Musée de la Romanité : la Gaule romaine en 200 œuvres

Statuette de laie en bronze mise au jour à Cahors. © MAN, Valorie Gô
Alors que les travaux de réaménagement se poursuivent au musée d’Archéologie nationale dans les salles consacrées à la Gaule romaine, les chefs‑d’œuvre de ses collections sont présentés lors d’une exposition temporaire au musée de la Romanité à Nîmes. L’occasion de voir à quel point, au cours des premiers siècles de notre ère, les cultures gauloise et romaine se sont entremêlées pour façonner une identité nouvelle, riche et complexe.
À l’entrée de l’exposition, deux œuvres emblématiques accueillent les visiteurs : le personnage au torque mis au jour à Euffigneix et la statuette d’une laie en bronze découverte à Cahors.
La romanisation de la société gauloise
Toutes deux mettent en scène un sanglier, animal occupant une place majeure dans les civilisations romaine et surtout gauloise. « Si la statue en calcaire du “héros” au sanglier est une œuvre celte des IIe ou Ier siècles avant notre ère, la laie en bronze, plus tardive, du IIe siècle de notre ère, montre que désormais cet animal est traité de manière plus naturaliste, en s’inspirant de l’art hellénistique », explique Nicolas de Larquier, conservateur en chef du musée de la Romanité et commissaire de l’exposition avec Thierry Dechezleprêtre, conservateur en chef du patrimoine et responsable scientifique des collections de la Gaule romaine au musée d’Archéologie nationale (MAN). Cette évolution stylistique est emblématique du processus de romanisation de la société gauloise, phénomène qui constitue le cœur du parcours. « Nous cherchons à réexaminer ce que l’on appelle la Gaule romaine. L’enjeu est, dans le fond, de nous interroger sur la manière dont s’est construite au XIXe siècle la notion de “gallo- romain”, en lien avec les fouilles d’Alésia voulues par l’empereur Napoléon III », souligne Thierry Dechezleprêtre.
Personnage orné de la représentation d’un sanglier et d’un œil prophylactique, portant un torque autour du cou. Découvert dans une fosse, au milieu d’ossements, dans les environs d’Euffigneix en 1922. Photo service de presse. © Grand-Palais RMN (musée d’Archéologie nationale), Jean-Gilles Berizzi
L’art de vivre à la romaine
Les deux cents œuvres de l’exposition mettent ainsi en lumière les mutations survenues dans tous les domaines au sein des différentes provinces gauloises après la conquête romaine. La première des trois grandes séquences rythmant le parcours de visite s’intéresse à la vie quotidienne dans ce vaste territoire qui comprend, au-delà de la Narbonnaise, les provinces d’Aquitaine, de Lyonnaise et de Gaule Belgique. Des stèles funéraires et des inscriptions honorifiques, sur lesquelles apparaît la latinisation progressive des noms celtes, soulignent la mise en place d’un nouveau système social issu du modèle romain. Certaines représentent des bouchers, des forgerons, des foulons, des drapiers ou encore des sabotiers en plein travail. De luxueuses productions, comme les plats en argent et les accessoires de toilette issus du trésor de Rethel, éclairent, quant à eux, la vie des élites, tandis que de nombreux outils renvoient à l’importance de l’artisanat. Des entraves en fer exhumées à Alésia soulèvent la question fondamentale de l’esclavage. Enfin, la forte présence de l’armée romaine est mise en valeur par l’ensemble de Chassenard, qui pourrait appartenir à la tombe d’un auxiliaire gaulois de l’armée romaine, et par l’exceptionnelle visière de Conflans, pièce d’apparat récemment acquise par le MAN. Plus largement, la romanisation de la société se traduit dans l’évolution de l’architecture : malgré la persistance de l’habitat en bois, le modèle romain de la villa s’adapte et se diffuse dans toute la Gaule. Conçue comme l’acmé de l’exposition, la reconstitution de la voûte de la villa de la Millière est présentée au public pour la première fois depuis sa restauration.
