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La vallée de Katmandou : du séisme à la fouille

Le site bouddhique de Svayambhu à Katmandou, après le tremblement de terre du 25 avril 2015.

Le site bouddhique de Svayambhu à Katmandou, après le tremblement de terre du 25 avril 2015. © Ludovic Dusuzeau

Pays au patrimoine culturel exceptionnel, le Népal a subi, il y a maintenant 10 ans, un tremblement de terre d’une violence inouïe. En frappant cette petite nation himalayenne, il a détruit un grand nombre de monuments historiques. À la suite de la catastrophe, des fouilles archéologiques et des opérations de protection et de restauration ont été menées dans la vallée de Katmandou.

Le samedi 25 avril 2015, à midi, le centre du Népal est secoué par un tremblement de terre de magnitude 7,8. Les 50 secondes que dure le séisme suffisent à tuer 8 962 personnes et à en blesser près de 22 000.

Un séisme dévastateur

D’après les estimations publiées un mois plus tard, environ 3,5 millions de personnes se retrouvent sans abris. Les jours suivants sont rythmés de répliques d’intensités variables mais tout aussi effrayantes, notamment celle du 12 mai, d’une magnitude de 7,3. Les derniers tremblements de terre d’ampleur ayant eu lieu en 1833 puis en 1934, beaucoup s’étaient fait à l’idée qu’un grand séisme devait avoir lieu 100 ans plus tard. Et si les sismologues n’avaient cessé d’alerter sur l’imminence d’un tel évènement, les infrastructures du Népal, le deuxième pays le plus pauvre d’Asie, demeuraient largement inadaptées.

Le Stupa aux Multiples Portes Auspicieuses, à Svayambhu, Katmandou, après le séisme.

Le Stupa aux Multiples Portes Auspicieuses, à Svayambhu, Katmandou, après le séisme. © David C. Andolfatto

Chronologie du Népal

IXe siècle avant notre ère – IVe siècle de notre ère : période des dynasties mythico-historiques. Règne des Gopala, Mahisapala, etc.
​​​​​​- Vers 563 avant notre ère : naissance de Siddharta Gautama, qui deviendra plus tard Bouddha, à Lumbini (Sud du Népal).
Ve-VIIIe siècle  : rois Licchavi.
IXe-XIIIe siècle  : les « Âges sombres » ou période dite des Thakuri.
XIIIe-XVe siècle  : dynastie des premiers Malla ; la vallée de Katmandou est unifiée.
XVe-XVIIIe siècle : période des Malla tardifs ; la vallée est divisée en petits royaumes.
XVIIIe siècle-2007 : dynastie Shah de Gorkha ; invasion de la vallée par le royaume de Gorkha, qui unifie un territoire correspondant plus ou moins à l’actuel Népal. De 1846 à 1951, le pays est dirigé par la dynastie des premiers ministres Rana, qui isolent le pays du reste du monde. Le Népal ouvre ses frontières aux étrangers en 1951.
Depuis 2008  : république parlementaire.

Au chevet du patrimoine

De nombreux acteurs nationaux et internationaux ont rapidement dépêché de l’aide financière et humanitaire afin de porter secours aux victimes. Mais le patrimoine n’était pas en reste. Lors d’une réunion de crise organisée par l’Unesco, les responsables de sites et le Département de l’archéologie népalais ont souligné l’importance des dommages. Des ingénieurs et des architectes (dont deux Français) ont formé des équipes pour évaluer les dégâts et identifier les mesures d’urgence à mettre en place. Les premiers états des lieux réalisés sur les principaux sites historiques de la vallée de Katmandou sont sans appel : tous ont été impactés à des degrés divers et variables. On estimera plus tard que près de 2 900 monuments patrimoniaux, ou à valeur culturelle, auraient été endommagés. La situation est particulièrement critique à Svayambhu. Ici comme ailleurs, la priorité sera de sauver ce qui peut l’être et d’empêcher tout pillage.

Les ruines du temple d’Anantapur (site de Svayambhu) érigé en 1654.

