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Le roman des momies (2/4). Géographie et techniques de momification : diversité des pratiques

Les catacombes des Capucins à Palerme en Sicile. Y sont entreposés les corps déshydratés et souvent embaumés, ou traités au vinaigre, des moines et de l’élite palermitaine. Cet usage est en rapport avec la formule chrétienne Memento mori (« souviens-toi que tu vas mourir »). Photo Patrice Cartier.

Les catacombes des Capucins à Palerme en Sicile. Y sont entreposés les corps déshydratés et souvent embaumés, ou traités au vinaigre, des moines et de l’élite palermitaine. Cet usage est en rapport avec la formule chrétienne Memento mori (« souviens-toi que tu vas mourir »). Photo Patrice Cartier. © Gusman / Leemage

Les plus vielles datent de 7 000 ans, bien avant l’âge d’or de la civilisation égyptienne à laquelle on les associe habituellement. Leur étude a fait des progrès considérables ces dernières années, grâce aux avancées de la médecine, notamment celles de l’imagerie 3D ainsi que des analyses biomoléculaires. Selon le vieux précepte de l’anatomie clinique Mortui vivos docent, « les morts enseignent aux vivants », et par le biais de la bio-archéologie, elles sont venues enrichir les connaissances médicales dans leur profondeur historique. Mais qui sont ces momies, fascinantes et envoûtantes, devenues pour certaines des stars ? Réponse, dans ce dossier, au fil d’exemples saisissants.

Momie de Lénine. Décédé en 1924, Vladimir Ilitch Oulianov est rapidement embaumé. Sa dépouille, conservée dans un mausolée sur la place Rouge à Moscou, est toujours parfaitement conservée.

Momie de Lénine. Décédé en 1924, Vladimir Ilitch Oulianov est rapidement embaumé. Sa dépouille, conservée dans un mausolée sur la place Rouge à Moscou, est toujours parfaitement conservée. © SPUTNIK / Alamy Stock Photo

Des plus naturelles au plus élaborées, des Amériques à l’Europe en passant par l’Asie, les momies sont partout ! Et, avis aux amateurs, les techniques de momifications apparues il y a plusieurs millénaires, très variées selon les civilisations, continuent à être pratiquées aujourd’hui…

Dans cet âge d’or de la momification que peut représenter l’Égypte, de l’Ancien au Nouvel Empire, il faut observer deux choses. D’abord que ce processus, long et coûteux, était réservé à l’élite. La vallée du Nil est certes l’endroit du monde où a été trouvé le plus grand nombre de restes humains, mais il s’agit surtout d’innombrables squelettes n’ayant subi aucun traitement conservatoire. Ensuite, hors d’Égypte on rencontre énormément de momies en Europe, surtout dans des édifices religieux. Et le plus souvent, les momifications naturelles des corps sont liées au hasard et permises par le microclimat des cryptes.

Momies insoupçonnées des cryptes européennes

Ainsi à Palerme, on dénombre neuf mille momies naturelles datant du XVIe au XIXe siècle ; dans la commune de Gangi, la vision est particulièrement spectaculaire. À l’autre bout de la Sicile, à Sàvoca, ce sont trente-deux corps de notables qui sont exposés dans la crypte, visibles par tous. On en a découvert une soixantaine dans un caveau sous la tour de la basilique Saint-Michel de Bordeaux, une vingtaine dans la collégiale de Saint-Bonnet-le-Château dans la Loire, une trentaine dans le musée des momies de Quinto en Espagne, deux cent soixante-cinq dans l’église des Dominicains à Vác en Hongrie mais aussi dans l’église Saint-Michan de Dublin, l’église Saint-Michael de Vienne, la laure (monastère orthodoxe) des grottes de Kiev et dans de très nombreux autres lieux. Il s’agit le plus souvent de corps naturellement desséchés grâce au microclimat des cryptes. On connaît dans l’église Santa Maria della Concezione à Rome un putridarium destiné à « squelettiser » les cadavres. Des conditions d’inhumation favorables comme la présence de métaux lourds, par exemple un cercueil en plomb, ont également permis la bonne conservation des corps ; c’est le cas de Louise de Quengo, dame de Brefeillac, décédée en 1656, et enterrée dans le couvent des Jacobins à Rennes.

