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Les 80 ans de la Commission des fouilles

Nécropole de Pépy Ier à Saqqâra, fouillée par la Mission archéologique franco-suisse de Saqqâra.

Nécropole de Pépy Ier à Saqqâra, fouillée par la Mission archéologique franco-suisse de Saqqâra. © MAFS

2025 voit l’anniversaire de la vénérable Commission consultative des recherches archéologiques à l’étranger, dite Commission des fouilles. Créé après-guerre, cet outil extraordinaire permet à la France d’exporter son savoir-faire et sa grande expertise en matière archéologique. Il lui offre aussi de nouveaux champs de connaissances et le développement d’une coopération internationale hors du commun. À l’occasion de la commémoration qui aura lieu en décembre, Alexandre Farnoux nous en dévoile l’histoire et les enjeux.

Propos recueillis par Éléonore Fournié

Dans quel contexte la Commission des fouilles a-t-elle été conçue ? 

Elle est formellement créée en 1945 sur décision du général de Gaulle et proposition d’Henri Seyrig, un des plus grands archéologues fran­çais de l’époque. Mais cette commission est l’héritière d’une longue tradition, qui remonte à la création en 1842 du bureau des missions et voyages du ministère de l’Instruction publique (lui-même héritier de pratiques d’exploration du monde de l’Ancien Régime). Cette instance dispose alors de moyens votés par le parlement et répartis sur des demandes déposées par toute sorte de personnes, couvrant divers domaines scientifiques. C’est donc une pratique française très ancienne d’envoyer, sur financement public, des chercheurs à l’étranger par le biais de missions temporaires. En 1935, le bureau rejoint la Caisse de la recherche scientifique, qui devient en 1939 le CNRS. Pendant la guerre, ce dernier gère l’archéologie française à l’étranger dans une section spéciale (la 16e) ; après-guerre, elle sort de son giron et est affectée au ministère des Affaires étrangères, devenant la Commission consultative des recherches archéologiques à l’étranger.

« Les archéologues ne produisent pas simplement un savoir sur le passé ; ils sont aussi capables de fournir des données qui mettent en perspective ce que le monde est en train de devenir. »

L’épave du Zambratija en Croatie fouillée dans le cadre du programme ADRIBOATS.

L’épave du Zambratija en Croatie fouillée dans le cadre du programme ADRIBOATS. © Philippe Groscau, CCJ

Soutenir l’action sur le terrain 

Comme son nom l’indique la Commission est consultative. Quel est précisément son rôle ? 

La Commission réunit une trentaine de personnes, du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE), du ministère de la Culture, de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, du CNRS, et des personnalités scientifiques nommées. Couvrant tous les champs chronologiques – de la Préhistoire à l’époque contemporaine – et géographiques – de l’Alaska à la Corée du Nord, de la Russie à l’Afrique du Sud –, elle est divisée en cinq sous-commissions : Europe/Maghreb, Orient ancien et Arabie, Afrique, Amériques et Asie/Océanie. Chaque année, au mois de décembre, nous examinons environ 190 demandes de subventions. Nous les évaluons sur des critères scientifiques – j’y reviendrai –, nous émettons un avis favorable ou défavorable que nous transmettons à la direction de l’action scientifique et culturelle à l’étranger du MEAE. Nous n’avons donc qu’un rôle consultatif. La commission répartit les 2 millions d’euros dont nous disposons – ce qui, reporté à l’ensemble des missions, n’a rien de considérable. Pour pouvoir travailler correctement sur place, les missions établissent des budgets d’environ 50 000 € ; nous accordons (en moyenne) 10 000 € par mission, en faisant attention à ce que l’apport de la subvention ne fasse pas plus d’un tiers de leur budget total. Obtenir un financement de la Commission des fouilles constitue aussi une sorte de label, qui peut permettre ensuite d’obtenir d’autres financements publics et privés.

Masque et objets découverts en 2024 lors de la fouille du site du village de Nunalleq en Alaska.

