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Exposition à Trèves : Marc Aurèle, un empereur sage et guerrier

La statue équestre de Marc Aurèle (détail). C’est la seule en bronze de la Rome antique parvenue jusqu’à nous. Rome, Musées capitolins. Bronze, 4,24 m de haut.

La statue équestre de Marc Aurèle (détail). C’est la seule en bronze de la Rome antique parvenue jusqu’à nous. Rome, Musées capitolins. Bronze, 4,24 m de haut. © Didier Zylberyng

Célèbre pour son œuvre philosophique, Pensées pour moi-même, Marc Aurèle a été à la tête de l’Empire romain entre 161 et 180 de notre ère. Associé au pouvoir pendant 23 ans en tant que prince héritier, il partage quelques années durant sa charge impériale avec Lucius Verus. Le Rheinishes Landesmuseum Trier s’attache à retracer la vie et le règne de ce souverain de la dynastie des Antonins qui n’était pas destiné à le devenir… Rencontre avec Helena Huber, commissaire de l’exposition qui rassemble 300 pièces issues des collections du musée et de plus de 70 autres institutions.

Propos recueillis par Alice Tillier-Chevallier

Pourquoi Marc Aurèle fait-il, encore aujourd’hui, partie des empereurs les plus connus ? 

S’il n’est pas aussi célèbre que Néron ou Constantin, son nom est en effet resté. Il incarne à nos yeux le « bon empereur ». Cette réputation est ancienne : il était déjà considéré comme tel dans l’Antiquité. Cela signifie alors accomplir son devoir, défendre l’Empire romain et conduire la politique intérieure. Marc Aurèle a d’ailleurs été loué de son vivant pour ces qualités, comme en témoignent la colonne érigée à Rome pour commémorer ses victoires ou sa statue équestre encore présente sur le Capitole. Le règne difficile de Commode, son fils, qui lui succède en 180 et qui rapidement fait figure de tyran, a sans doute ajouté, par contraste, à sa réputation. Avec le temps, la signification attachée à ce qualificatif de « bon empereur » a ­évolué : à la Renaissance, on redécouvre les Pensées pour moi-même, et Marc Aurèle est alors considéré comme l’association parfaite de l’intellectuel et du chef politique. Aujourd’hui, c’est son œuvre littéraire et sa philosophie qui dominent. Nous organisons de ce fait une exposition en deux volets : l’une, consacrée à Marc Aurèle lui-même, s’intéresse à l’ensemble de sa biographie, de son enfance à sa carrière politique et militaire, et à sa philosophie ; l’autre, en écho, au Stadtmuseum Simeonstift, interroge ce qu’est le bon gouvernement.

« À la Renaissance, Marc Aurèle est considéré comme l’association parfaite de l’intellectuel et du chef politique. »

Vue de l’exposition.

Vue de l’exposition. © GDKE, Rheinisches Landesmuseum Trier, Th. Zühmer ­

La vie et le règne de Marc Aurèle sont-ils bien documentés ? 

Nous disposons de sources littéraires, parmi lesquelles l’œuvre de l’historien Dion Cassius ou l’Historia Augusta – même si elle est postérieure et date de l’Antiquité tardive. Nous avons aussi la chance que la correspondance entre Marc Aurèle et Fronton, son professeur de rhétorique latine, soit conservée, ce qui permet de remonter à son enfance. Il y est non seulement question du travail scolaire, mais aussi d’autres sujets, comme la santé de sa famille ; on voit, au fil des ans, que Fronton devient peu à peu son ami et son conseiller. L’histoire de ces lettres est très intéressante : elles nous sont parvenues à travers des copies, elles‑mêmes réutilisées dans un codex chrétien, donc à l’état de palimpsestes, que nous proposons sous forme numérique dans une station multi­média. À ces sources littéraires et personnelles, s’ajoutent des papyrus qui relatent des décisions politiques ou administratives, des inscriptions, des pièces de monnaies ou encore des monuments…

Buste de Marc Aurèle âgé et cuirassé. Toulouse, musée Saint‑Raymond.