Le moine auto-momifié Dang Piyasilo (1894-1973) à Ko Samui en Thaïlande.

Le moine auto-momifié Dang Piyasilo (1894-1973) à Ko Samui en Thaïlande. © Roger Cracknell 22 / Thailand / Alamy Stock Photo

De précieux métaux conservatoires

En Chine, l’utilisation de mercure, considéré comme un liquide de vie, semble avoir assuré la préservation des momies dynastique. En Corée, des conditions d’inhumation géologiquement favorables ont pu permettre une bonne conservation des cadavres. La tradition bouddhique instaure chez les religieux une mortification au sens propre, qui consiste en un long suicide par inanition, le corps du moine se desséchant de son vivant au cours d’un long jeûne. Au Japon ces dépouilles auto-momifiées par une déshydratation naturelle sont appelées Sokushinbutsu. Pour les protéger, les corps de ces saints peuvent alors être laqués.

Plus intéressants sont les cas où la momification est volontaire, processus long, complexe et souvent très sophistiqué.

Excérébration et éviscération

Plus intéressants sont les cas où la momification est volontaire. Chez les Égyptiens, le processus était complexe et long, environ 70 jours dans le protocole le plus sophistiqué ; il impliquait une éviscération, une excérébration (ablation d’une partie du cerveau par la narine), une déshydratation au natron (un carbonate de sodium naturel) de l’ensemble du corps et l’usage de divers baumes, suivi d’un bandelettage du défunt. Aux Canaries, les Guanches, peuple autochtone d’origine berbère non islamisé, pratiquaient, du IIIe siècle jusqu’à la conquête hispanique au XIVe siècle, l’éviscération sur leurs morts pour des raisons là encore religieuses. En Amérique du Sud, diverses cultures précolombiennes ont tenu à prendre soin des corps, tels les Chinchorros, qui procédaient au remplacement des organes par des fibres et des membres par des bâtons, et appliquaient de l’argile sur le visage.

Dessiccation, fumage, cuisson à la vapeur

Au Pérou, chez les Incas, le corps, placé en position assise, était emballé dans un volumineux paquet de tissus appelé fardo, destiné à absorber les liquides de putréfaction, assurant ainsi la dessiccation du cadavre. Si ce type de paquet funéraire demeurait caché du regard extérieur, il n’en était pas de même ailleurs. En Papouasie, chez les Angu et les Dani par exemple, ou dans le détroit de Torres, le corps des chefs était momifié par fumage puis montré. La technique de déshydratation paki paki utilisée par les Maoris pour exposer la tête de leurs parents ou de leurs ennemis (mokomokai), ces fameuses têtes tatouées qui ont fait l’objet d’un vaste commerce au XIXe siècle, exigeait un recourt à une cuisson à la vapeur, suivie d’un fumage et d’un traitement à l’huile de requin. Également trophées guerriers, les têtes réduites qui ont fait la réputation des Shuars (« Jivaros ») d’Amazonie étaient fabriquées par dissection de la peau, élimination des os du crâne et de la face, trempage dans une solution végétale puis bour-rage avec des pierres et du sable chauffés.

Tête momifiée et tatouée maori.

Tête momifiée et tatouée maori. © VIARD M. / Horizon Features / Leemage

Se faire momifier aujourd’hui…

En Occident s’est posé le problème de la conservation des corps des défunts décédés en terre lointaine, comme les croisés morts en Terre sainte, ou encore l’amiral Nelson, tué à Trafalgar et rapatrié dans une barrique d’alcool. De nos jours, les pratiques d’embaumement se généralisent, que ce soit pour conserver des gens importants, tel Lénine, ou de simples particuliers qui, pour 70 000 $ peuvent se faire momifier depuis 1975 grâce à l’entreprise Summum installée à Salt Lake City. En 2010, un chauffeur de taxi londonien de 61 ans, Alan Billis, atteint d’un cancer en phase terminale, se porta volontaire pour que son cadavre subisse un traitement à l’égyptienne grâce aux outils, copiés de l’antique, des archéologues. Ce processus inédit d’archéologie expérimentale avait pour but de retrouver une technique dont on ne connaît pas le détail faute de papyrus. Sa veuve déclara avec flegme qu’elle était la seule femme ayant pour mari une momie…

