Grandes questions de l’archéologie : « Comment protéger les sites archéologiques ? »

Les temples d'Angkor envahis par les fromagers. DR
Si la découverte d’un nouveau site archéologique est un événement scientifique, sa protection, une fois fouillé, pose de graves problèmes, la plupart du temps difficiles à résoudre. Ce fut le sujet du dernier Symposium international des professionnels du patrimoine à Arles (SIPPA) tenu en novembre 2024 (actes à paraître). Ces problèmes sont multiples, aussi bien techniques qu’administratifs et sociétaux, mais aggravés encore par les dérèglements climatiques en cours, de plus en plus préoccupants.
Dès qu’ils sont à l’air libre, les vestiges archéologiques sont en danger immédiat, quand ils ne se transforment pas progressivement en poubelles à ciel ouvert.
Un enfouissement qui préserve
On ne peut que s’alarmer, comme cela a déjà été rappelé ici-même, de la poursuite des fouilles à Pompéi, ville romaine que rien ne menace, lesquelles ont à nouveau mis au jour des fresques certes spectaculaires, mais que protégeait leur enfouissement depuis deux millénaires. Peut-on garantir qu’elles seront toujours intactes dans deux millénaires ? Certes, le tourisme a besoin de communication et d’annonces tonitruantes, mais pas au détriment de ce qu’il entend mettre en valeur.
Des phénomènes naturels qui détruisent
De fait les causes dites « naturelles » sont en grande partie les effets de l’action humaine. Les phénomènes hydrologiques, tempêtes et ouragans, n’ont cessé de se multiplier au cours des dernières décennies. Les constructions en briques crues de Mésopotamie sont évidemment les plus fragiles et les essais de consolidation chimique ne peuvent être que partiels et à effet limité. Le calcaire n’est pas mieux loti, puisque relativement fragile. On tente de sauver de tels monuments par de disgracieuses toitures métalliques, telle celle réalisée au-dessus de l’impressionnant site néolithique de Göbekli Tepe dans le sud de la Turquie, ou encore sur certains temples mégalithiques de Malte, l’un et les autres inscrits sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Mais, outre les inconvénients esthétiques, le site couvert de Göbekli abrite maintenant des cohortes de pigeons, sortes de rats volants dont les fientes acides attaquent peu à peu les dalles dressées.
Le site de Göbekli Tepe et sa structure de protection. © Ruelleruelle/Alamy/Hemis
Des utilisations qui endommagent
Rares sont donc les vestiges que l’on peut sans crainte laisser exposés aux intempéries. L’exemple de la carrière grecque de la Corderie à Marseille, découverte en 2017 lors d’une construction, est éclairant : l’impéritie administrative l’a laissée plusieurs années se dégrader à l’air libre (au lieu de la recouvrir en partie) et dû donc réensevelir ce qu’il en restait. Autre configuration : utilisés en tant que lieux de spectacle, divers théâtres et amphithéâtres antiques ont dû subir de lourdes restaurations et de nombreux ajouts pour les rendre fonctionnels. Et restaurer un monument jusqu’à le reconstruire, comme le château de Pierrefonds, fait débat.
Différents moyens de couvrir
Dans certains cas, les vestiges étant enfouis à une certaine profondeur, des cryptes archéologiques ont été aménagées. Et protègent donc les ruines, romaines et médiévales comme sous le parvis de la cathédrale Notre-Dame de Paris ou dans le centre de Sofia, capitale de la Bulgarie. Mais ces dispositifs ne sont pas toujours accessibles au public pour des raisons de coûts d’entretien et de gardiennage, à l’instar des ruines gauloises et romaines de la ville d’Arles. D’autres restent visibles sous une épaisse plaque de verre, tel le quartier byzantin situé près du nouveau musée de l’acropole à Athènes. Mais trop d’entre eux, visibles au cœur des villes, ne sont ni clairement indiqués ni expliqués par des panneaux, des cheminements, des QR-codes ou tout autre moyen, de par l’indifférence des responsables municipaux.
Des réenfouissements à envisager ?
Des aménagements préconisés dans les années 1980, par exemple construire les bâtiments au-dessus des vestiges sur une forêt de « micropieux », et ce fut encore tout récemment envisagé à Vannes, sont en réalité beaucoup plus destructifs qu’ils n’en ont l’air. En milieu rural, le ré-enfouissement de ces témoignages, une fois étudiés, paraît être la seule solution raisonnable, du moins si l’industrie touristique ne l’interdit pas. Parfois, au contraire, on ne souhaite pas qu’ils soient visibles, tel le bunker d’Hitler à Berlin, recouvert pour éviter toute démonstration de soutien à venir – ce qui mérite débat.