Masque et objets découverts en 2024 lors de la fouille du site du village de Nunalleq en Alaska. © Rick Knecht

Vous abordiez votre expertise scientifique. Quelle est-elle ? 

Nos critères reposent sur la qualité scientifique des dossiers dans leurs objectifs, leurs problématiques générales, la prise en compte d’impératifs liés à la valorisation, à l’exploitation et au partage des données et du savoir, en bonne intelligence avec les autorités, les collègues et le public du pays hôte. Un critère important concerne aussi la formation : nous sommes très attentifs au fait que ces missions puissent être des chantiers-écoles pour les étudiants français ou étrangers ou de futurs professionnels spécialisés. Nous travaillons souvent en étroite coopération avec les ambassades françaises à l’étranger, qui estiment les opportunités, les questions de sécurité et de coopération.

Fouille de la nécropole de Kition-Pervolia (VIIIe-IVe siècle avant notre ère) à Chypre, en 2012.

Fouille de la nécropole de Kition-Pervolia (VIIIe-IVe siècle avant notre ère) à Chypre, en 2012. © Mission archéologique de Kition, Sabine Fourrier

Quels sont les champs d’action de la Commission ? 

Nous soutenons des missions de terrain, dans le cadre de programmes de quatre ans. Chaque année, nous pouvons créer dix nouvelles missions (deux par commission). Cet écosystème vise à permettre aux chercheurs français d’aller récolter sur le terrain des données inédites. Nous ne soutenons plus les missions qui passent en phase d’étude ou de publication – étapes qui demandent aussi du temps et d’importants moyens issus d’autres sources de financement.
J’en profite pour rappeler que depuis longtemps, il n’y a plus de partage du matériel issu des fouilles. Tout demeure dans le pays hôte avec qui est partagée l’exploitation scientifique des découvertes. Autre point fondamental : très souvent, les responsables de missions sont des chercheurs qui ont par ailleurs des charges de cours et des responsabilités administratives en France ; or la gestion de ces missions demande à elle seule trois ou quatre mois par an. Ils pilotent des projets lourds et parfois compliqués – recevant peu, voire pas du tout, de soutien de la part des institutions où ils travaillent le reste de l’année.

Fouille dans la grotte de Laang Spean par la Mission préhistorique franco-cambodgienne. La grotte fait partie des grands sites préhistoriques d’Asie du Sud-Est par ses dimensions et sa stratigraphie de près de 13 m.

Fouille dans la grotte de Laang Spean par la Mission préhistorique franco-cambodgienne. La grotte fait partie des grands sites préhistoriques d’Asie du Sud-Est par ses dimensions et sa stratigraphie de près de 13 m. © MPFC

Un dispositif singulier et puissant

La Commission est-elle la seule à soutenir l’action archéologique française à l’étranger ? 

Non, la France envoie aussi des archéologues à l’étranger par le réseau des cinq Écoles françaises à l’étranger (Athènes, Rome, Le Caire, Madrid et l’Extrême-Orient), qui dépendent du ministère français de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Il faut également mentionner les UMIFRE (unités mixtes et instituts français de recherche à l’étranger), établissements pérennes cogérés par le CNRS et le MEAE dont certains ont une importante activité archéologique – par exemple l’IFPO, l’Institut français du Proche-Orient, basé aujourd’hui à Beyrouth, ou l’IFEA, Institut français d’études anatoliennes, à Istanbul. Enfin, le ministère de la Culture, qui gère entre autres le portail Archéologie française dans le monde (https://archeologie.culture.gouv.fr/monde/fr), soutient également des fouilles via ses musées (les fouilles du musée du Louvre par exemple) ou son personnel (conservateurs et restaurateurs du patrimoine). L’archéologie française à l’étranger, c’est donc trois ministères et plusieurs réseaux qui s’entrecroisent. Cette dispersion rend les actions en partie invisibles ; mais ces 80 ans sont l’occasion de manifester la richesse de ces programmes. Notre dispositif, si singulier et si puissant, nous offre des accès privilégiés à une documentation inédite (comme sur certains sites prestigieux tels Angkor ou Delphes ou sur d’autres nouvellement découverts), permettant de produire un savoir nouveau, et nous vaut l’admiration de nombreux collègues dans le monde.

