Le « seigneur des anneaux » : une épée du VIe siècle découverte près de Canterbury

Vue de l’épée du VIe siècle et d’une fibule de type juto-scandinave. © Alice Roberts, BBCRare TV
Dans le Kent, près de Canterbury, une nécropole anglo-saxonne fait l’objet de fouilles depuis septembre 2024. En fin d’année, a été annoncée la découverte de deux sépultures de l’élite du début du VIe siècle. L’une d’elles accueillait un homme armé d’une singulière épée à anneaux.
Complète et exceptionnellement conservée, l’épée présente un pommeau en argent doré orné de motifs géométriques associé à un double anneau décoré.
Mon précieux, une épée d’apparat
Ce pommeau est tout à fait similaire à ceux découverts dans les nécropoles voisines de Gilton, Bifrons et Coombe (Kent), donnant leur nom au type Bifrons-Gilton daté des années 520-530. Avec sa garde, la lame est très bien préservée : elle présente un traitement damassé et est dotée d’une petite inscription runique. L’épée a été retrouvée dans son fourreau en cuir et bois, doublé de fourrure de castor. Cette arme reflète la présence d’un personnage de haut rang, très probablement un membre de l’élite locale. Le reste de la nécropole n’a pas encore été fouillé, et seule une douzaine de sépultures a été sortie de terre, mais les archéologues estiment son emprise à près de 200 tombes. Les objets récoltés laissent déjà entrevoir une culture matérielle qui s’intègre parfaitement à ce que l’on a pu observer dans les autres nécropoles contemporaines du Kent, comme celles de Dover-Buckland, de Bifrons ou de Mill Hill. Les tombes masculines y associent une lance et un umbo de bouclier (partie centrale métallique), tandis que celles féminines sont dotées de fibules, de boucles de ceinture et de couteaux. Fait assez rare, la sépulture masculine à l’épée a livré une bractéate (pendentif circulaire de tradition juto-scandinave) en or au décor serpentiforme, généralement associée aux femmes de l’élite. Les spécialistes suggèrent qu’il pourrait s’agir d’un héritage ou d’un cadeau d’une parente. Par ailleurs, une sépulture féminine était dotée d’objets de type scandinave datant de la fin du Ve siècle alors que d’autres plus tardives étaient pourvues d’artefacts de type mérovingien.
Radiographie de l’épée du VIe siècle. © Dana Goodburn-Brown
Le Kent, un territoire riche et stratégique
Le multiculturalisme du mobilier funéraire est relativement courant dans les nécropoles du Kent entre la fin du Ve et le courant du VIe siècle. Il est à la fois lié aux migrations qu’a connues le territoire après le départ des Romains, mêlant population locale (romano- bretonne), germanique (saxonne et anglo-saxonne) et scandinave (jute et angle), et à la puissance de ce royaume ainsi qu’à ses liens diplomatiques avec les royaumes mérovingiens dès le VIe siècle. À cette période, le Kent entretient des relations tendues avec ses voisins anglo-saxons, surtout avec le Wessex et le Sussex. Les rois mérovingiens souhaitent lui apporter leur soutien pour assurer le commerce trans-Manche. On peut supposer que la dynastie royale obtient en échange une sorte de monopole commercial, réalisable grâce à sa position stratégique. Les populations côtières entre les deux rives sont ainsi en contact régulier et différents membres de l’élite y régissent ces relations. Dans ce contexte géopolitique, l’établissement d’un réseau militaire permettait d’assurer la sécurité le long des routes commerciales. L’implantation d’administrateurs capables de se battre, mais aussi de maîtriser la littéracie (écriture, lecture, calcul) était primordiale.
Un gage de fidélité
En gage de fidélité, leur épée était alors dotée de deux anneaux, un fixe et un mobile, incarnant cette loyauté vis-à-vis de leur hiérarchie. Témoignage de leur savoir, certains pommeaux étaient aussi gravés d’inscriptions runiques primitives comme à Gilton. Dans plusieurs cas, il s’agissait juste de graphèmes runiques (symbole ou lettre), comme à Dover-Buckland ou à Faversham. L’inscription de la lame découverte près de Canterbury pourrait tout à fait retranscrire cette pratique. Ces personnages anonymes de haut rang ont été identifiés dans les nécropoles anglo-saxonnes du Kent comme Dover-Buckland, Finglesham, Saltwood, Bifrons, Gilton mais aussi à Fréthun et à La Calotterie (Pas-de-Calais) et même plus loin dans les terres jusqu’à Saint-Dizier (Haute-Marne). Ce pouvoir des anneaux dépasse le cadre strict des échanges trans-Manche puisque l’on retrouve ce type d’épée jusqu’au début du VIIe siècle dans la célèbre tombe à bateau de Sutton Hoo (Suffolk) mais aussi en Suède dans les sépultures princières de Gamla Uppsala et de Valsgärde. Au VIIe siècle, ces deux anneaux, désormais fondus ensemble et formant un seul bloc, rappellent les accords diplomatiques entre les élites royales, faisant ainsi perdurer cette tradition née un siècle plus tôt.
Vue zénithale des deux sépultures élitaires anglo-saxonnes. © Production BBCRare TV
Pour aller plus loin :
FERN C., DICKINSON T., WEBSTER L., 2019, The Staffordshire Hoard: An Anglo-Saxon Treasure, Londres, Society of Antiquaries of London.
FISCHER S., SOULAT J. et al., 2008, « Les seigneurs des anneaux », Inscription runique de France, tome 1, Bulletin de liaison de l’AFAM, hors-série n° 2.
SOULAT J., 2018, Le mobilier funéraire de type franc et mérovingien dans le Kent et sa périphérie, Dremil-Lafage, éditions Mergoil.
TRUC M.-C. (dir.), 2019, Saint-Dizier « la Tuilerie » (Haute-Marne) : trois sépultures d’élite du VIe siècle, Presses universitaires de Caen.