Février 2025 : les livres à ne pas manquer pour les amateurs d’archéologie

De la grotte Chauvet aux cerfs-volants du désert, découvrez notre sélection de livres du mois.
Petit guide de survie en archéologie
Un K dans ArKéo, et tout part en vrille. D’emblée la couverture nous met dans le bain, ça fuse dans tous les sens et le titre nous prévient : Manuels – avec un s parce qu’il y en aura plusieurs – presque sérieux… Autrement dit, pas question ici de se prendre la tête pour parler d’archéologie et, dans ce volume plus spécialement, de la formation et du terrain. Le ton est enjoué et la forme celle du parler vrai, pas de chichis, si ce n’est, peut-être, fossilisés dans la coupe stratigraphique. Mais ce sont surtout les illustrations qui pimentent le propos ; les textes, vifs et enlevés, sont explicites et bien documentés, comme l’annonce la table des matières. Pour tous ceux et celles que l’envie de devenir archéologue taraude, ce livre est une présentation sympathique de la réalité du métier, de l’entrée en étude jusqu’à l’exercice concret des différentes fonctions possibles pendant les fouilles, sans oublier les diverses professions annexes auxquelles cette science peut donner accès, en Belgique et en France. On y rit franchement, parfois un peu jaune… L’autrice le dit souvent, et cela se sent : c’est du vécu ! P. B.
Les Arkéofacts, Manuels d’archéologie (presque) sérieux, tome 1 : Formation et terrain. Guide de survie, 2024, Céline Piret, Talence, Éditions Fedora, 138 p., 23 €
Vivre à l’Âge du bronze
Fouillé de 1995 à 2005, le site de Changis « Les Pétreaux », dans l’est parisien, est une des rares références concernant l’évolution de l’occupation spatiale à l’Âge du bronze. Situé en bord de Marne et bénéficiant de bonnes conditions de conservation, il recouvre une superficie conséquente de 60 ha, riche d’une forte densité de structures. Pour l’essentiel, il s’agit de maisonnées rurales ainsi que de cimetières, qui ont fourni un mobilier important, céramique, métallique, lithique, mais aussi en bois de cerf, en os et en dents, ainsi que des restes d’animaux et de végétaux. Les modifications et la répartition de l’habitat et des constructions annexes au cours du temps rendent compte des mouvements de population et de leurs appartenances culturelles. Cet imposant corpus de données, obtenu grâce à une fouille quasi exhaustive, a permis l’élaboration de modèles d’appropriation et d’exploitation de l’environnement. L’ensemble de ces résultats fait de ce site un incontournable pour l’approche territoriale à l’Âge du bronze. P. B.
Occupations protohistoriques à Changis-sur-Marne, « Les Pétreaux », Première modélisation de finages (Bronze ancien – Hallstatt D), 2024, Françoise Lafage (dir.), Paris, CNRS Éditions/Inrap, 408 p., 49 €
Il était une fois Chauvet…
La découverte d’une nouvelle grotte ornée de la Préhistoire a quelque chose d’un mystère qui, chaque fois, surprend et vient bousculer les connaissances acquises. Il y a 30 ans, quand Chauvet est identifiée, l’art paléolithique était connu depuis un siècle à peine. Depuis la fin du XIXe siècle, bien des évolutions avaient eu lieu du point de vue de ses méthodes d’analyse ainsi que de ses interprétations. Qui ? Quoi ? Où ? Comment ? À quelle époque ? À ces sempiternelles interrogations, les avancements technologiques permettent d’apporter des réponses toujours plus précises, à défaut de pouvoir expliquer le pourquoi de ces créations. C’est ainsi que, d’une grande qualité esthétique, Chauvet a chamboulé nos certitudes avec des datations de 37 000 ans qui en ont fait la plus ancienne cavité ornée d’Europe. Troisième responsable des recherches scientifiques menées dans ces lieux et première femme à diriger un site d’intérêt national, Carole Fritz nous livre ici une grotte telle qu’elle la vit depuis 25 ans avec, en perspective, la volonté de faire changer la perception que nous avons de cet art à l’origine de tous les autres. P. B.