Estampille de Pistillus, ornée d’une scène d’amants. Les œuvres de ce potier d’Autun se retrouvent dans toute la Gaule. Découvert à Bordeaux en 1850. Photo service de presse. © Grand-Palais RMN (musée d’Archéologie nationale), Franck Raux
Reconstitution de la villa de la Millière
Mis au jour au sein d’une villa gallo-romaine enfouie dans la forêt de Rambouillet, des fragments de fresques témoignent d’un programme décoratif très élaboré (voir aussi Archéologia no 630, p. 50-57). Ces derniers ornaient, entre autres, une petite pièce aménagée au début du IIIe siècle et dotée d’un système de chauffage par le sol (hypocauste). Ces enduits peints imitant des plaques de marbre, surmontés de corniches de stuc et de panneaux aux guirlandes, recouvraient les murs. Sur les voûtes, des tableaux hexagonaux abritaient des allégories des Saisons. « Ces médaillons sont remarquables tant dans leur traitement, qui transpose des références italiques, que dans la structure architecturale du plafond en voûtes d’arête. Ce type de voûtement, utilisé aux thermes de Cluny, est très rarement mis en évidence dans l’habitat privé en Gaule », souligne Thierry Dechezleprêtre. Pour compléter cette reconstitution, un dispositif numérique offre une visite virtuelle dans les différentes pièces de la villa richement décorées. « La déambulation virtuelle permet de comprendre l’organisation spatiale du site, mais aussi les hypothèses de restitution des peintures murales », précise Nicolas de Larquier.
Schéma axonométrique de la salle voûtée et de son alcôve. DAO J.-F. Lefèvre, APPA-CEPMR
La religion dans la Gaule romaine
Qu’elles soient en pierre ou en bronze, les statues de divinités illustrent la complexité du syncrétisme qui s’opère entre les croyances celtes et romaines à partir du Ier siècle de notre ère. « En parallèle des cultes rendus aux dieux romains (en particulier à Jupiter, Mars, Apollon et Mercure, parfois assimilés à des divinités gauloises locales), les dieux celtes sont toujours honorés », explique Thierry Dechezleprêtre. Extrêmement vénérée, la déesse Épona, sur son cheval, fait l’objet de nombreuses représentations, en particulier sous la forme de statuettes de dévotion. Ces petites figurines moulées en terre cuite blanche sont très largement diffusées en Gaule et jusqu’en Germanie et en Italie. Si les modèles iconographiques romains influent sur la représentation des divinités gauloises, l’inverse se produit sans nul doute. Parmi les multiples statues de Mercure, les petits bronzes reprennent les grands types de la statuaire romaine, mais d’autres évoquent les œuvres celtes en bois d’aspect tronconique, comme le Mercure de Morienval, doté d’une serpe. De nouvelles images, mêlant les deux traditions, apparaissent au fil des décennies. Le dynamisme de cette recomposition religieuse se lit dans les innombrables offrandes et ex-voto mis au jour dans les sanctuaires, comme les intrigants masques de Lacroix-Saint-Ouen. Très tôt révélées par les importantes découvertes effectuées entre 1910 et 1911 par Émile Espérandieu sur le site du temple d’Apollon Moritasgus à Alise-Sainte-Reine, ces pratiques de dévotion viennent de faire l’objet d’une nouvelle interprétation par Olivier de Cazanove qui propose notamment de voir une représentation d’Apollon dans une statue longtemps considérée comme féminine…
Autel votif de Publius Talpidius Clemens. Entre 70 et 80. Découvert sur le site de Norroy-les-Pont à Mousson. Photo service de presse. © Grand-Palais RMN (musée d’Archéologie nationale), Franck Raux
« Qu’elles soient en pierre ou en bronze, les statues de divinités illustrent la complexité du synchrétisme qui s’opère entre les croyances celtes et romaines. »
Napoléon III et la fondation du Musée gallo-romain
« Les fouilles entreprises dans les années 1860 sur le site d’Alésia, à Alise-Sainte-Reine, ont joué un rôle fondateur dans la perception de notre histoire », souligne Thierry Dechezleprêtre. La dernière partie de l’exposition revient en effet sur la manière dont s’est construite la notion d’« époque gallo-romaine ». Elle souligne l’importance de Napoléon III, auteur d’une monumentale Histoire de Jules César, qui lança de grandes opérations sur les sites supposés des campagnes militaires de la guerre des Gaules. L’empereur suivit de près les fouilles et aurait nettoyé en personne un magnifique canthare en argent doré à peine sorti de terre. Dans une démarche d’archéologie expérimentale avant l’heure, il chargea son officier d’ordonnance de réaliser des essais balistiques à partir des découvertes d’armements antiques. Il soutint enfin activement la création du Musée gallo-romain (actuel musée d’Archéologie nationale) au château de Saint-Germain-en-Laye dès 1862. La scénographie évoque l’atmosphère d’une salle de classe de la fin du XIXe siècle. Sur les bancs des écoliers, des tablettes présentent différents contenus numériques, dont des manuels scolaires, tel le « Petit Lavisse », qui ont assuré la large diffusion d’un imaginaire national bâti autour de la figure des Gaulois. « Ces ouvrages aux nombreuses illustrations montrent comment se sont forgés des images et des stéréotypes qui perdurent encore largement aujourd’hui… », précise Nicolas de Larquier.
