et de la Direction Générale des Projets Présidentiels de la République de Madagascar. Enfin, l’équipe était accompagnée d’étudiants malgaches qui ont participé aux phases de terrain et d’études, et qui ont pu bénéficier d’ateliers de formation organisés par les archéologues. La mission a également reçu le soutien de la société de production Gedeon Programmes dans le cadre du tournage d’un documentaire sur l’histoire et l’archéologie des pirates.
Un navire britannique redécouvert ?
Une épave a fait l’objet de recherches particulières car il pourrait s’agir du navire du capitaine pirate William Condon (alias Christopher Condent), le Fiery Dragon qui aurait été sabordé par l’équipage en février 1721. En plus des vestiges en bois du Fiery Dragon, un grand nombre d’objets a été découvert avec plus de 2 000 fragments de porcelaine chinoise, 13 pièces en or de diverses origines ainsi que des productions européennes. L’ensemble est daté entre la fin du XVIIe siècle et l’année 1721, selon les monnaies et la porcelaine. Au total, ce serait 2, voire 4 épaves qui auraient été découvertes par l’équipe américaine. Cependant, en 2015, une équipe de l’Unesco a mis en doute la plupart des identifications proposées. Depuis, aucune nouvelle investigation n’a été menée. Malgré le grand intérêt de ces vestiges, un travail scientifique approfondi pluridisciplinaire reste à entreprendre pour bien les identifier et les replacer dans le contexte historique de la baie et du commerce maritime vers l’Orient au XVIIIe siècle. Le mobilier récolté a été déposé dans sa grande majorité au musée de la Reine Bétia sur l’îlot Madame sans être inventorié en détail, ni étudié de manière exhaustive.
Géographie de l’île
Longue de 49 km, l’île Sainte-Marie se trouve au nord-est de Madagascar dont elle est séparée par un chenal de 30 km. Orientée vers l’ouest, la baie d’Ambodifotatra est au sud de l’île. Son entrée est aujourd’hui fermée par l’îlot Madame (ancienne l’Isle aux Cayes) et par deux digues tandis qu’en son sein se situe l’île aux Forbans.
Vue de l’intérieur de la baie d’Ambodifotatra, île Sainte-Marie. © J. Soulat, 2022
Réexamen du mobilier du supposé Fiery Dragon 1721
Dans le cadre de la mission 2022, le réexamen du mobilier venant de l’épave du supposé Fiery Dragon, coulé en 1721, a été mené dans les réserves du musée de la Reine Bétia sur l’îlot Madame. Au total, près de 3 300 tessons de céramiques dont 2 800 fragments de porcelaine, 120 objets métalliques, 100 restes en verre et 100 ossements de faune ont pu être inventoriés. Une attention particulière a été portée sur l’étude de la céramique qui représente 90 % de la collection avec 77 % de porcelaine chinoise. Une grande quantité de bols, de coupes, d’assiettes et de plats avec un décor blanc et bleu associant des oxydes rouge et or dans le style « Imari » a été fabriquée dans les ateliers de Jingdezhen sous l’ère de l’empereur Kangxi (1661-1722). Elle présente de nombreux motifs floraux mais également des scènes de la vie quotidienne ou encore un oiseau à deux têtes caractéristique de l’influence ibérique. Seule une vingtaine de marques de fabricants est visible. Le reste de la céramique semble de production islamique voire égyptienne, ce qui la rapproche des 13 monnaies en or retrouvées – dont trois ont été frappées dans l’Empire ottoman. De nombreuses bouteilles et flacons en verre font également partie de la collection. Enfin, plusieurs objets singuliers peuvent être évoqués comme une tête de statuette en terre cuite à l’effigie de saint Antoine de Padoue, plusieurs statuettes et appliques sculptées en bois et en os, une poulie en bois, un plomb de sonde ou encore un jeton de jeu en plomb. Ce mobilier témoigne de la vie quotidienne à bord d’un navire, peut-être de nationalité hollandaise, pris par les pirates.
Étude en cours des porcelaines chinoises du supposé Fiery Dragon. Musée de la Reine Bétia, îlot Madame, île Sainte-Marie. © J. Soulat, 2022
L’abandon progressif du site par les Français
Outre les épaves, il était important de retrouver les vestiges des occupations terrestres laissées par les Français et les pirates. Les récits et les plans datés entre la deuxième moitié du XVIIe et le début du XVIIIe siècle montrent clairement que la baie d’Ambodifotatra était occupée par un petit contingent de la marine royale dès les années 1650, comme possible avant-poste de Fort-Dauphin. Actuelle Tôlagnaro, ville au sud-est de Madagascar, Fort-Dauphin fut investi par les Français dès 1640, puis placé sous la direction de l’administrateur colonial Étienne de Flacourt, avant d’être abandonné en 1674. Au cours de ces décennies, plusieurs conflits éclatent entre Français et indigènes malgaches, notamment en 1656. Avec l’abandon progressif de Fort-Dauphin par les Français, Sainte-Marie est également délaissée par les troupes royales en 1669. On ne sait si le contingent édifie sur place des aménagements défensifs – notamment un fortin qu’il aurait ensuite abandonné. Plusieurs plans en français présentent la baie comme une zone attractive avec des ressources en bois, en corail et en eau nécessaires au ravitaillement des navires de passage. Une carte non datée explique comment installer un système défensif élaboré et y montre le plan d’un fort typique des édifices de la deuxième moitié du XVIIe siècle, similaire à celui de Fort-Dauphin construit vers 1660.