La science des momies : un énorme corpus de connaissances accumulé ces dernières années

Les momies sont une aubaine pour l’anthropologue et le paléopathologiste, puisque les tissus, mais aussi les commensaux, tels que le microbiote et les parasites, sont, au moins partiellement, conservés, ce qui les rend beaucoup plus informatifs que les squelettes, lot habituel des archéologues.

À cet égard, le corps congelé de l’Homme des glaces, exposé au musée de Bolzano (voir « Qu’est-ce qu’une momie ? »), a certainement été l’un des plus étudiés, que ce soit la nature de son dernier repas, les bactéries présentes dans son tube digestif ou les lésions tissulaires qui ont provoqué son décès. Les études, nécessairement multidisciplinaires, mais basées sur les méthodes de l’anthropologie biologique et de la médecine légale, embrassent ainsi un large spectre. 

Les études anatomo-cliniques

L’examen cutané, au colposcope, à la lumière ultraviolette ou par réflectographie infrarouge, permet de révéler tatouages, stigmates de maladie (telle la variole sur le visage du pharaon Ramsès V) ou plaies. Néanmoins c’est l’autopsie classique, longtemps pratiquée mais quasi-abandonnée aujourd’hui en raison de son potentiel destructeur, et son remplacement par la scannographie ou « virtopsie » (autopsie numérique virtuelle qui rend le corps véritablement transparent), qui offrent l’examen interne le plus complet du cadavre. Un endoscope peut également être utile afin de réaliser des prélèvements pour l’histologie, les recherches parasitologiques ou les analyses tissulaires. La radiologie simple ou le scanner conduisent à l’établissement de mensurations biométriques osseuses, aux diagnostiques de pathologies ou à la caractérisation d’amulettes, bijoux et autres objets parant la momie.

Momie de Ramsès V, XIXᵉ dynastie. Le Caire, musée égyptien. Le pharaon est mort de la variole ; les lésions ne sont cependant pas visibles sur cette photo.

Momie de Ramsès V, XIXᵉ dynastie. Le Caire, musée égyptien. Le pharaon est mort de la variole ; les lésions ne sont cependant pas visibles sur cette photo. © Akg-images / De Agostini Picture Lib.

Les autres investigations

Ces études anatomo-cliniques s’accompagnent de nombreuses autres investigations : la datation radiocarbone, le séquençage de l’ADN ancien, le dosage des isotopes stables du carbone et de l’azote pour caractériser le régime alimentaire, la recherche d’antigènes microbiens, diverses analyses chimiques (telle que la la diffraction aux rayons X afin de déterminer les ingrédients employés par les embaumeurs) ou encore la description des pollens (palynologie) et des insectes (entomologie funéraire) piégés sur le corps et témoins de l’environnement funéraire.

Scan 3D d’une momie égyptienne vieille de 4 000 ans exposée au musée du Medelhavsmuseet de Stockholm, réalisé grâce au système d’imagerie « Inside Explorer » de Interactive Institute Swedish ICT, à partir des données acquises avec le scanner 3D Edge ScanArm de la société Faro. Le visiteur peut découvrir le corps à travers le sarcophage.

Scan 3D d’une momie égyptienne vieille de 4 000 ans exposée au musée du Medelhavsmuseet de Stockholm, réalisé grâce au système d’imagerie « Inside Explorer » de Interactive Institute Swedish ICT, à partir des données acquises avec le scanner 3D Edge ScanArm de la société Faro. Le visiteur peut découvrir le corps à travers le sarcophage. © DR