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Des Vikings sur l’île de Ré ? Des échanges avec les populations de l’Europe du Nord illustrés par la fouille de La Flotte

Individu inhumé tête au sud avec un collier de perles et un bassin en fer.

Individu inhumé tête au sud avec un collier de perles et un bassin en fer. © Yohan Manthey, Inrap

La commune de La Flotte se situe sur la côte nord de l’île de Ré. Le contexte archéologique local permet de supposer que le bourg abrite une occupation antique, tournée vers la mer. Des archéologues de l’Inrap viennent d’y réaliser une fouille, sous la responsabilité d’Annie Bolle. Le site est localisé à proximité du rivage ancien et d’une villa gallo-romaine dont on pouvait s’attendre à trouver des vestiges. En fait, ce sont essentiellement les vestiges médiévaux, datés entre le VIIIe et le XVe siècles, qui ont été découverts.

Une cinquantaine de sépultures ont été fouillées à proximité et à l’intérieur d’un bâtiment orienté est-ouest. Les premières inhumations sont datées entre la fin du VIIIe siècle et le troisième quart du Xe siècle, par une datation radiométrique effectuée lors du diagnostic réalisé en 2023 par L. Bonelli (Inrap).

Le prieuré Sainte-Eulalie

Celles qui sont installées dans le bâtiment se situent vers le XVe siècle et incitent à l’interpréter comme une chapelle. Trois fours à cloche y sont construits, probablement au début du XIIIe siècle. Cette chapelle pourrait être celle du prieuré Sainte-Eulalie, mentionné lors d’une donation pour l’édification de l’abbaye des Châteliers au milieu du XIIe siècle. La fondation de ce prieuré n’est toutefois pas datée. Il est détruit au cours des guerres de religion.

Sépultures installées dans le bâtiment, possible chapelle avec au centre des fours à cloche du début du XIIIe siècle.

Sépultures installées dans le bâtiment, possible chapelle avec au centre des fours à cloche du début du XIIIe siècle. © Clémence Pilorge, Inrap

Des sépultures atypiques

Parmi les tombes situées autour de la chapelle, un petit groupe se distingue par la position des corps, leur orientation et la présence d’objets. Elles se situent toutes à proximité de celle datée par analyse radiométrique de la période carolingienne et les objets qu’elles contiennent correspondent bien à cette fourchette de datation. Traditionnellement, les défunts sont allongés sur le dos, les membres inférieurs en extension, tête à l’ouest. Sur la fouille, un des individus est étendu sur le côté gauche, les membres inférieurs repliés et deux sépultures présentent une orientation tête quasiment au sud. Il s’agit de deux tombes de femmes, retrouvées dans une position inhabituelle. L’une est retrouvée allongée sur le ventre et l’autre est sur le dos mais ses membres sont repliés et surélevés. Pour ces deux derniers cas, il reste à confirmer si ces positions résultent d’un dépôt intentionnel ou de mouvements de sédiments et de vestiges après l’enfouissement, l’une ayant probablement été déposée sur son côté droit.

Fouille en cours d’une sépulture, l’individu, tête au sud, a été retrouvé sur le ventre.

Fouille en cours d’une sépulture, l’individu, tête au sud, a été retrouvé sur le ventre. © Yasmina Goichon, Inrap

Des objets inhabituels

Les inhumations comprenant du mobilier lié à la parure, aux vêtements ou à des objets personnels sont extrêmement rares dans la région Centre-Ouest à partir du VIIIe siècle. Leur présence ici est donc exceptionnelle pour la période carolingienne. Elle l’est d’autant plus que la plupart de ces objets provient de régions nordiques. Les objets comprennent deux peignes (en os ou bois de cervidés). L’un est retrouvé sous le fémur d’un homme, le second sur la poitrine d’une femme. À côté d’elle, des perles en verre, en ambre et en os accompagnent des objets métalliques non encore identifiés. Une autre femme porte un collier de perles en verre, en ambre et une en alliage cuivreux. Un bassin en fer a été déposé à côté d’elle. Un autre individu est accompagné d’une petite boucle et d’une aiguille en os. Enfin la cinquième tombe est celle d’une femme qui porte trois agrafes au cou, une ceinture dont les différents éléments en alliage cuivreux portent un décor d’entrelacs. Un couteau pivotant complète l’ensemble. À l’exception des agrafes à double crochets, bien connues localement, les objets trouvent des comparaisons dans le monde nordique, plus précisément vers l’Irlande, l’Angleterre, les Pays-Bas, le nord de l’Allemagne et peut-être le Danemark.

Perles en verre et ambre.

Perles en verre et ambre. © Annie Bolle, Inrap

Qui sont ces défunts ?

La découverte de ces tombes particulières permet de s’interroger sur l’identité de ces défunts. À l’heure actuelle, deux hypothèses sont envisageables. Soit il s’agit de sépultures d’individus locaux qui désirent afficher leur statut particulier jusque dans la mort, soit d’individus, au sein du cimetière local, d’origine étrangère. Dans les deux cas, c’est la preuve archéologique de contacts entre l’île de Ré et les mers nordiques qui devaient s’inscrire dans un vaste réseau d’échanges et de conflits. Les datations au radiocarbone, les analyses isotopiques et génomiques sur les individus permettront d’accéder à leurs origines géographiques et génétiques et, éventuellement, à leur statut social. ​​​Il s’agit pour l’instant d’hypothèses de travail, la fouille venant juste de se terminer. Lorsque les objets seront stabilisés et manipulables par les spécialistes, les études pourront commencer. Elles devront être croisées avec les données de terrain et les résultats des analyses. Ces découvertes apportent, en tout cas, l’une des rares preuves archéologiques des contacts entre les mers nordiques et les îles de l’Atlantique.

Prélèvement sur un peigne en os ou bois de cervidé.

Prélèvement sur un peigne en os ou bois de cervidé. © Patrick Ernaud, Inrap