L’Âge du bronze, premier âge d’or de l’Europe (4/5). À la vie, à la mort. Le quotidien des hommes de l’Âge du bronze

Évocation des élites du bronze final,vers 1300‑1200 avant notre ère dans le sud-est du Bassin parisien (détail). © Département de Seine-et-Marne, dessin P.-Y. Videlier, atelier Scène de Papier
L’année 2025 célèbre le 150e anniversaire de la publication en 1875 de l’ouvrage fondateur d’Ernest Chantre, qui a marqué la reconnaissance académique officielle de l’Âge du bronze en France. Au IIe millénaire avant notre ère, une nouvelle ère commence pour le monde occidental avec la maîtrise d’un alliage inédit, celui du cuivre et de l’étain, permettant la fabrication d’objets en bronze. Elle voit la naissance de modèles économiques et de formes de pouvoir inédits, caractérisés par la fabrication d’objets de prestige, des réseaux d’échanges à longue distance et des pratiques symboliques originales. Dans ce dossier, Archéologia vous invite à découvrir cet âge méconnu, à travers les plus récentes découvertes.
Les auteurs de ce dossier sont : Claude Mordant, coordinateur scientifique de ce dossier et commissaire général de l’exposition, professeur émérite de Protohistoire européenne, président de l’Association pour la promotion des recherches sur l’Âge du bronze (Aprab) ; Anne Lehoërff, professeur des Universités, CY Cergy Paris université, vice-présidente du Conseil national de la recherche archéologique de 2014 à 2024 (CNRA) ; Cyril Marcigny, commissaire scientifique de l’exposition, directeur scientifique adjoint, Inrap Normandie ; Rebecca Peake, commissaire scientifique de l’exposition, responsable de recherches archéologiques, Inrap Centre – Île-de-France ; Théophane Nicolas, céramologue, Inrap Grand Ouest ; Rolande Simon-Millot, commissaire scientifique de l’exposition, conservatrice générale du patrimoine, musée d’Archéologie nationale ; Stefan Wirth, commissaire scientifique de l’exposition, professeur de Protohistoire européenne, université Bourgogne Europe. Ces auteurs ont aussi contribué à l’organisation de l’exposition du musée d’Archéologie nationale et à la rédaction de son catalogue.
Lot de « palettes » de jeunes porcs consommés lors de festins organisés de manière régulière au IXe siècle avant notre ère à Villiers-sur-Seine (Seine-et-Marne). © G. Auxiette, Inrap
Comment vivait-on à l’Âge du bronze ? Comment se composait la société ? Qu’y avait-il dans l’assiette de nos ancêtres ? Et comment leurs morts étaient-ils traités ? Autant de questions auxquelles les découvertes et recherches récentes permettent aujourd’hui de répondre.
Une population hiérarchisée
Les hommes de l’Âge du bronze sont des agriculteurs-éleveurs, qui assurent la production vivrière indispensable pour nourrir la population ; ils s’installent le plus souvent dans des fermes isolées ou des hameaux, dans des villages (comme les palafittes) ou sur des sites de hauteur. Les artisans, parfois très spécialisés, vivent au sein de la communauté pour fabriquer, à temps partiel ou à plein temps, les objets du quotidien (poteries, outils, textiles, charpentes et mobilier de bois) ou des bronzes (essentiels pour marquer son genre et son statut) qu’ils soient outils courants (haches) ou armes (épées, pointes de lance). Quelques pièces exceptionnelles (épées, vaisselles en bronze et parures) sont plus spécifiquement destinées aux membres de l’élite ou à des pratiques cultuelles. Des individus ont sans doute été plus mobiles, investis dans les échanges de matières premières ou d’objets finis. Avec une constante fabrication des armes, offensives comme défensives, la classe des hommes de guerre est de plus en plus visible au sein de ces populations. La société apparaît ainsi spécialisée et hiérarchisée ; des hommes et femmes de pouvoir appartiennent à l’élite sociale dont on peine cependant à retrouver les traces de leurs habitations peu ou pas perceptibles à ce jour.
Évocation des élites du bronze final,vers 1300‑1200 avant notre ère dans le sud-est du Bassin parisien. © Département de Seine-et-Marne, dessin P.-Y. Videlier, atelier Scène de Papier
Face à son assiette : que mangeait-on à l’Âge du bronze ?
Les analyses isotopiques des restes humains, fauniques et botaniques offrent de nouvelles pistes pour documenter les pratiques de cette époque. Les céréales (orge, engrain, amidonnier) constituent la base des repas ; mais, à la fin de la période, de nouvelles cultures, comme le millet et le petit millet, acquièrent une place essentielle. Introduit en France au XIVe siècle avant notre ère, le millet, semé au printemps pour une récolte en été, garantit une plus grande sécurité alimentaire. Le bronze final est également marqué par une présence accrue de légumineuses (lentille, féverole, ers, pois, gesse), ainsi que des oléagineuses (caméline, lin, pavot). Le taux élevé d’azote retrouvé dans les restes archéobotaniques suggère l’utilisation de fumier pour enrichir les sols. La cueillette tient encore une place importante grâce à la collecte de baies de sureau, raisins, cynorrhodons, prunelles et noisettes ; les glands sont torréfiés pour les rendre comestibles. Au bronze ancien et moyen, la consommation de viande et de produits dérivés d’origine animale reste relativement limitée pour augmenter au bronze final. L’élevage repose sur le bœuf, les moutons et chèvres, le porc ; la chasse reste pratiquée, à un niveau plus faible qu’au Néolithique. Le porc gagne en importance au bronze final et il est consommé en grande quantité dans les habitats privilégiés où de grands festins régulièrement organisés jouent un rôle essentiel dans le renforcement de la cohésion sociale et du pouvoir. Des différences apparaissent aussi entre les sexes, les hommes ayant, dans certaines communautés, un régime plus riche en viande que les femmes. Le sevrage des enfants semble avoir été tardif, intervenant après deux ans dans les cas étudiés.