Les ruines du temple d’Anantapur (site de Svayambhu) érigé en 1654. © David C. Andolfatto

Archéologie de l’urgence

Situé sur une colline dominant la ville de Katmandou, Svayambhu est un des plus importants lieux du bouddhisme himalayen. Des monuments médiévaux et modernes ont été construits tout autour d’un large stupa principal, dont le Stupa aux Multiples Portes Auspicieuses, soit Mangal Bahudvar Chaitya dans la langue néwar locale, ou Tashi Gomang en tibétain. Cette structure pleine, érigée en briques avec un mortier en terre et haute de 8,40 m, s’est entièrement effondrée sur elle-même, libérant ainsi les centaines d’objets déposés à l’intérieur. Souhaitant faire place nette au plus vite, les responsables du site avaient décidé de se débarrasser des débris (archéologiques). Une pratique arrêtée par l’équipe de l’Unesco et suivie par la fabrication de tamis et la formation d’étudiants et de prêtres bouddhistes à la collecte archéologique. Cette étape a permis de sauvegarder des artefacts divers (statuettes bouddhiques en cuivre et en argile) et de réaliser des découvertes inattendues, comme des pièces de monnaie en argent de l’empereur moghol Shah Alam II (1728-1806). Ce qu’il restait du monument a ensuite été rapidement stabilisé et protégé, afin qu’une véritable fouille puisse être mise en œuvre. Devant l’ampleur des dégâts, il est très vite apparu que de nombreux autres édifices allaient devoir être entièrement reconstruits. Des excavations ont donc été programmées sur certains d’entre eux, afin de vérifier l’état de leurs fondations et d’en apprendre davantage sur l’histoire de la vallée.

Lexique

Un stupa est un monument bouddhique en forme de dôme, plein et pouvant parfois être funéraire. Il est considéré comme le réceptacle des enseignements de Bouddha, mais aussi comme une divinité à laquelle a été infusée la vie au cours de rituels élaborés.

La fouille du Kasthamandap 

Les places royales des trois anciens royaumes médiévaux de Katmandou, Patan et Bhaktapur ont ainsi fait l’objet de sondages en octobre et novembre 2015, réalisés par l’université de Durham (Angleterre). Sur celle de Katmandou a pu être fouillé l’un des plus importants monuments du Népal, le Kasthamandap, ou Pavillon de bois. Haut de trois étages, il servait autrefois à l’hébergement des pèlerins et des voyageurs. Il acquit une importance telle que la ville de Katmandou (appelée Yambu, dans le dialecte néwar de la vallée) lui doit son nom. Le 25 avril 2015, alors que s’y tient une collecte de dons du sang, le bâtiment s’effondre, emportant près de 70 personnes. L’excavation du Kasthamandap a mis au jour un système de fondations quadrillées. Dans les mortaises de trois des quatre piliers en bois centraux, des feuilles en or gravées de mandalas (diagrammes rituels) sont mises au jour. Ces objets de consécration remontent à la construction de l’édifice, que des datations radiocarbones et par thermoluminescence ont permis de situer entre le VIe et le IXe siècle. Par ailleurs, si les fouilles et l’analyse sédimentologique montrent que les fondations étaient conçues pour résister autant que possible à des séismes, ce sont les aménagements et restaurations des années 1960 et 1970 qui ont causé la destruction du Kasthamandap.

Les fouilles du Kasthamandap sur la place royale de Katmandou.

Les fouilles du Kasthamandap sur la place royale de Katmandou. © David C. Andolfatto

Les sites patrimoniaux de la vallée de Katmandou

Capitale du Népal, Katmandou est située à 1 324 m d’altitude, dans une vallée formée de plusieurs centres urbains. Les Newars en constituent la population autochtone. La localisation de cette cité, sur un axe d’échanges économiques et culturels établi depuis les environs du Ve siècle entre l’Inde et le Tibet, a permis le développement d’une florissante culture où boud­dhisme et hindouisme ont coexisté. C’est dans ce contexte que de nombreux temples et monastères ont été érigés au fil des siècles. L’ensemble de la vallée est inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Elle réunit sept zones de monuments de types divers : temples bouddhiques ou hindous, stupas, ou encore places royales, les Durbar Square (du persan durbar ou darbâr signifiant audience ou cour royale). La vallée de Katmandou en compte trois grands, correspondant aux places royales des trois principaux royaumes Malla (XVe-XVIIIe siècle) : Katmandou, Patan et Bhaktapur. Parmi ses autres zones de monuments, on compte Svayambhu et Bauddha (sites bouddhiques), et Changu Narayan et Pashupatinath (sites hindous). D. C. A.