Buste de Marc Aurèle âgé et cuirassé. Toulouse, musée Saint‑Raymond. © Daniel Martin, musée Saint‑Raymond

Pour se repérer

121 Naissance de Marc Aurèle, sous le règne d’Hadrien

138 Marc Aurèle est adopté par Antonin, devenu empereur à la mort d’Hadrien

161 Mort d’Antonin le Pieux ; Marc Aurèle et Lucius Verus deviennent co-empereurs

161-166 Guerres contre les Parthes pour le contrôle de l’Arménie, sous le commandement militaire de Lucius Verus

166-180 Guerres marcomanes dans la région du Danube menées par Marc Aurèle après la mort de Lucius Verus en 169

180 Mort de Marc Aurèle ; Commode lui succède

Devenir empereur

Rien ne destinait pourtant Marc Aurèle à devenir empereur… 

Il appartenait en effet à une famille de patriciens, les Annii Veri, bien établie dans la société romaine, et originaire d’Espagne du côté de son père ; son grand-père paternel, Marcus Annius Verus, faisait partie des proches de l’empereur Hadrien. Marc Aurèle lui-même était destiné à devenir sénateur : son enfance et son éducation étaient tournées vers cet objectif. Il étudie notamment le stoïcisme, cette doctrine philosophique qui se développe à Athènes au IIIe siècle avant notre ère, et qui défend l’idée que le bonheur est un travail permanent sur soi : il s’agit d’atteindre la stabilité intérieure, de contrôler ses émotions et de se mettre au service de la communauté.

Fragment d’une inscription honorifique pour Marc Aurèle en tant que César.

Fragment d’une inscription honorifique pour Marc Aurèle en tant que César. © Civico Museo Archeologico di Milano

Comment a-t-il finalement obtenu cette fonction suprême ? 

Si Marc Aurèle devient empereur, c’est par manque d’héritier direct. L’empereur Hadrien n’a pas de fils ; selon une pratique qui commence à se développer au début du IIe siècle, à partir de l’empereur Nerva, la succession se fait par adoption. Hadrien choisit Antonin, oncle de Marc Aurèle, pour en faire son successeur. Antonin lui-même n’ayant pas de descendant, il fait (sur ordre d’Hadrien) de Marc Aurèle son fils adoptif ; il adopte également Lucius Verus, de 9 ans son cadet. Hadrien meurt en 138, Antonin lui succède, faisant des deux frères adoptifs des princes héritiers. Ils sont associés au pouvoir, comme le montre notamment ce protocole de conseil (présent dans l’exposition) retrouvé sur un papyrus, datant du règne d’Antonin le Pieux et qui les mentionne. Ce n’est que 23 ans plus tard qu’ils deviennent empereurs – co-empereurs – à la mort d’Antonin en 161. Marc Aurèle a alors 40 ans.

Buste-portrait du jeune Lucius Verus.

Buste-portrait du jeune Lucius Verus. © Ny Carlsberg Glyptotek, Copenhagen Ole Haupt

La Porta nigra

Monument emblématique de la ville de Trèves, la massive Porta nigra tient son nom de « porte noire », apparu au Moyen Âge, de la patine qui a progressivement noirci ses pierres. Construite en blocs de grès assemblés à sec, elle constitue l’entrée nord de l’enceinte qui entourait Augusta Treverorum, fondée par Auguste à la fin du Ier siècle avant notre ère. Cette porte a été édifiée ou transformée sous le règne de Marc Aurèle : un morceau de bois retrouvé à ses pieds a pu être daté par dendrochronologie de 170 ; il atteste de travaux menés à cette date sur cette partie du rempart. D’autres cités ont, de la même manière dans le contexte des guerres marcomanes, étendu ou rénové leurs fortifications. 

La Porta nigra à Trèves.

La Porta nigra à Trèves. DR

Cette situation d’empire à deux têtes était-elle courante ? 

C’était totalement inédit ! Cette situation se double d’un autre choix surprenant : alors que le danger représenté par les Parthes se précise, Marc Aurèle décide de ne pas prendre la tête des armées et de laisser son frère partir au combat. C’était là manquer la chance de rentrer couvert de gloire militaire. Les raisons de ce choix restent inexpliquées. Il est vrai que ni l’un ni l’autre n’avait de réelle expérience de guerre. Peut-être Marc Aurèle a-t-il douté du succès et a joué la carte de la prudence. En tout état de cause, quand Lucius Verus revient victorieux, les deux co-empereurs fêtent cette victoire ensemble : ils organisent un grand triomphe et distribuent largement des pièces de monnaie les figurant en train de se serrer la main, affichant encore plus leur union. Pendant que son frère dirigeait les troupes, Marc Aurèle s’est, lui, occupé de la politique intérieure. D’après les inscriptions retrouvées, il a poursuivi l’action de ses prédécesseurs, sans conduire de réformes majeures.

Vue de l’exposition.

Vue de l’exposition. © GDKE, Rheinisches Landesmuseum Trier, Th. Zühmer

L’extension de l’empire

Sous le règne de Marc Aurèle, l’Empire romain s’étend de l’Écosse et du Portugal à l’ouest jusqu’au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord. Parmi les provinces intégrées récemment, se trouve la Dacie, qui contribue fortement à la richesse de l’empire grâce à ses mines d’or.

