Le média en ligne des Éditions Faton

Les femmes gauloises et celtiques : des femmes libres ! (3/6). Femmes sacrées et druidesses 

Statère d’or du peuple des Riédons (région de Rennes) à la cavalière. IIe siècle avant notre ère. Une femme nue, chevauchant une monture au galop dépourvue de harnachement, brandit une épée de la main gauche et tient la roue du temps de la main droite. Un ciel étoilé est figuré au-dessus de sa tête, et une lyre sous le cheval. Rennes, musée Dobrée.

Statère d’or du peuple des Riédons (région de Rennes) à la cavalière. IIe siècle avant notre ère. Une femme nue, chevauchant une monture au galop dépourvue de harnachement, brandit une épée de la main gauche et tient la roue du temps de la main droite. Un ciel étoilé est figuré au-dessus de sa tête, et une lyre sous le cheval. Rennes, musée Dobrée. © DR

Et si Jules César n’avait pas envahi la Gaule ? Nos grands-mères et arrière-grands-mères n’auraient peut-être pas eu à se battre pour avoir le droit de vote ou celui de posséder un chéquier… Car des princesses celtes du premier Âge du fer aux Gauloises guerrières et cheffes de famille, la condition des femmes est alors à l’opposé du droit patriarcal romain qui triomphe après la Conquête. Ce dossier d’Archéologia met en lumière cette condition féminine oubliée du monde celte, longtemps ignorée aussi d’une archéologie essentiellement dominée par les hommes !

L’auteur de ce dossier est : Laurent Olivier, conservateur général des collections d’Archéologie celtique et gauloise au musée d’Archéologie nationale – Domaine national de Saint-Germain-en-Laye

Le char de Strettweg : ce modèle de char processionnel en bronze a été découvert à Strettweg en Autriche. VIIIe siècle avant notre ère. Graz, Landesmuseum Joanneum.

Le char de Strettweg : ce modèle de char processionnel en bronze a été découvert à Strettweg en Autriche. VIIIe siècle avant notre ère. Graz, Landesmuseum Joanneum. © DR

À la fin du premier Âge du fer, l’ère des grandes souveraines celtiques s’achève. Mais les femmes, investies d’un pouvoir sacré et divinatoire, devenues les messagères du monde divin, continuent à jouer un rôle déterminant.

Après l’effondrement de la société guerrières de la fin du premier Âge du fer, les druides introduisent une séparation des pouvoirs, sans doute dans le courant du Ve siècle avant notre ère. Désormais les souverains gaulois n’exercent plus aucune autorité religieuse : les druides remplissent cet office et sont les garants des lois, que le pouvoir politique se borne à appliquer. Les femmes abandonnent donc au profit des hommes les fonctions religieuses qu’elles avaient auparavant, à la grande époque des souveraines celtiques de la fin du VIe siècle avant notre ère.

Les « femmes sacrées » celtes

Or si elles perdent leur statut, les femmes ne perdent pas pour autant leur pouvoir. Dans les régions de culture celtique européenne où, à l’inverse de la Gaule, l’institution des druides ne s’est pas développée (comme en Europe centrale et du nord), on rencontre des « femmes sacrées ». Elles sont présentes parmi les forces armées du chef germain Arioviste, que César affronte en 58 avant notre ère, au début de la guerre des Gaules. Ce sont elles qui perçoivent les signes du monde divin par l’ouïe et la vision. En observant les tourbillons du courant des fleuves et en écoutant le bruit produit par les eaux, elles préconisent que la bataille contre les Romains ne soit pas engagée avant la nouvelle Lune. Plus tard, lorsqu’en 61 de notre ère, la reine Boudicca, qui règne sur le peuple des Icènes de l’est de l’Angleterre actuelle, affronte les légions, envoyées pour réprimer la révolte des peuples celtiques, elle réalise une divination pour connaître l’issue de la bataille. Elle libère un lièvre, dont on observe la façon de courir. Comme le présage s’avère favorable, la foule des guerriers rassemblés pousse une immense clameur et peut partir au combat, certaine de l’emporter. Sans l’intervention de leur reine, les troupes n’auraient pas pu combattre, ne sachant pas si les dieux étaient de leur côté.

