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Grandes questions de l’archéologie : « Menaces sur l’archéologie préventive ? (bis) » 

Décapage mécanique d’un four lors de la fouille préventive du site de la Touchelais à Savenay en amont de la construction du collège Mona Ozouf, 2014-2015.

Décapage mécanique d’un four lors de la fouille préventive du site de la Touchelais à Savenay en amont de la construction du collège Mona Ozouf, 2014-2015. © Antoine Le Boulaire, Inrap

Le 8 avril 2025, le journal Le Monde, par la plume (ou le clavier) du journaliste Hervé Morin, se faisait l’écho de l’appel à la grève reconductible lancé par plusieurs syndicats du ministère de la Culture et de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). En cause, la réduction de l’enveloppe qui permet à l’Inrap et aux services de collectivités (villes, départements, agglomérations) de réaliser les sondages (ou diagnostics) préalablement à des aménagements – routes et autoroutes, constructions, carrières, structures industrielles diverses, etc.

De tels sondages permettent en effet de savoir s’il existe à cet endroit un site qui risquerait d’être détruit. S’ils sont positifs, une fouille peut être prescrite par les services archéologiques en région du ministère de la Culture, ce qui arrive en moyenne dans un quart des cas, soit entre 400 et 450 fouilles chaque année, les trois autres quarts étant négatifs, ou ne justifiant pas une fouille proprement dite.

Un budget obstinément insuffisant

Même si on compte chaque année entre 2 000 et 2 500 prescriptions de sondages, ceux-ci ne sont réalisés, faute de moyens, que sur un quart environ de l’ensemble des surfaces aménagées (« artificialisées ») chaque année, de l’ordre de 50 000 ha, soit la surface d’un département tous les huit ans. Les trois autres quarts ne font donc l’objet d’aucune observation, sauf signalement exceptionnel. La loi prévoyait à l’origine que ces sondages seraient financés par une redevance sur les aménagements, afin que le budget nécessaire soit proportionnel auxdits aménagements, redevance affectée directement à l’Inrap. Mais curieusement, les hauts-fonctionnaires de Bercy, gardiens sourcilleux de notre orthodoxie financière, n’ont jamais réussi à calculer une redevance qui soit à la hauteur des besoins, et encore moins à la percevoir dans son intégralité. Pour être concret, il avait été estimé que 120 millions d’euros étaient nécessaires, alors que le rendement de cette redevance n’a jamais dépassé les 70 millions. Devant ces difficultés, le ministère des Finances a donc décidé récemment de remplacer cette redevance par une taxe, mais qu’il garde pour lui, et d’attribuer une somme au ministère de la Culture, qui la reverse ensuite à l’Inrap et aux services de collectivités. Mais depuis lors, cette somme n’a jamais dépassé… 70 millions, ce qui, évidemment, ne permet toujours pas de réaliser l’ensemble des sondages prescrits, eux-mêmes (voir plus haut) ne portant que sur le quart des surfaces aménagées chaque année.

Une législation à peine votée aussitôt remise en cause

D’où cette colère commune aux agents du ministère de la Culture, qui prescrivent ces sondages, comme aux archéologues de l’Inrap, qui les réalisent. D’ordinaire, des salariés se mettent en grève pour demander de meilleurs salaires ou pour leurs conditions de travail ; mais en l’occurrence, alors même que les salaires des archéologues français sont inférieurs à la moyenne européenne, c’est, dans ce cas, pour demander au contraire plus de travail. L’archéologie, en effet, est un métier que l’on ne peut pas faire sans passion, et la sauvegarde de notre patrimoine anime depuis des décennies toutes les générations successives d’archéologues français. C’est même comme cela qu’une législation est enfin entrée en vigueur. Mais pourquoi cette situation ? On peut certes invoquer les difficultés budgétaires du moment. Mais on ne saurait oublier que la loi de 2001 sur l’archéologie préventive n’a fini par être mise en place, en net retard sur tous les autres pays européens, qu’après des années de manifestations et de pétitions, tout comme de dizaines de rapports administratifs jamais suivis d’effets ; et qu’à peine votée, elle a aussitôt été remise en cause et qu’a été introduite par les parlementaires la mise en concurrence, non des sondages, mais des fouilles entre l’Inrap, les services de collectivités et des entreprises privées créées de toutes pièces, ce qui a entraîné depuis lors une guerre des prix au détriment des salaires et des conditions de travail des archéologues.

Archéologues en grève et manifestant au ministère de la Culture, avril 2025.