La Grotte Chauvet, 2024, Carole Fritz, Paris, Citadelles Mazenod Éditions, 208 p., 35 €
D’une Égypte à l’autre
Qui n’a pas sa petite idée sur l’Égypte ancienne ? Celle des pharaons, des pyramides, des hiéroglyphes et de Champollion, des dieux à tête d’animaux, de Ramsès, de Cléopâtre ou des momies… Comme si nous avions tous quelque chose de ce pays en nous ! Imposante et mystérieuse, elle se donne à voir, suscite curiosité et fascination, donnant cours à une passion que certains nommeront égyptomania, une façon de décliner cette civilisation à tout va. Sujet d’études et d’analyses savantes, source d’inspiration pour les artistes, elle occupe une place à part dans notre imaginaire. Ses vestiges sont connus dès l’Antiquité et déjà collectionnés au Moyen Âge. Les fouilles alimenteront sans cesse cette manne, qui, muséifiée, nourrit une représentation fantasmée, élaborée suivant un intéressant entrecroisement entre savoirs historiques et projections subjectives – dont on apprend qu’elle avait déjà cours sous les anciens empires pharaoniques, la mémoire s’effaçant au fil des millénaires pour laisser place à une réinterprétation des témoignages du passé. Ce beau livre, aux illustrations nombreuses et de qualité, nous invite à faire connaissance avec les modes d’élaboration de cette Égypte idéalisée, et pourtant non dépourvue de réalité. P. B.
L’Égypte dure longtemps. Regards croisés sur la réception en Occident de la civilisation pharaonique, 2024, Gabrielle Charrak (dir.), Paris/Saint-Pourçain-sur-Sioule, Soleb/Bleu autour éditions, 336 p., 33 €
Des cerfs-volants en images
1930, Antoine Poidebard, jésuite, explorateur, aviateur et archéologue, survole le désert syrien. Il y repère une série de structures de grande taille que les aviateurs anglais surnommeront Desert Kyte. Que sont ces intrigants « cerfs-volants » du désert (qui ont fait l’objet de notre dossier dans le numéro 628) : des enclos, des forteresses, des pièges ? La question reste en suspens jusqu’aux années 2010 et l’identification de constructions semblables en Jordanie, en Arménie et au Kazakhstan… Cet album se lit comme un récit d’aventure, scientifique et humaine, plein de rencontres étonnantes et d’imprévus (dont la nourriture n’est pas des moindres !). On découvre une archéologie plongée dans les graves contextes géopolitiques en Syrie, en Arménie, en Turquie, mais aussi tout entière tournée vers la recherche : des années durant, archéologues français et étrangers ont cherché à comprendre la nature de ces immenses compositions et, en particulier, le mode de vie de leurs constructeurs. Si les réponses demandent encore à être précisées, on retiendra surtout la mise au jour d’ingénieux plans gravés remontant au Néolithique. Le dessin joyeux et cartoonesque de Nicola Gobbi donne à cette histoire un côté colonie de vacances, pleine d’énergie, peuplée de scientifiques drôles et passionnés. Le scénario de Séverine Laliberté, archéologue elle-même, aide à suivre cette quête avec précision et envie. Une lecture indispensable pour apprécier l’archéologie et surtout les archéologues. S. D.
Sur les traces des archéologues, 2024, scénario de Séverine Laliberté, dessin de Nicola Gobbi, couleur de Miriam Manara, Paris, éditions Steinkis, 183 p., 20 €
La grande cuve de l’Histoire
C’est un métier oublié : il l’est tout autant aujourd’hui qu’il le fut par le passé – par mépris sans doute. Pourtant les foulons, ces artisans du textile responsables de la finition des étoffes et du nettoyage des vêtements, étaient indispensables aux sociétés antiques. C’est ce que nous invite à découvrir cet ouvrage, très complet, en s’attardant plus particulièrement sur l’Orient grec (Égypte incluse) sur près d’un millénaire (du VIe siècle avant notre ère au IVe de notre ère). Toutes les sources (littéraires, iconographiques ou archéologiques) sont convoquées pour aider à mieux cerner leur place dans la production des tissus, l’organisation, l’implantation et l’insertion dans la ville des ateliers, ou le fonctionnement social et économique de cette communauté. Une manière inédite de percevoir le monde grec, qui se retrouve ici dans de beaux draps… É. F.