Des pouvoirs à double tranchant

Les femmes sont donc douées de pouvoirs singuliers, qui les mettent en communication avec le monde divin et à ce titre elles sont particulièrement respectées, comme en Germanie. Les Germains, nous dit l’historien Tacite, pensent qu’elles ont le don de prophétie et c’est pour cette raison qu’avant de prendre la moindre décision importante, leurs avis sont très écoutés. Un obscur auteur grec, qui pourrait avoir vécu entre le IIIe et le Ier siècle avant notre ère, indique que lorsqu’il s’agit d’engager la guerre, les Gaulois émigrés dans le monde méditerranéen prennent conseil auprès de leurs femmes et que ce qu’elles décident prévaut, en toutes circonstances. Comme leurs consœurs germaines ou bretonnes, ces Galates doivent rendre des oracles. Mais si elles se sont trompées et si les guerriers qu’elles ont incités au combat sont vaincus, alors elles sont tuées.

Les druides, victimes de la romanisation

La Gaule, au moment de la conquête romaine, ne connaît pas de femme sacrée, car ce sont les druides qui effectuent les rites de divination, interprètent les informations livrées par la divinité et transmettent ensuite leur message à la masse des « gens ordinaires » – c’est-à-dire à tous ceux qui ne sont pas en communication avec le monde surnaturel. La situation change avec la colonisation, où ces chefs spirituels sont particulièrement visés par les nouveaux occupants. Ils perdent dès lors non seulement leurs fonctions religieuses, mais aussi leur rôle de législateurs et d’éducateurs. Relégués au rang de « devins » ou de « magiciens », ils sont poursuivis par les autorités romaines, qui les accusent – à tort ou à raison – de persister à pratiquer des sacrifices humains.

Les druidesses gauloises

Lorsqu’en Gaule, les druides sont persécutés par le nouvel occupant romain après la Conquête, on voit alors réapparaître ces « femmes sacrées », que les Romains désignent sous le terme dévalorisant de « druidesses gauloises ». Elles rendent des prophéties, utilisant leur langue, qu’elles contribuent à perpétuer, comme un langage sacré. Les empereurs les consultent. L’une d’elles prévient ainsi le jeune Sévère Alexandre de se méfier de ses soldats ; il sera effectivement assassiné peu de temps après par les chefs de l’armée en Germanie. Après lui, l’empereur Aurélien consultera les « druidesses gauloises » pour savoir si ses descendants hériteront de son pouvoir. Une autre de ces « voyantes » annoncera à Dioclétien, encore soldat, qu’il sera un jour empereur de Rome. Mais là encore, on voit combien la situation des femmes reste précaire par rapport à leurs homologues masculins. C’est la perte d’autorité des druides dans la Gaule romaine qui leur permet de s’affirmer comme des « druidesses ». Comme les sorcières et les magiciennes, elles sont confinées dans les plus basses classes de la société, car elles ne sont pas romaines et ne peuvent pas le devenir. Les Romains, qui ont peur des femmes, craignent en particulier celles qui sont, à leurs yeux, « barbares ».

Parures en or de la tombe de Waldalgesheim (Allemagne). IVe siècle avant notre ère. La souveraine celtique porte une panoplie composée d’un torque et d’une paire de bracelets en or, qui est complétée par un brassard en or à jonc torsadé. Bonn, Rheinisches Landesmuseum.

Parures en or de la tombe de Waldalgesheim (Allemagne). IVe siècle avant notre ère. La souveraine celtique porte une panoplie composée d’un torque et d’une paire de bracelets en or, qui est complétée par un brassard en or à jonc torsadé. Bonn, Rheinisches Landesmuseum. © akg-images, De Agostini Picture Lib.