Restaurer des restaurations
Il arrive aussi que l’on ait à restaurer des ruines devenues lieux de mémoire, tel le village martyr d’Oradour-sur-Glane, dont les 600 habitants furent massacrés par la division SS Das Reich en juin 1940, ou le « dôme Genbaku » d’Hiroshima devenu « Mémorial de la paix », seul bâtiment à avoir résisté à la première bombe nucléaire de l’histoire larguée sur des civils. Moins sinistre est le cas du site crétois de Cnossos : les restaurations poussées d’Arthur Evans du début du XXe siècle, à grand renfort de béton colorié, menaçant ruines, il a été finalement décidé de restaurer ces restaurations car, malgré leur caractère exagéré, elles appartiennent désormais à l’histoire de l’archéologie (et du tourisme). Autre exemple, les temples d’Angkor, notamment le Ta Prohm, spectaculairement rongés par des arbres appelés fromagers. Ces derniers mourant régulièrement, comment conserver l’aspect romantique très prisé des Occidentaux que confère cet envahissement végétal ?
Les ruines d'Oradour-sur-Glane. DR
La montée des eaux…
Autre effet indéniable du dérèglement climatique, la montée des eaux le long des côtes. Sans même évoquer Venise, l’important site de la Lède du Gurp sur la commune de Grayan-et-l’Hôpital en Gironde, avec sa stratigraphie courant du Mésolithique à l’Âge du fer, a été en trois décennies entièrement emporté par l’océan. Les peintures de la grotte Cosquer près de Marseille, datant de plus de 22 000 ans, s’effacent peu à peu au fur à mesure que les eaux de la Méditerranée remontent le long de son couloir d’accès. Ce phénomène inéluctable guette tout autant les vestiges géologiques, comme dans le projet de Géopark du Var, où de précieux témoignages sur l’histoire de la Terre sont gravement menacés. La montée des eaux peut être plus directement humaine dans le cas des barrages hydro-électriques. Si l’on se souvient de la mobilisation internationale qui, dans les années 1960, avait permis le sauvetage d’une partie des temples de Nubie en Égypte, tel n’a plus été le cas en Turquie et en Syrie lors de la construction des barrages sur l’Euphrate.
Grand temple de Ramsès II à Abou Simbel entièrement démonté et remonté plus haut sur une colline artificielle. © Cristian Bagnarello
… et la pollution de l’air
Non climatiques mais tout aussi humains sont les effets de la pollution atmosphérique. Celle-ci ronge monuments et statues, obligeant, pour ces dernières, qu’elles soient démontées et abritées dans des musées, telles les cariatides de l’Érechthéion sur l’Acropole d’Athènes, ou les chevaux de Marly, retirés en 1984 de la place de la Concorde à Paris, ou encore ceux, cette fois en bronze, volés par les Vénitiens à Byzance et insérés sur la façade de la basilique Saint-Marc. Mais si les statues peuvent être déplacées, les bâtiments ne le peuvent pas, malgré le cas isolé du temple d’Abou Simbel. La pollution peut être souterraine, ainsi celle qui a fait fermer à jamais la grotte de Lascaux. Les conflits armés, déjà évoqués plus haut, sont une cause directement humaine (et qui devrait donc être évitable) des destructions du patrimoine archéologique, et on peut malheureusement le vérifier ces mois-ci au Proche-Orient. Les atteintes délibérées visant à attenter au patrimoine mémoriel d’une communauté sont considérées comme des crimes de guerre par l’Unesco et l’ONU.
Tourisme et surtourisme
Ultime et paradoxal péril : le surtourisme. Après la catastrophe de Lascaux, aucune nouvelle grotte paléolithique découverte ne sera jamais ouverte aux touristes – il est vrai que les trois répliques de Lascaux, Cosquer et Chauvet ont plus de succès que bien des sites authentiques. Les alignements de Carnac ont dû être fermés aux visiteurs, dont le piétinement déchaussait peu à peu les menhirs dressés. De même que l’accès à certains sites naturels, tel le sommet du Mont-Blanc, est désormais contingenté et que de nombreux musées exigent une inscription préalable pour un créneau horaire donné, ces pratiques ne pourront que se généraliser. Si la réalité virtuelle permettra, et de façon plus réaliste, de visiter depuis son canapé des sites de l’autre bout du monde, rien ne remplace le « présentiel », ce mot hideux que nous devons au confinement. La conciliation entre la protection du patrimoine, la recherche scientifique (les fouilles archéologiques) et le développement économique et social est un équilibre précaire et jamais définitivement acquis.
Pour aller plus loin :
BORDENAVE V., 2019, « Pompéi : la face cachée d’une année de découvertes exceptionnelles », Le Figaro, 7 janvier 2019 : https://tinyurl.com/y6ww8w7c
DINKEL R., 1998, L’Encyclopédie du patrimoine (Monuments historiques, Patrimoine bâti et naturel : Protection, restauration, réglementation. Doctrines : Techniques : Pratiques), Paris, éditions Les Encyclopédies du patrimoine.
ICOMOS, 1994, Vestiges archéologiques : la conservations in situ.
KAGAN J. & PARCHAS M.-D. (dir.), 2012, « Patrimoines et conservation préventive. Pratiques comparées et nouveaux enjeux », In Situ – Revue des patrimoines, no 19. Doi : 10.4000/insitu.9780
KARL R., 2018, « Against retention in situ. How to best preserve archaeology for “future generations” », Archäologische Denkmalpflege, 11, février 2018, https://archdenk.blogspot.co.uk/