Trésor de Rethel : plats, bracelets en tôle d’or, miroir à poignée, vases, modèle de bateaux en tôle d’argent, assiette, coupe carénée. Découvert en 1980. Photo service de presse. © Grand-Palais RMN (musée d’Archéologie nationale)
De l’importance de l’archéologie
Mais pour conclure sur une note plus scientifique, le parcours s’achève sur l’actualité de la recherche et en particulier une belle sélection du trésor d’Éauze, l’un des derniers grands trésors monétaires mis au jour il y a 40 ans en 1985 ! Composé de nombreux bijoux et de 120 kg de monnaies (soit 28 000 pièces frappées sous les règnes de Commode, Gallien et Postume), il aurait vraisemblablement été enfoui vers 261, témoignant des troubles survenus au sein de l’Empire romain au IIIe siècle. Au-delà du caractère exceptionnel de ce dépôt, cette découverte souligne l’intérêt de l’étude du contexte pour les avancées de la recherche. Un film de sensibilisation sur les conséquences désastreuses du pillage, coproduit par l’Inrap et le MAN, alerte sur la fragilité du patrimoine archéologique. L’exposition permet ainsi, au-delà des œuvres emblématiques exposées, de saisir l’importance de l’archéologie dans la reconstitution des cultures gauloise et romaine.
Trésor d’Éauze : bracelet avec trois aurei, colliers, bagues, pendants d’oreilles et camées. Photo service de presse. © Grand-Palais RMN (musée d’Archéologie nationale), Gérard Blot
La statuette du dieu de Bouray
Au nombre des chefs-d’œuvre de l’exposition figure cette statuette. Depuis sa découverte fortuite lors du curage de la rivière traversant le domaine du château du Mesnil-Voysin (Essonne) dans les années 1845, elle continue d’intriguer les chercheurs. De fait, elle est au cœur de nouvelles études menées par le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF). Réalisée entre la fin du Ier siècle avant notre ère et le début du Ier siècle de notre ère, cette représentation d’un dieu assis en tailleur rappelle les figures du chaudron de Gundestrup (découvert au Danemark en 1891). La présence d’un torque montre la persistance de modèles iconographiques celtes bien après la Conquête. Mais cette parure peut aussi être interprétée comme un attribut divin – d’autant plus que ses jambes, qui semblent se terminer en pattes de cervidé, permettraient de l’associer au dieu Cernunnos. La tête, surdimensionnée par rapport au reste du corps, a conservé, exceptionnellement, l’un des deux yeux en pâte de verre blanc et bleu. Les mains disparues reposaient vraisemblablement sur ses genoux. Sa position assise est fréquente dans les représentations de divinités du panthéon celte du centre de la Gaule.
Dieu dit de Bouray. Fin du Ier siècle avant notre ère – Ier siècle de notre ère. Découvert dans la rivière Juine en 1845. © Grand-Palais RMN (musée d’Archéologie nationale), Gérard Blot
« Gaulois, mais Romains ! Chefs-d’œuvre du musée d’Archéologie nationale », jusqu’au 4 janvier 2026 au musée de la Romanité, 16 boulevard des Arènes, 30000 Nîmes. Tél. 04 48 21 02 10. www.museedelaromanite.fr
Catalogue, édition Snoeck, 152 p., 24 €