Svayambhu, un haut lieu du bouddhisme himalayen

À Svayambhu, la fouille du Stupa aux Multiples Portes Auspicieuses s’est déroulée en 2016 sous l’égide de l’Unesco. Ce type d’opérations sur un monument aussi sacré est loin d’être anodin. Des rituels visant à demander pardon au bâtiment pour les dommages qui lui seront causés ont dû être réalisés au préalable. Des prêtres bouddhistes ont également été recrutés et formés pour conduire la fouille à nos côtés. La campagne de 2016 a révélé une impressionnante architecture interne en forme de mandala. À l’intérieur des espaces créés par ce plan se trouvait donc une multitude d’objets de consécration déposés durant la construction. On compte notamment près de 230 000 petites ­statuettes en argile, nommées tsha tsha en tibétain, des représentations de divinités en terre cuite des XVIe et XVIIe siècles, de la bijouterie en or ou des pièces de monnaie chinoises de l’empereur Qianlong (règne 1736-1795) et d’autres provenant des Indes britanniques. Une des plus importantes découvertes est sans doute celle d’un reliquaire inscrit et daté de 1874. La châsse mentionne le nom de la personne pour laquelle le stupa fut érigé : un marchand bouddhiste originaire de Katmandou. Très actif au Tibet et en Chine, il semble avoir rempli un rôle de diplomate pour le royaume du Népal. Ce profil d’homme cosmopolite explique à bien des égards la diversité des objets mis au jour.

« Dans le cadre de la reconstruction des édifices patrimoniaux, l’archéologie s’est présentée comme un outil d’investigation exceptionnel. »

Fouiller pour mieux reconstruire 

Les monuments historiques du Népal se distinguent par leur appartenance à un patrimoine culturel vivant : les temples accueillent chaque jour les dévots boud­dhistes et hindous venus y déposer leurs offrandes et recevoir en échange la bénédiction de la divinité. Les rites qui s’y déroulent marquent les grandes étapes de l’existence des individus, des communautés et du pays. Ils sont donc profondément intégrés à la vie quotidienne. Par ailleurs, l’attrait romantique des temples du Népal, et de ses montagnes, a fait du tourisme une des industries principales du pays depuis la sortie de son isolationnisme en 1951.
Dans le cadre de la reconstruction des édifices patrimoniaux, l’archéologie s’est présentée comme un outil d’investigation exceptionnel. Les quelques fouilles réalisées à la suite des tremblements de terre de 2015 ont livré des données nouvelles pour les historiens, mais aussi pour les architectes et ingénieurs, à qui elles ont permis de mieux comprendre les structures et les causes de leur destruction. À Svayambhu, le millier d’artefacts excavés a pu être remis en place dans le nouveau stupa, rebâti à l’identique et inauguré en 2019. Sur les places royales et ailleurs, la plupart des monuments principaux ont été réédifiés ou restaurés, quand d’autres attendent encore. 

Stupa aux Multiples Portes Auspicieuses après sa reconstruction, 2021.

Stupa aux Multiples Portes Auspicieuses après sa reconstruction, 2021. © T. Schrom

D’un Népal à l’autre

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le terme de Népal désignait uniquement la vallée de Katmandou. On parlait alors de « Nepal Mandala », le mandala du Népal. En sanskrit, ce terme désigne un cercle, une zone géographique ou un comité. Dans l’hindouisme et le bouddhisme, c’est un diagramme qui sert à des rituels et à la méditation. À la fin du XVIIIe siècle, le royaume de Gorkha conquiert la vallée et unifie un large territoire correspondant plus ou moins à la nation actuelle. Ce nouveau royaume de Gorkha est appelé Népal à partir des années 1930. D. C. A.