Arrivée des premiers pirates
À partir des années 1680, les premiers pirates commencent à débarquer sur l’île Sainte-Marie et particulièrement dans la baie d’Ambodifotatra. Ils occupent la zone jusque dans les années 1720-1730. L’occupation défensive de la baie aurait été développée à partir de 1691 sous l’impulsion du pirate anglais Adam Baldridge avec notamment la construction du premier fortin de l’île. Ce pirate avait pour objectif de faire de Sainte-Marie une plaque tournante du commerce négrier et une zone de relâche pour les forbans. Grâce aux liens qu’il entretient avec un riche armateur de New York, Frederick Philipps, Baldridge accueille pendant une dizaine d’années les bateaux pirates et certains navires marchands peu scrupuleux. On sait que les autochtones malgaches prennent part à ce commerce clandestin. Les installations pirates de la baie sont notamment renseignées par deux plans datés des années 1730 qui mentionnent la présence d’une zone de carénage des bateaux sur la rive nord de l’îlot Madame et deux épaves sans doute encore visibles. À l’intérieur de la baie, les pirates allaient se ravitailler en eau douce à l’Aiguade.
Les premiers résultats du LiDAR sur le Fort de la Possession suggèrent ainsi une occupation beaucoup plus ancienne que supposée initialement.
Premières révélations
Le programme de recherche Archéologie de la Piraterie a mis en place un projet quadriennal avec une année probatoire en 2022, qui conditionnera la suite du projet (2024 à 2026). L’analyse en cours des vestiges mis au jour au printemps est donc fondamentale pour la future programmation, qui sera centrée à la fois sur ces aménagements terrestres et sur le réexamen de l’épave supposée du Fiery Dragon. Ces travaux inédits aideront à mieux comprendre les différentes occupations, l’adaptation à un nouveau mode de vie, l’exploitation des matières premières, les étapes de construction des aménagements mais aussi l’impact des populations indigènes sur l’installation des pirates, l’équilibre entre les deux cultures et, pourquoi pas, à percevoir une certaine acculturation entre ces deux communautés. La mission de mai a mis en évidence certaines occupations terrestres grâce à une prospection aérienne, menée par un drone équipé d’un boîtier LiDAR, et des investigations terrestres couplant une première phase de prospection et une seconde phase de sondages tests (notamment à l’Aiguade, sur l’île aux Forbans et en bas des remparts du Fort). Dans le même temps, l’inventaire et la préétude des collections du musée ont été effectués.
Vue zénithale de sondage en cours au pied du rempart du Fort de la Possession de Sainte-Marie. © L. Ibba, 2022
Lexique
Le LiDAR, acronyme de l’anglais Light Detection And Ranging, soit « détection de la lumière et mesure à distance », est un radar de sondage atmosphérique qui fonctionne avec des ondes optiques émises par laser et qui permet de déceler des vestiges sous le couvert végétal.
Un site occupé dès le XVIIe siècle
Encore en cours de traitement, les premiers résultats du LiDAR sur le Fort de la Possession ont déjà permis de distinguer, autour de l’édifice primitif, plusieurs bastions dans la partie nord-est. Ce plan suggère ainsi une occupation beaucoup plus ancienne que la supposée fondation des années 1750 comme les archives le stipulent. En effet, ce type de plan est caractéristique des installations défensives du milieu du XVIIe siècle, soit un siècle plus tôt, ce qui correspondrait à l’arrivée des colons français vers 1640, voire aux premiers pirates installés sur l’île dès les années 1680-1690. Les deux sondages au pied du rempart nord-est ont révélé la présence d’un caniveau massif avec différentes phases de construction qui remonteraient à la première moitié du XVIIIe siècle. L’étude du bâti permettra peut-être de confirmer ces éléments chronologiques. Ces premières analyses du LiDAR montrent clairement de nombreuses anomalies sur les zones de hauteur qui surplombent la partie sud de la baie. On y perçoit plusieurs habitations et des restes de fondation de murs qui pourraient tout à fait correspondre à des occupations anciennes remontant au XVIIIe siècle. Cette zone stratégique de hauteur a fait l’objet d’une petite campagne de prospections et de sondages qui a livré des tessons de céramiques malgaches ainsi que des niveaux de sols, indiquant une présence autochtone qui pourrait être contemporaine de la venue des Français ou des pirates, voire antérieure. D’autres sondages ont été effectués sur l’île aux Forbans livrant des restes de corail brûlé en lien avec la fabrication de la chaux (servant soit au carénage des navires, soit à la construction), des clous de batellerie et de la porcelaine chinoise à décor blanc et bleu.
Modèle numérique de terrain des zones testées par le LiDAR, baie d’Ambodifotatra sur l’île Sainte-Marie. Six zones ont été testées, notamment l’Aiguade (zone 3), l’île aux Forbans (zone 4) et le Fort de la Possession (zone 6). © I. Le Tellier, 2022
Pour aller plus loin
EWEN C. R., SKOWRONEK R. K. (dir.), 2016, Pieces of Eight. More Archaeology Piracy, Gainesville, University Press of Florida. SOULAT J. (dir.), 2019, Archéologie de la Piraterie des XVIIe-XVIIIe siècles. Étude de la vie quotidienne des flibustiers dans les Caraïbes et l’océan Indien, Drémil-Lafage, Éditions Mergoil.
SOULAT J. (dir.), 2019, À la découverte des pirates, Dossiers d’Archéologie, n° 394, juillet-août, Dijon, éditions Faton.
SOULAT J., VON ARNIM Y., 2022, Speaker 1702. Histoire et Archéologie d’un navire pirate coulé à l’île Maurice, Éditions ADLP.