Millet commun. © Françoise Toulemonde
« Les analyses isotopiques des restes humains, fauniques et botaniques offrent de nouvelles pistes pour documenter les pratiques de cette époque. »
Une mobilité accrue des individus
La variabilité des taux de soufre et de strontium permet d’identifier des individus, humains et animaux, d’origine non locale au sein des populations analysées. Ces résultats renforcent l’hypothèse d’une mobilité accrue d’individus, probablement en lien avec leur fonction ou leur parcours de vie : femmes lors de leur mariage, colporteurs, artisans ou membres de l’élite. Pour les animaux, ils témoignent d’un élevage extérieur à la ferme. Les fortes capacités de stockage agricole (greniers et silos) sur plusieurs sites orientent vers un système d’approvisionnements centralisés, pour prévenir les disettes et gérer des surplus.
Un nombre limité de sépultures
Les nécropoles ne renferment qu’un nombre limité de sépultures, quelques dizaines au maximum par site. Ces ensembles funéraires n’éclairent qu’une fraction des communautés vivantes et résultent d’un choix opéré par la société, qui ne réserve un espace funéraire qu’à certains de ses membres. Dans ce contexte, une question persiste : comment sont traités les autres défunts, et pourquoi y a-t-il eu des gestions différentes des individus ? Le choix des élus ne repose pas sur le genre, l’âge ou le statut social. C’est la dimension honorifique et symbolique, au-delà d’un hommage au défunt, qui semble jouer un rôle essentiel dans la mémoire collective.
« C’est la dimension honorifique et symbolique, au-delà d’un hommage au défunt, qui semble jouer un rôle essentiel dans la mémoire collective. »
Inhumation et crémation
Au cours de la période, deux pratiques funéraires s’expriment : l’inhumation et la crémation. La première conserve mieux les informations biologiques du défunt et les analyses anthropologiques, isotopiques ou génomiques permettent de déterminer le sexe, l’âge, le régime alimentaire, la mobilité et le patrimoine génétique de l’individu. Elle renseigne aussi sur les pratiques funéraires : position du corps, aménagements spécifiques de la tombe et offrandes. La crémation réduit, en revanche, considérablement ces données biologiques… Dans les premiers temps, l’inhumation est la pratique quasi exclusive sur l’ensemble du territoire français, avec quelques rares cas de crémation, principalement dans les Hauts-de-France. Au bronze moyen, cette dernière s’étend vers le sud, l’est et l’ouest, et s’implante plus largement dans le quart nord de la France. Cependant, l’inhumation, présente dans le Sud-Est jusqu’au premier Âge du fer, ne disparaît pas complètement.
Crémation du bronze final de la nécropole d’Ensisheim (Haut Rhin), vers 1200 avant notre ère. Dans une grande fosse rectangulaire sont déposés l’urne, plusieurs vases et des offrandes alimentaires dans un plat. © Fouilles et cliché Archéologie Alsace
Tertres, enclos et cairns
Les monuments funéraires adoptent différentes formes : tertres de dimensions modulables, enclos fossoyés, cairns, cercles de poteaux. Ceux à plan circulaire sont privilégiés, mais il existe aussi des cas plus originaux, en « trou de serrure », rectangulaires allongés ou elliptiques. Leurs élévations et potentielles sépultures associées n’ont pas résisté au temps ; l’érosion les a le plus souvent profondément altérés et ils ne subsistent que sous forme de fossés comblés. Le tumulus est naturellement protecteur de la tombe, mais certains ont dû servir de sanctuaires ou de lieux de regroupement des populations. Ces espaces funéraires fonctionnent souvent sur la longue durée, parfois des siècles. Leurs architectures portent ainsi parfois témoignage dans le temps de la légitimité de ceux vivant sur le territoire occupé par leurs ancêtres.
« Ces espaces funéraires fonctionnent souvent sur la longue durée, parfois des siècles. »
Vers le monde de l’au-delà
Peu présentes dans le mobilier funéraire, les armes sont couramment retrouvées dans des cours d’eau, lacs et tourbières. Leur enfouissement dans le milieu aquatique, imaginé comme l’interface avec le monde de l’au-delà, correspond probablement à des rites, complémentaires des gestes identifiés dans les nécropoles. On peut remarquer que le caractère particulier de certaines armes trouvées dans l’eau se confirme par leur facture très soignée.
Les réalisations d’objets ne se limitent pas à leur seule fonctionnalité. Certains, exceptionnels, comme le disque d’or de Ribécourt (Oise), renvoient à des éléments d’une cosmologie ancienne qui privilégie les phénomènes cycliques et un symbolisme solaire. Ce dernier transparaît sous forme d’étoiles, de cercles, disques, spirales ou points, parfois associé à des oiseaux (cygne) ou au cheval. Cette puissance évocatrice du soleil est souvent rehaussée par la présence de l’or. Dans la métallurgie du bronze comme dans la crémation des corps, c’est la qualité transformatrice du feu qui est valorisée.
Sommaire
L’Âge du bronze, premier âge d’or de l’Europe
4/5. À la vie, à la mort. Le quotidien des hommes de l’Âge du bronze
5/5. Occuper l’espace et structurer la société (à venir)