Fouiller le Saint-Sépulcre à Jérusalem

La rotonde de l’Anastasis du Saint-Sépulcre. © Custodie de Terre sainte
C’est le site le plus sacré de la chrétienté. Le Saint-Sépulcre, le lieu où se trouve le tombeau du Christ à Jérusalem et là où il aurait ressuscité, semble intouchable. Depuis mai 2022, une fouille historique y est toutefois menée, sur plus de 1 000 m2, dévoilant les origines de cet inestimable lieu de mémoire.
Appelée « église de la Résurrection » par les Orthodoxes et « Saint-Sépulcre » par les Latins, la basilique commémore le lieu de la mort et de la Résurrection du Christ sur le Golgotha. La guerre déclenchée à la suite des attaques terroristes du 7 octobre 2023 n’a pas débordé sur les lieux saints de Jérusalem, mais les flux touristiques se sont taris. Une désertion mise à profit par les archéologues qui s’activent dans ce monument-phare accueillant, d’ordinaire, plus d’un million de visiteurs par an. Préalable scientifique à la réfection de l’ensemble des pavements du sol, la fouille préventive actuelle, la plus ambitieuse depuis plus de deux siècles, est menée sous la direction de Francesca Romana Stasolla, professeur d’archéologie chrétienne de l’université de La Sapienza à Rome.
Les zones de la basilique actuellement à l’étude : en gris les zones fouillées en 2022‑2023, en couleur les zones en cours d’étude en 2024. © Université de Rome La Sapienza
D’une fouille à l’autre
Située au cœur du quartier chrétien de la vieille ville, cette ancienne colline a été tour à tour une carrière de pierre, une nécropole juive puis un temple romain dédié au culte impérial. Le sanctuaire païen est rasé sous l’empereur Constantin au début du IVe siècle pour édifier une basilique digne du nouvel empire chrétien, qui est à son tour détruite par le calife al-Hakim (1009). L’empereur byzantin Constantin Monomaque (1042-1055) entreprend une restauration monumentale, achevée en 1048. Reconstruit par les croisés au XIIe siècle, le Saint-Sépulcre est de nouveau en chantier au XIXe après un incendie dévastateur. Les sépultures des rois croisés, alors extrêmement endommagées, disparaissent lors de ces rénovations massives et l’Anastasis – du grec « résurrection » et désignant la zone circulaire entourant le tombeau vide du Christ – est laissé dans son état d’origine. Les travaux ne reprennent qu’en 1960 sous la supervision d’un dominicain français, Charles Couasnon (1895-1976), chef du bureau technique de la basilique. Mais c’est un franciscain, Virgilio Corbo ofm (1918-1991), professeur au Studium Biblicum Francescanum, qui se charge des premières investigations. Grande figure de l’archéologie biblique, frère Virgilio fait enlever les dalles de pierre endommagées par l’incendie de 1808 et met au jour la plupart des structures anciennes sous la forme d’un sol rapiécé de débris de marbre et de mosaïques byzantines de la première moitié du XIe siècle. Ces opérations décisives ouvrent une fenêtre sur les découvertes futures. Après un épisode de restauration du tombeau par une équipe grecque en 2016, les recherches actuelles, menées par un groupe de scientifiques choisis collégialement par les trois églises copropriétaires de la basilique (le patriarcat orthodoxe, le patriarcat arménien et le patriarcat latin – ou catholique – représenté par la custodie de Terre sainte), s’exercent de jour comme de nuit pour libérer au plus vite les espaces contraints par le chantier.
Une rue romaine se distingue sous le pavement du Saint-Sépulcre. © Université de Rome La Sapienza
De nouvelles découvertes sur l’origine de la basilique
Le cœur du Saint-Sépulcre s’ouvre sur l’édicule de la Résurrection, « Saint des saints » de la basilique. Là, les fouilles ont révélé les vestiges de l’église édifiée par l’empereur Constantin (272-337). La découverte la plus saisissante n’a, à première vue, pourtant rien de spectaculaire : il s’agit de la roche du sol. Mais cette première chapelle, vénérée comme le sépulcre du Christ, renferme bien une tombe creusée ! Elle enserre dans ses murs le rocher de la tombe juive en partie arasé par l’occupation romaine. Les archéologues ont identifié l’ensemble du sanctuaire originel construit par Constantin autour du sépulcre : ce martyrium se composait au IVe siècle de douze colonnes. Les recherches ont mis au jour un escalier taillé dans le sol et recouvert de marbre blanc. L’usage antique de laisser une monnaie sur le chantier permet de le dater très précisément du règne de l’empereur Valens (364-378). Ces travaux de grande envergure, rapportés dès l’Antiquité, sont désormais confirmés par l’archéologie. D’autres découvertes, comme les restes de pavements byzantins ou des graffitis datés du XVIIIe siècle, témoignent, elles aussi, d’une chaîne continue de pèlerins sur presque 2 000 ans.
Le Saint-Sépulcre exposé au Terra Sancta Museum
À quelques centaines de mètres, le couvent franciscain dit de « la Flagellation » est situé à l’emplacement de l’ancien palais du prétoire, résidence des gouverneurs de Judée (dont un certain Ponce Pilate) au Ier siècle. Ce fut le point de départ du chemin de Croix qui aboutit au Saint-Sépulcre, à l’époque nécropole juive située en dehors des murs. Cette ancienne forteresse devenue caravansérail puis couvent abrite aujourd’hui la section archéologique du Terra Sancta Museum et présente les fouilles des franciscains dans les lieux saints de la région – dont le Saint-Sépulcre. La nouvelle section ouverte à l’hiver 2024 livre les artefacts issus d’anciens travaux de restauration telles deux puissantes colonnes et leurs chapiteaux d’époque constantinienne, appartenant à l’ancienne rotonde, ou des pavements byzantins retrouvés dans la galerie supérieure. Certains rappellent des traditions artistiques italiennes arrivées à Jérusalem avant la période croisée et on y retrouve des motifs géométriques et d’animaux dont le poisson, symbole chrétien des premiers siècles. Après le départ des croisés de Jérusalem en 1187, la gestion du Saint-Sépulcre a été confiée, en 1217, à l’ordre des franciscains pour l’Église catholique. Aujourd’hui, les fouilles s’y poursuivent dans une concorde œcuménique inédite.