Festival international du film d’archéologie de Rovereto : le Colisée en quarantaine

Vue sur le Colisée et l’arc de Titus. © Archivio fotografico Parco Archeologico del Colosseo
Présenté hors compétition au Festival international du film d’archéologie de Rovereto, le documentaire Le Colisée en quarantaine plonge le spectateur au cœur du monument emblématique de la Rome antique, déserté et silencieux pendant le confinement… Alfonsina Russo, directrice du parc archéologique, et Federica Rinaldi, la nouvelle responsable de ce très célèbre monument, ont profité de ce moment inédit pour nettoyer, restaurer et fouiller ce site qu’arpentent, en temps normal, 25 000 personnes par jour.
Propos recueillis par Daniela Fuganti. Traduction Carole Cavallera
Un grand ménage et de nouveaux touristes
Visiter le Colisée, les Forums et le Palatin presque déserts est un privilège désormais réservé aux rares touristes et surtout aux Romains. Mais quel est le point de vue de ceux qui y travaillent ?
Cette période tragique est très préoccupante à tout point de vue, notamment économique, puisque le coût de fonctionnement du parc s’élève à 20 millions d’euros par an. Elle nous a permis toutefois d’effectuer des interventions impossibles en temps normal : nettoyer les parcours, remplacer les mains courantes, peindre les balustrades, arracher la végétation trop envahissante, etc. Le marbre a été patiemment lavé et les sièges en bois de l’estrade de l’arène réparés. Nous avons vu aussi le retour d’une faune habituellement cachée comme ces deux familles de hérissons qui ont fait leur tanière dans l’amphithéâtre ; des faisans, des canards sauvages et des petits perroquets verts se sont réapproprié l’espace des forums ; on aperçoit des renards sur le Palatin qui abrite un patrimoine végétal et paysager exceptionnel, avec 1 266 grands arbres, dont 180 pluricentenaires.
Pendant ces mois de fermeture forcée, le Colisée a livré quelques secrets…
Nous avons profité de cette fermeture pour raconter la grande histoire de ce monument par le biais de détails insolites et de petites anecdotes laissés sur les murs grâce aux multiples graffitis recensés (certains hauts de deux, trois, voire quatre mètres !). Tous retracent les vicissitudes du Colisée après la période antique. Du XIIe au XVIIe siècle, le Colisée devient un quartier d’habitations et une carrière pour construire les monuments de la grande Rome papale. Des ouvriers (dont peut-être un certain Romulus), travaillant sans doute à l’extraction de blocs de travertin, ont gravé leurs noms au milieu de nombreux symboles apotropaïques – destinés à éloigner le mauvais œil.
« Au Moyen Âge, le Colisée est caractérisé par une ambiguité entre sacré et profane. »
Le Colisée a survécu à beaucoup d’outrages. Comment le monument s’est-il transformé au cours des siècles ?
À la différence de beaucoup d’autres édifices de la Rome antique, le Colisée n’a jamais été transformé en église chrétienne. L’Église a essayé de le vouer au culte des martyrs, pour le libérer des présences païennes, démoniaques même selon les Pères de l’Église (dont Tertullien au IIIe siècle) ou les auteurs des Mirabilia Urbis Romae au Moyen Âge. Le monument était alors considéré à la fois comme le temple de la superstition, habité par des idoles, et le bastion du pouvoir impérial. Les représentations sacrées de la Passion du Christ qui s’y déroulaient au XVIe siècle lors du Vendredi saint, le chemin de croix institué par Benoît XIV au milieu du XVIIIe siècle et les magiciens et nécromanciens qui le peuplaient à l’époque où il était isolé de la ville, sont autant de preuves de l’ambiguïté entre sacré et profane qui a caractérisé le Colisée depuis le Moyen Âge.
Intérieur du Colisée avec son dédale souterrain où l’on gardait les animaux. © F. Buffetrille / Leemage
Le monument livré à lui-même
Il est difficile aujourd’hui d’imaginer le monument en pleine campagne…
Au XVe siècle, l’amphithéâtre n’était plus un point de passage obligé pour se rendre au siège de la papauté, qui avait été déplacé du palais du Latran au Vatican. En outre, il avait été gravement endommagé par le tremblement de terre de 1349. Il se retrouva donc isolé dans la campagne, sans surveillance. Il devint peu à peu refuge de bergers et de brigands, lieu de rendez-vous de prostituées et de nécromanciens. On pensait que les âmes des gladiateurs massacrés dans l’arène erraient la nuit sous les arches et dans les souterrains. L’artiste Benvenuto Cellini raconte dans son autobiographie avoir participé à une cérémonie d’invocation des esprits des morts qui s’est transformée en une terrifiante convocation de démons, au point de faire fuir tous les participants, sorciers compris ! Aux XVIIe et XVIIIe siècles, les arcades ont même été murées pour transformer le Colisée en forteresse.