Fouille du site bouddhique de Mes Aynak en Afghanistan.

Fouille du site bouddhique de Mes Aynak en Afghanistan. © Délégation archéologique française en Afghanistan

Est-ce un système propre à la France ? 

Si plusieurs pays ont, via différents types de structures pérennes ou temporaires, des missions de recherches archéologiques sur financement public ou privé, aucun n’a, je crois, des moyens aussi importants que la France dans le domaine de l’archéologie à l’étranger. Notre pays est dans une situation unique en termes de moyens mis en action et de leur ancienneté. Par ce biais-là, elle s’offre aussi une fenêtre sur l’état du monde : en effet, nous œuvrons parfois dans des régions en crise en raison de conflits ou de catastrophes naturelles. Les missions ne peuvent alors perdurer que grâce aux liens que leurs responsables ont développés avec les autorités ou collègues sur place (je pense aux événements qui ont eu lieu au Soudan, dans les pays du Printemps arabe, en Afghanistan ou en Iran). L’archéologie a beau s’occuper du passé, elle est en prise directe et perpétuelle avec l’actualité. On ne soupçonne pas la réactivité des archéologues en cas de crise, qui vont au-delà de leurs responsabilités scientifiques, tissant des liens étroits avec leurs partenaires.

Vue générale du site de Doukki Gel, capitale du royaume de Kouch et ville sacrée des pharaons noirs au Soudan.

Vue générale du site de Doukki Gel, capitale du royaume de Kouch et ville sacrée des pharaons noirs au Soudan. © Mission Kerma-Doukki Gel, B.-N. Chagny

Quelles sont les perspectives à venir ? 

Nous souhaiterions profiter de ces 80 ans pour tirer une sonnette d’alarme. Cette archéologie française à l’étranger repose sur des spécialités rares, qui sont en train de disparaître. Nous avons du mal à former une nouvelle génération de chercheurs, en raison de difficultés économiques bien sûr mais pas uniquement – je pense notamment au Proche-Orient. Là où nous étions très performants, nous n’avons plus de relève pour porter certaines missions. C’est une question préoccupante car des pans entiers d’activités risquent de s’éteindre, alors que les pays hôtes nous sont très favorables.
Par ailleurs, nous nous rendons compte que l’archéologie est un formidable producteur de savoir pour l’avenir : grâce à sa pluridisciplinarité, elle nous aide à comprendre la manière dont les hommes ont habité le monde, l’ont exploité, s’en sont accommodé, l’ont subi ou aménagé. Ces données sont très utiles pour percevoir les mécanismes des catastrophes naturelles et des bouleversements climatiques dus à des facteurs anthropiques. En investissant des théâtres extrêmement différents du territoire national, elle fait connaître des manières de vivre sur notre planète, plus adaptées aux ressources et plus résilientes. Elle permet aussi de prendre la mesure des bouleversements à l’œuvre aujourd’hui, comme le changement climatique et ses conséquences ou l’élévation du niveau des mers. Aujourd’hui, les archéologues ne produisent pas simplement des connaissances sur le passé ou aidant à comprendre telle ou telle civilisation ; ils sont aussi capables de fournir des informations qui mettent en perspective ce que le monde est en train de devenir. En ce sens, l’archéologie est un savoir pour le futur. 

Archéologues, pédologues, archéobotanistes et écologues fouillant à Sable Blanc en Guyane française, au cœur de la forêt amazonienne.

Archéologues, pédologues, archéobotanistes et écologues fouillant à Sable Blanc en Guyane française, au cœur de la forêt amazonienne. © S. Rostain

Pour aller plus loin
GRIMAL N., 2025, L’archéologue et le diplomate, Paris, Les Belles Lettres. https://archeologie.culture.gouv.fr/monde/fr

Toutes les photographies de cet article sont issues de missions soutenues par la Commission des fouilles.