Le monde grec des foulons. Histoire et archéologie d’un métier du textile dans l’Orient grec, 2024, Enora Le Quéré, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 365 p., 30 €
Un nouvel empire inca
Le grand spécialiste belge de l’Amérique du Sud revient dans cet ouvrage sur la saga des Incas, qu’il connaît particulièrement bien pour diriger depuis de nombreuses années les fouilles du site de Pachacamac. On prendra plaisir à découvrir toutes les facettes de cette civilisation grâce à son don pour la vulgarisation (souvenons-nous de la diffusion sur Arte de sa série de documentaires Enquêtes archéologiques entre 2016 et 2019) et à lire cet ouvrage, qui donne à voir (très beaux cahiers photos) et à comprendre la grandeur et la complexité du Tawantinsuyu, le nom que les Incas donnaient à leur gigantesque royaume (un million de kilomètres carrés le long de la cordillère des Andes pour neuf à dix millions de sujets !). Remarquable, cet ouvrage l’est aussi en faisant la part belle aux recherches en cours, qui n’ont jamais été aussi dynamiques et fructueuses, mettant à bas (une bonne fois pour toutes) certaines idées reçues. Et à la lecture des courts chapitres (rendant la lecture filante) se dessine enfin une image profondément renouvelée de cette puissance si singulière. É. F.
Les Incas, XIIIe-XVIe siècle, 2024, Peter Eeckhout, Paris, Tallandier, 526 p., 29,50 €
Aux origines de l’Europe
Premier volume d’une collection destinée à en rassembler quatre, cet ouvrage aborde les racines de l’Europe. En effet, quand est-ce que sont apparues les valeurs et les structures considérées aujourd’hui comme ses fondements politiques, économiques, culturels et religieux ? La question est complexe car l’Europe n’a jamais été homogène et recouvre des réalités multiples, qui n’ont pas cessé de se transformer au fil des millénaires. Il n’empêche que, très bien illustré, ce riche volume apporte un certain nombre de réponses et séduit par son approche ; il propose ainsi une première partie sur les échos de l’Antiquité (et l’écart qui existe entre l’Europe du passé et l’actuelle), une deuxième plus politique sur la formation et l’évolution des structures étatiques, et enfin une dernière plus conséquente sur ce très riche legs. Balayant un large spectre, de la Préhistoire au Ve siècle de notre ère, il souligne que nous lui devons, entre autres, nos institutions légales, notre alphabet, une partie de notre philosophie, notre art de vivre et tant de monuments (de Lascaux au Colisée), qui ont construit l’identité et l’imaginaire du XXIe siècle. É. F.
Histoire de l’Europe. Tome 1 : Origines et héritages, de la Préhistoire au Ve siècle, 2024, Violaine Sebillotte Cuchet (dir.), Paris, Passés/Composés, 669 p., 42 €
Au Nord, c’était le Gravettien
Le Gravettien est une période du Paléolithique qui s’étend de 31 000 à 23 000 ans avant le présent. Ses gisements sont nombreux en Europe et dans le Sud et l’Ouest de la France. Mais la période reste méconnue dans le Nord de notre pays – alors que les couvertures de lœss y ont potentiellement bien conservé cette strate et les données lithiques et paléo-environnementales associées. Cet ouvrage entend combler cette lacune en s’intéressant à dix sites permettant de comprendre la singularité du Gravettien dans cette région, ses traditions culturelles et ses dynamiques de peuplement au fil de trois traditions successives. Une étude synthétique comme un point d’étape, qui sera appelé, sans doute, à s’élargir grâce aux fouilles et recherches à venir. É. F.
La période du Gravettien dans la zone lœssique du Nord de la France. Tradition culturelle et dynamiques de peuplement, 2024, Clément Paris, Société préhistorique française, 234 p., 30 €
Bilan d’une archéologie française
Actes de la rencontre organisée par l’Académie des inscriptions et belles-lettres et le Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) du ministère de la Culture en juin 2023, cet ouvrage réunit quinze communications exposées lors de ces deux journées d’études qui ont réuni tous les acteurs de la communauté scientifique archéologique. Reflet de la programmation nationale de la recherche archéologique élaborée par le CNRA, il témoigne de la pluralité et de la richesse de la discipline, de son évolution, de ses changements de paradigmes, de ses nouvelles méthodes et lois aussi. Un tour d’horizon salutaire, bienvenu, complet et pour asseoir l’archéologie d’aujourd’hui… et de demain ! É. F.
L’archéologie française en France et à l’étranger. Assises scientifiques, 2024, Anne Lehoërff et Nicolas Grimal (dir.), Paris, Académie des inscriptions et belles‑lettres, 288 p., 35 €