Vous venez de dévoiler une fresque témoin de cette histoire complexe. Que représente-t-elle ?
C’est une peinture isolée, récemment restaurée, représentant une vue idéale de la Cité de Jérusalem. Peinte sur l’arc du fond de la porte Triumphalis, tournée vers le Forum romain, cette surprenante carte symbolique de la ville sainte figure les trois religions monothéistes tendues vers Sion. Il semble qu’il y avait à l’opposé, sur la porte Libitinaria, une autre fresque qui représentait Rome, comme si les deux villes se regardaient. Cette œuvre constituait le jalon d’un parcours de « christianisation » qui, avec le jubilée proclamé par l’Église en 1675 et l’érection de la croix au centre de l’arène la même année, avait pris une grande importance. Mais, après 1675, le Colisée est converti en fabrique de salpêtre sur la volonté de Clément XI. Ces hésitations sur la destination du monument s’expliquent sans doute par l’isolement du Colisée, loin de la ville et des principaux lieux de la vie chrétienne, comme Saint-Pierre et Saint-Jean-de-Latran. Le premier chemin de croix y fut célébré en 1750 mais, presque aussitôt, au début du XVIIIe siècle, commença la phase de redécouverte archéologique du monument, qui retrouva finalement toute son histoire millénaire…
Carte symbolique de Jérusalem. Rome, Colisée. © Archivio fotografico Parco Archeologico del Colosseo
Les projets de restauration en cours
Un des souterrains appelés « passage de Commode » est en cours de restauration. De quoi s’agit-il exactement ?
Il s’agit en réalité d’un passage aménagé par Domitien (règne 81-96) pour arriver sans être vu à la loge impériale. Il fut agrandi par Commode (règne 180-192) qui aimait entrer dans l’arène avec les gladiateurs mais qui était terrorisé par les attentats – après en avoir subi un dans ces galeries. On ne sait toujours pas où ressortait ce passage ; on ne peut que supposer qu’il reliait directement le palais impérial du Palatin à la loge d’honneur… La galerie était décorée d’un pavement en mosaïque blanc et noir, de stucs et de marbres peints. La restauration d’une partie des stucs sera terminée cette année, et quand ce travail, mené sur une portion de 20 m, sera achevé, nous l’ouvrirons au public.
Un autre parcours est celui des souterrains des gladiateurs. Comment se présente-t-il ?
Il s’agit d’un autre couloir – aujourd’hui interrompu par le collecteur d’égouts de l’Esquilin, construit au XIXe siècle – qui reliait le Colisée au Ludus Magnus (sur l’actuelle via Labicana), où s’entraînaient les gladiateurs. Ce souterrain de service était utilisé les jours de spectacle pour transporter les cages des lions, des autruches et des ours ; par là aussi arrivaient les gladiateurs. Le travertin sur les murs et les voûtes, comme l’opus spicatum du pavement, sont intacts. Au sol s’ouvre un grand puits où aujourd’hui s’écoule l’eau ; il est relié au système d’égouts qui devait évacuer le sang et les déchets. Dans ces hypogées, les gladiateurs attendaient leur tour et les esclaves manœuvraient les monte-charges pour hisser dans l’arène les machineries, le sable et les animaux. Grâce au financement de Tod’s, les visiteurs pourront découvrir sous peu cette partie des souterrains.
Couloir sous les arcades du Colisée. © Archivio fotografico Parco Archeologico del Colosseo
D’autres interventions sont-elles programmées dans un futur proche ?
Un grand chantier va commencer dans la contre-façade nord et dans la partie de l’anneau conservée jusqu’à 50 m de hauteur, deux endroits qui ont été mis en sécurité grâce aux travaux du métro. Nous en profitons pour lancer une vaste opération de consolidation. Le parc archéologique du Colisée a en outre reçu un financement pour évaluer la vulnérabilité sismique de l’amphithéâtre. Cette vérification doit fonder son analyse sur un relevé bidimensionnel mais surtout tridimensionnel du monument tout entier. Nous sommes en train de mettre au point les grandes lignes de ce projet majeur. Nous portons une lourde responsabilité ! Comme le dit la prophétie prononcée au VIIIe siècle par le vénérable Beda : « Quand le Colisée s’écroulera, Rome s’écroulera aussi. Et quand Rome s’écroulera, le monde s’écroulera. »