Archéologues en grève et manifestant au ministère de la Culture, avril 2025. © DR

Le complexe de Pausanias

Ce désintérêt pour l’archéologie nationale, contradictoire avec bien des discours usuels sur « nos racines » et « notre mémoire », provient en grande partie d’un roman national officiel qui commence mal, puisque avec la défaite d’Alésia et la vision peu flatteuse que nous ont laissée des Gaulois leurs vainqueurs romains, celle de barbares hirsutes et indisciplinés. D’où la détresse financière endémique de notre très beau musée d’Archéologie nationale, à Saint-Germain-en-Laye, par contraste avec l’opulence du Louvre, qui ne présente en matière d’archéologie que des œuvres d’art venues de l’Orient, de la Grèce ou de Rome, les « vraies » racines culturelles que se sont données les élites françaises – ce que mon collègue Alain Schnapp a appelé le « complexe de Pausanias », du nom de l’historien grec de l’Antiquité qui se désolait que ses compatriotes n’admirent que les monuments hors de leur pays et non les leurs propres (Archéologia, no 640, mars 2025, p. 8-9).

Diminution des sondages

Face à ce mur budgétaire, la réaction de l’administration du ministère de la Culture n’a nullement été d’essayer d’obtenir des crédits supplémentaires, mais au contraire, par instructions orales ou écrites, de faire baisser le nombre des sondages. Ainsi une circulaire récente du ministère donne, à propos des fermes photovoltaïques qui recouvrent (parfois à l’excès) les cultures, l’instruction suivante : « La prescription d’un diagnostic sur des projets agrivoltaïques doit être envisagée uniquement en présence de sites avérés dans les emprises ou lorsque des vestiges archéologiques connus y sont affleurants ou en élévation. » Autrement dit, on ne fait des sondages que si le site archéologique est connu, voire visible ! Or les sites découverts lors des diagnostics ou sondages étaient, dans la très grande majorité des cas, inconnus auparavant.

Fouille d’une ferme gauloise à Magny en amont de la construction d’une plate-forme logistique par la société de développement et d’investissement Stonehedge, en bordure de l’autoroute A6, 2025.

Fouille d’une ferme gauloise à Magny en amont de la construction d’une plate-forme logistique par la société de développement et d’investissement Stonehedge, en bordure de l’autoroute A6, 2025. © Inrap

Pourquoi tant de mépris ?

Cette nouvelle alerte n’est qu’un symptôme supplémentaire, à différents niveaux de nos administrations comme de la part de certains responsables politiques, de cette sourde et persistante hostilité vis-à-vis de l’archéologie nationale, alors même que ses coûts ne dépassent pas, rappelons-le, 1 % à 3 % du budget d’un aménagement donné. Il y a un an à peine, j’avais rapporté (Archéologia no 632, juin 2024, p. 8-9) comment le député Éric Ciotti avait fait annuler un arrêté de prescription de diagnostics préalablement à des terrassements massifs dans la vallée de la Vésubie, qualifiant ledit arrêté de : « grotesque et ridicule, rédigé par des technocrates déconnectés des réalités ». On se souvient qu’à peu près en même temps la ministre de la Culture, Rachida Dati, avait affirmé « qu’il ne faut pas faire des fouilles pour se faire plaisir » et qu’elle préférait « mettre de l’argent dans la restauration du patrimoine plutôt que de creuser un trou pour un trou ». Ce que la rédaction d’Archéologia avait qualifié de « trypophobie » et qui avait suscité en réponse une tribune collective d’archéologues dans le journal Le Monde.

Discrets amendements

Depuis quelque temps les réglementations écologiques ne cessent de reculer face à divers intérêts économiques. Ainsi, la loi « climat et résilience » de 2021, qui espérait atteindre en 2050 le « zéro artificialisation nette » (ZAN) des sols vient d’être « assouplie », sinon détricotée par le Sénat. Et si on peut remettre en culture ou en forêt des zones précédemment bétonnées, on ne peut pas recréer un site archéologique détruit. Mais, en luttant contre l’étalement urbain, cette loi avait des conséquences positives pour l’archéologie. Beaucoup plus grave, au cours du mois de mars 2025, plusieurs parlementaires ont fait voter de discrets amendements qui font échapper divers types d’aménagements destructeurs au regard et aux prescriptions éventuelles des services régionaux de l’archéologie – toujours sous prétexte de « simplification ». Alors même que le soutien du public à la préservation de notre patrimoine archéologique ne cesse de croître, comme le montrent encore les Journées européennes de l’archéologie en juin de chaque année, la cause de l’archéologie préventive que l’on croyait définitivement gagnée semble de nouveau en grave danger. Archéologues comme citoyens doivent donc être vigilants.