Guadeloupe : un tsunami dans les sédiments ?

Vue de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. © DR
Située sur l’île de Grande-Terre en Guadeloupe, la ville de Pointe-à-Pitre est fondée au milieu du XVIIIe siècle sous l’impulsion de l’administration coloniale française. L’enregistrement sédimentaire d’un évènement extrême a été mis au jour lors d’une fouille préventive, réalisée par la société Hadès sur le site du collège de Kermadec, et mobilisant archéologues, historiens et géoarchéologue. Un nouveau jalon dans l’étude des risques naturels dans la région ?
Tout au long de son histoire, Pointe-à-Pitre a été, et est toujours, confrontée à la problématique de l’exposition aux risques naturels.
Séismes et activité volcanique
Qu’ils soient d’origine sismique et volcanique ou météorologique et climatique, ces risques constituent une question sensible à l’échelle des Antilles du fait d’un contexte géodynamique complexe. En effet, l’arc des Petites Antilles résulte de la subduction de la plaque nord-américaine sous la plaque caraïbe. Ce mouvement engendre séismes et activité volcanique pouvant également se traduire par de brèves submersions marines. Par ailleurs, sa position géographique l’expose aux risques cycloniques, pouvant aussi induire des surcotes marines.
Localisation des Petites Antilles et de Pointe-à-Pitre. © S. Colin, Hadès
De puissantes séquences sédimentaires
L’intervention archéologique révèle plusieurs phases allant du XVIIIe siècle jusqu’au début du XXe siècle. Au milieu du XVIIIe siècle, l’occupation se singularise par une poldérisation (ou assèchement de ce marais littoral) de l’espace au détriment de la mangrove, dans une volonté d’assainir le secteur afin d’installer une batterie militaire. À partir de 1780, la parcelle est dédiée à l’installation des magasins du Roy. En 1818, un corps d’artillerie de la marine succède à ces entrepôts avant la mise en place de l’école des filles dans la caserne en 1875, elle-même abandonnée à la suite des ravages causés par le cyclone de 1928. De puissantes séquences sédimentaires (50 cm) sont conservées dans les zones basses du site. Elles se composent d’une accumulation de différents niveaux de sables coquillés d’origine marine et comportent ponctuellement des niveaux de blocs et galets émoussés. L’ensemble repose sur les premières traces d’aménagement relevées.
Coupe de la séquence sédimentaire. © S. Colin, Hadès
Les marqueurs stratigraphiques d’une brève submersion marine
Une lecture fine des couches sableuses permet d’identifier des litages horizontaux ondulant légèrement (A). Ils traduisent un dépôt résultant de flux à vitesse élevée, turbulent et unidirectionnel. Puis se développe un niveau de blocs inclinés et imbriqués (B), mais aussi, des fragments de sols (rip-up clasts) arrachés aux marais environnants (C). La composition sédimentaire ainsi que la direction des inclinaisons des blocs montrent que le mouvement s’est effectué depuis l’océan vers la terre émergée. Enfin, en partie supérieure, la présence d’imbrications de fragments de terres cuites architecturales, disposés dans le sens opposé, reflète un courant de ressac (ou backwash) s’effectuant de la terre ferme vers l’océan (D). L’ensemble de ces marqueurs atteste une action en plusieurs phases et contrôlée par des courants à forte compétence.
L’apport des archives manuscrites
Si l’étude sédimentologique identifie ce dépôt comme résultant d’une brève submersion marine qualifiée de haute énergie, il est difficile de préciser s’il s’agit du passage d’un cyclone ou d’un tsunami. Se pose alors la question de la datation du dépôt. La séquence de submersion repose sur les plus anciens apports de remblais exhumés sur le site. Cette phase d’aménagement précoce pourrait être comprise entre 1748 et 1763, en lien avec les premiers travaux d’assainissement et de voirie du littoral pointois. Cette séquence est enfouie sous de nouveaux apports de nivellement dans le cadre de l’établissement des magasins du Roy en 1780. Au cours de ces 32 années (1748-1780), on recense trois potentiels tsunamis dont deux transocéaniques. Le premier a lieu le 1er novembre 1755 : il s’agit du télétsunami de Lisbonne. Le deuxième se déroule le 31 mars 1761 à la suite d’un séisme dont l’épicentre se positionnait également au large de Lisbonne. Cependant si la Martinique semble impactée par ce dernier, aucune archive ne témoigne actuellement d’une surcote en Guadeloupe. Enfin, on recense un séisme au large de la Barbade le 27 avril 1767, avec surcote en Martinique mais sans recueil manuscrit en Guadeloupe. De fait, les archives guadeloupéennes se concentrent sur la submersion engendrée par le tsunami transatlantique de 1755. Un témoignage issu des éphémérides journalières d’un habitant de la paroisse de Sainte-Marie en Martinique, daté du 1er novembre 1755, relate un épisode de submersion affectant plusieurs localités de la Guadeloupe, et notamment la ville de Sainte-Anne. Un autre fait état, ce même jour, d’une élévation de près de 3 m du niveau marin, associée à des phases de retrait et de submersion sur la commune de Petit-Canal. Les Petites Antilles sont peu étudiées en matière de paléo-tsunamis. Cette question représente un défi pour une meilleure compréhension du risque dans cette région, encore aujourd’hui, et l’archéologie préventive apparaît comme un moyen précieux pour alimenter nos connaissances dans ce domaine.
Exemple d’archives : La Guadeloupe, Ballet 1890. © DR
Lexique
Un télétsunami est un tsunami qui provient d’une source lointaine, définie comme étant située à plus de 1 000 km.