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Du nouveau sur l’épave Laurons 11 à Martigues

Zone présumée arrière de l’épave Laurons 11.

Zone présumée arrière de l’épave Laurons 11. © Lionel Roux-CNRS, AMU, LA3M, Drassm

Située au fond de l’anse des Laurons sur la commune de Martigues, dans les Bouches-du-Rhône, l’épave Laurons 11 gît par faible profondeur. Découverte en 2010 par Bertrand Maillet lors d’une prospection archéologique, elle a été enregistrée sous ce nom car c’est le onzième site référencé dans l’anse. À l’heure actuelle, seules deux analyses au carbone 14 ont permis de la dater entre 1450 et 1630. Depuis 2024, ce site fait l’objet d’un programme pluriannuel visant à mieux connaître son histoire. En voici les premiers résultats.

Ce projet, dirigé par Marine Sadania et Éric Rieth, est mené dans le cadre du chantier-école pour les étudiants du master 2 MoMArch, de l’université d’Aix-Marseille.

Un chantier-école pour former les futurs archéologues-plongeurs

Dédié à l’étude de l’architecture navale de l’époque moderne, ce chantier, porté par Aix-Marseille Université avec le Drassm, est dirigé par Marine Sadania (Drassm) et Éric Rieth (CNRS-LaMOP), en collaboration avec la scop Ipso-Facto. Il se compose d’une quinzaine de personnes. Organisée chaque année depuis 2021, l’opération a eu lieu en 2025 au printemps, durant 10 jours. La faible profondeur de l’épave (maximum 2 m), son accessibilité et son excellent état de conservation ont permis de mettre en œuvre une pédagogie minutieuse associant exercices à terre et en mer.

Dresser un portrait architectural

Véritable défi, la fouille de Laurons 11 mêle un travail délicat d’investigation et la formation de jeunes archéologues-plongeurs dans une zone parfois soumise à une forte houle. Légèrement inclinée sur son possible flanc bâbord, l’épave a conservé ses deux extrémités sur 12 m de long et 4 m au plus large. L’opération a permis de définir un premier « portrait architectural » du navire. Il est construit à franc-bord sur un principe de conception transversale « sur membrure » (manière de «  penser » la forme du bateau) et des procédés de construction « membrure première » (façon de « faire ») qui s’inscrivent dans une tradition attestée en Méditerranée depuis le début du Moyen Âge. Plusieurs « signatures architecturales » sont révélatrices des pratiques techniques spécifiques aux chantiers navals méditerranéens (assemblages entre les éléments inférieurs des membrures, orientation des varangues en regard du maître-couple, vaigres transversales volantes, recours exclusif à un clouage en fer pour les assemblages…).

Chêne vert et pin d’Alep

À ces caractéristiques traditionnelles s’ajoute celle d’un emploi systématique du chêne vert, essence typique de la région, pour la quille, la fausse-quille, les pièces d’extrémité de proue et de poupe et les membrures. Les virures du bordé et les préceintes sont, sauf exception, en pin d’Alep/pin pignon, deux essences également locales. Très rarement attestés archéologiquement, un plat-bord de pont et deux importants fragments d’un pont doté de trois écoutilles ont été conservés dans la moitié présumée avant de l’épave. Ils constituent des données d’une grande importance sur les plans à la fois structural et fonctionnel. La fouille, le démontage, l’enregistrement et l’étude détaillée à terre d’un des fragments de pont ont été au centre de la campagne 2025.

Une embarcation de pêche locale ?

L’épave Laurons 11 s’est révélée être une embarcation d’une taille relativement modeste (une douzaine de mètres de long), avec un pont en apparence partiel, doté d’écoutilles étroites. Ces dernières semblent plus compatibles avec une fonction de pêche côtière ou de servitude qu’avec celle d’une unité de transport de cabotage – nécessitant soit de grandes écoutilles, soit une cale ouverte facilitant les opérations de chargement et de déchargement. Par ailleurs, la hauteur réduite de la coque, en correspondance avec un faible tirant d’eau aux variations limitées, et les carènes de forme relativement plate paraîtraient plus adaptées à un espace de navigation restreint, qu’ouvert sur de longues distances. Ce cadre géo-historique laisse donc envisager une origine locale ou régionale de la construction, en liaison avec un chantier naval privé au mode de production possiblement artisanal.

Manne (panier) en saule découverte au fond de la coque de l’épave Laurons 11. Son usage à bord pourrait être multiple : stockage/vente de la pêche, des denrées, transport de matériaux, etc.

Manne (panier) en saule découverte au fond de la coque de l’épave Laurons 11. Son usage à bord pourrait être multiple : stockage/vente de la pêche, des denrées, transport de matériaux, etc. © Lionel Roux-CNRS, AMU, LA3M

De nouveaux secrets à découvrir

Les raisons du naufrage demeurent encore inconnues. L’épave a certainement subi un comblement très rapide qui l’a scellée et a permis une conservation optimale. Dans le fond de la coque, pris dans des couches de végétaux et une vase argileuse, accumulés lors de tempêtes, deux remarquables objets ont été mis au jour : un maillet aux dimensions exceptionnelles (son manche en aulne mesure 83 cm de longueur et sa tête en chêne de 40,8 cm de large) et une manne (un panier) en saule. Tous deux sont en adéquation avec l’hypothèse d’une unité de pêche : le maillet permettrait de battre des pieux, d’ailleurs présents en nombre dans l’anse, et la manne faciliterait le stockage ou le transport de toutes les marchandises. Au milieu du XXe siècle, les pêcheurs naviguant sur leurs bettes dans l’étang de Berre étaient d’ailleurs payés à la manne, arrivés à quai. Une prochaine campagne de fouille aura lieu en 2026 qui, espérons-le, permettra de livrer de nouveaux secrets sur l’épave Laurons 11 et de mieux appréhender le paysage culturel maritime martégal.