L’archéologie en ordre de bataille

Est-ce qu’il finit néanmoins par s’illustrer sur le champ de bataille ? 

Lucius Verus meurt en 169 au début des guerres marcomanes qui opposent les Romains à différents peuples germains et sarmates dans la région du Danube ; Marc Aurèle prend alors le commandement militaire. C’est d’ailleurs en tant que chef militaire qu’il est le plus souvent représenté, même si de rares statues font exception : l’une, conservée au British Museum, le montre en citoyen romain, vêtu d’une toge. À partir de 169, Marc Aurèle est plus fréquemment sur le front, dans la région du Danube, qu’à Rome. Nous exposons notamment des pièces retrouvées à Carnuntum (Autriche), ville de Pannonie dont Marc Aurèle avait fait l’un de ses quartiers généraux : épées (spatha), attaches de bouclier, casques, éléments de harnachements, chaussures… Nous présentons aussi les découvertes issues du site de Mušov, en République tchèque actuelle, où les fouilles se poursuivent : sur ce site de quelque 30 ha a été mis au jour un immense camp romain fortifié, dont l’emplacement, dans une zone très éloignée de la frontière de l’Empire romain, suggère qu’il a joué un rôle central dans la conduite du conflit. D’autres camps temporaires lui étaient associés.

« À partir de 169, Marc Aurèle est plus souvent sur le front, dans la région du Danube, qu’à Rome. »

La colonne de Marc Aurèle à Rome. Elle célèbre ses victoires sur les Germains marcomans et les Sarmates établis au nord du Danube. Elle mesure 100 pieds romains, soit 29,617 m.

La colonne de Marc Aurèle à Rome. Elle célèbre ses victoires sur les Germains marcomans et les Sarmates établis au nord du Danube. Elle mesure 100 pieds romains, soit 29,617 m. CC BY-SA 4.0

Ces recherches permettent-elles de comprendre un peu mieux les guerres marcomanes ? 

Les maisons fouillées à proximité immédiate de ce camp et les objets mis au jour attestent des échanges entre Romains et populations danubiennes. Le mobilier conservé dans la sépulture d’un chef local mêle éléments romains et indigènes. Ainsi un grand récipient en bronze associe les deux cultures : de facture romaine, il intègre notamment dans ses anses des figurations locales. La poursuite des investigations aidera peut-être à répondre à la question qui demeure : Marc Aurèle essayait-il d’établir, dans cette région, de nouvelles provinces de l’Empire romain ? Si les découvertes récentes ne permettent pas de l’affirmer, bon nombre de chercheurs pensent aujourd’hui que l’empereur tentait en tout cas de contrôler la zone pour s’y établir de façon pérenne. 

La statue équestre de Marc Aurèle. C’est la seule en bronze de la Rome antique parvenue jusqu’à nous. Rome, Musées capitolins. Bronze, 4,24 m de haut.

La statue équestre de Marc Aurèle. C’est la seule en bronze de la Rome antique parvenue jusqu’à nous. Rome, Musées capitolins. Bronze, 4,24 m de haut. © Didier Zylberyng

La peste antonine en question

Le règne de Marc Aurèle est connu pour sa « peste antonine », baptisée en référence au nom complet de l’empereur (Marcus Aurelius Antoninus). Si cette épidémie est mentionnée par certaines sources littéraires, il est frappant de constater que Marc Aurèle lui-même ne l’évoque pas. Une phrase ici ou là dans ses Pensées pour moi-même évoque une mortalité non négligeable, mais sans que cela ait eu l’air de représenter un défi important. Aucune preuve archéologique n’est venue, dans l’état actuel des recherches, corroborer un épisode de peste. Il est probable qu’il y ait eu des vagues localisées de maladies que l’on ait eu du mal à soigner, mais rien qui relève de Yersinia ­pestis.

« Marc Aurèle. Empereur, chef militaire, philosophe », jusqu’au 23 novembre 2025 au Rheinishes Landesmuseum Trier, Weimarer Allee 1, 54290 Trèves, Allemagne. Tél. +49 651 97740 et https://marc-aurel-trier.de/en/home/

« Marc Aurèle. Qu’est-ce que le bon gouvernement ? », jusqu’au 23 novembre 2025 au Stadtmuseum Simeonstift Trier, Simeonstraße 60, 54290 Trèves, Allemagne. Tél. +49 651 718 1459 et https://museum-trier.de